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Justice prédictive : mythe ou réalité

La justice prédictive était l’objet de la réunion plénière des experts de justice qui se tenait à l’Ecole Nationale de la Magistrature le 7 juin. L’occasion pour les intervenants d’évoquer les avantages et inconvénients de ces données statistiques.

Justice prédictive, mythe ou réalité ? Tel était le sujet de la table ronde qui rassemblait autour de Nathalie Malicet, présidente de la Compagnie des experts de Justice à Bordeaux, Robert Chelle, juge à la cour d’appel et Aymard de Malafosse, juge à la cour administrative, le vice-bâtonnier Pierre Gramage et Louis Larret-Chahine, co-créateur de la plateforme Predictice. Un robot pour prédire les décisions de justice ? Un fantasme alarmant peut-on conclure après ce débat. « Les avocats ou juges robots, je n’y crois pas ! », a assuré Pierre Gramage. D’où vient cette peur de la machine qui se substitue à l’homme ? Tout d’abord, cette méprise proviendrait d’une mauvaise traduction, un glissement sémantique qui nous laisserait entendre que la justice prédictive prédit les jugements. 

« Il faudrait plutôt dire justice prévisible », a estimé Louis Larret-Chahine. Pour Nathalie Malicet, la juste définition serait « la capacité des machines à mobiliser le droit pertinent pour anticiper les décisions de justice ». Car la justice prédictive présente tout de même de gros avantages. Elle surfe sur la loi de mars 2016 qui autorise l’ouverture des données, soit des décisions de justice. « Cet open data représente un changement de paradigme, un véritable big bang », précise Louis Larret-Chahine, « aujourd’hui, on produit plus de 4 millions de décisions de justice par an ». Comment croiser, compiler, confronter tant de données sans l’aide des algorithmes ? La technologie représente un grand pas en avant quand on considère que les legaltech, du type Predictice, lisent et découpent 2 millions de décisions de justice à la seconde ! « Il comprend une décision, maille l’info et permet de créer un outil analytique. On ne prédit rien », a insisté Louis Larret-Chahine, « on apporte des outils d’analyse ». Il faut dire que sa démonstration a séduit l’assemblée. Lorsqu’on entre une décision de justice, le logiciel va trier les documents à partir des mots clés. Les premiers enjeux sont analysés, les dernières décisions, puis les plus proches identifiées. Un legaltech permet de mieux comprendre ce qu’il se passe. « C’est un outil statistique très fin », reconnaît Pierre Gramage, « qui peut orienter la stratégie de l’avocat, mais d’autres éléments entrent en compte ».

Une justice à la carte

Pour autant, l’utilisation d’un tel logiciel n’est pas neutre. Attention aux risques de profilage, ont prévenu l’ensemble des participants. D’autre part, le président Chelle, se référant à la position de Gracieuse Lacoste, première présidente de la Cour d’appel, n’a pas manqué de relever l’enjeu économique de tels logiciels qui vendent leur action à partir de ce qui est gratuit : « Une société propose à la vente ce qui résulte de son travail », s’est-il interrogé. Et ne pourrait-on pas ainsi par glissement choisir son juge ? Attention à ne pas provoquer une justice à deux vitesses », a lancé Pierre Gramage. Ceux qui n’auraient pas les moyens de payer une justice sur mesure auraient recours aux robots qui rendraient une justice low cost. « Attention que l’effet performatif présenté de la justice prédictive ne devienne pas déceptif », a martelé le vice-bâtonnier, pourtant reconnu pour son lancement de l’Incubateur du Barreau de Bordeaux, « Monsieur numérique » comme s’est amusée à le qualifier Nathalie Malicet. Et celle-ci de conclure : « L’algorithme prédictif (mais surtout prévisionnel) a surtout le rôle de préparer une aide complémentaire. Le juge a un rôle irremplaçable de compréhension de l’aspect humain ».