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L’écriture inclusive est-elle faite pour les entreprises ?

Chronique de la com’ - Ces dernières années, et encore plus ces dernières semaines, elle est sur toutes les lèvres : l’écriture inclusive. Certains sont pour et prônent une égalité femmes-hommes jusque dans le langage. D’autres sont de fervents opposants, allant jusqu’à parler d’écriture exclusive. Mais c’est un fait : le débat est là. Les entreprises doivent-elles s’emparer de ce débat ? Éléments de réponse.

Marine LASSERRE, Rédactographe, APACOM

Marine LASSERRE, fondatrice de Rédactographe et vice-présidente de l'APACOM © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

De quoi parle-t-on, au juste, quand on parle d’écriture inclusive ? D’un ensemble de techniques de rédaction qui sont utilisées pour construire un langage non discriminant par rapport aux personnes de genre féminin. Sa finalité : donner une visibilité égale aux hommes et aux femmes dans la langue et donc dans nos représentations mentales.

Il s’agit bien d’un ensemble de techniques, de différents moyens permettant d’atteindre une même finalité. C’est d’abord la féminisation des métiers. Une autrice, une ministre, une sénatrice. C’est également le dédoublement, qui permet d’englober le masculin et le féminin, comme dans « les adhérents et les adhérentes ». C’est aussi l’emploi de mots épicènes, mots qui ont une forme unique au masculin comme au féminin : « membres de l’association » au lieu d’adhérents, « élèves » au lieu d’étudiants. Quand ces techniques ne sont pas applicables, on peut user de stratégies de remplacement, par exemple écrire « si vous recrutez » au lieu de « ceux qui recrutent ». L’écriture inclusive inclut également des néologismes : « les lecteurices » remplace « les lecteurs et les lectrices », le pronom « iel » englobe « il » et « elle ».

Enfin, dernier moyen, le point médian (parfois remplacé par un tiret) : les lecteur·ice·s. Celui-ci consiste en une abréviation écrite, évitant des dédoublements à rallonge : il conviendrait d’écrire « les lecteur·ice·s » quand on dirait à l’oral « les lecteurs et les lectrices », tout comme on écrit « M. » mais on dit « Monsieur ». Or ce point médian cristallise les tensions sur le sujet. On lui prête des difficultés de lisibilité. On le trouve extrême, militant. Et avec lui, c’est l’ensemble des techniques inclusives qui sont mises au banc.

Pourtant, l’écriture inclusive offre cette potentialité de discours universel. Quel politique ne jalonne pas son discours de « Françaises, Français » ou encore de « celles et ceux », marquant sa volonté d’afficher une adresse générique ? Pourquoi n’en serait-il pas de même, systématiquement, pour les entreprises ou organisations dont les cibles sont le plus souvent constituées d’hommes et de femmes ? Certaines communes comme Grenoble, Lyon ou Paris ont ainsi acté l’usage d’une écriture non discriminante dans leur communication. C’est le cas aussi de certaines entreprises.

PARLER À TOUS ET À CHACUNE

L’écriture inclusive a d’abord cet avantage d’apporter de la clarté dans l’adresse. En écrivant « nos clients », comment signifier que des femmes peuvent être incluses dans ce groupe ? De nombreuses recherches scientifiques ont en effet montré que, dans la représentation mentale des locuteurs, les phrases au masculin sont plus largement interprétées comme désignant des hommes. Une séquence comme « Les dirigeants sont entrés dans la salle. Les femmes portaient des chemises blanches. » apporte de la surprise et un sentiment d’incohérence, bien plus que la séquence « Les dirigeants sont entrés dans la salle. Les hommes portaient des chemises blanches. »

Or les entreprises, dans leur communication, ont tout intérêt à s’adresser spécifiquement à leur cible. C’est d’ailleurs là que la performance des actions de communication se joue : connaître parfaitement son cœur de cible pour apporter des réponses plus pertinentes à ses besoins et l’encourager à amorcer un acte d’achat par exemple. Et pour ce faire : utiliser le langage qui saura le convaincre. L’écriture inclusive est un outil marketing qu’on ne peut pas disqualifier pour de seules raisons militantes.

Du côté de la marque employeur, l’usage de l’écriture inclusive porte également ses fruits. Une entreprise souhaitant recruter des femmes et des hommes a en effet tout intérêt à féminiser les postes (Directeur/Directrice des achats), ou du moins à neutraliser la désignation (Direction des achats). En effet, des études ont montré que les femmes sont moins enclines à répondre à une annonce lorsque celle-ci est rédigée uniquement au masculin.

UN MARQUEUR D’ENGAGEMENT

Pourtant aujourd’hui l’emploi du masculin fait défaut. Utiliser l’écriture inclusive dans sa communication est marqué. Un point médian n’est pas neutre, il affiche un positionnement. Est-ce aux entreprises de porter cet engagement ?

Une étude de Viavoice pour We Are Com révélait, en 2022, que les Français attendent des marques qu’elles jouent un rôle dans la société. Et pour 40 % d’entre eux, que ce soit en faveur de l’équité. Une enquête d’Ifop pour le Medef, en 2021, soulignait que les Français comptent davantage sur les entreprises que sur l’État pour améliorer les choses dans la société.

Les entreprises, dans leur communication, ont tout intérêt à s’adresser spécifiquement à leur cible

Les consommateurs attendent donc des marques qu’elles prennent position sur des faits sociaux. En proposant un horizon commun, les entreprises permettent à leur cible d’être, elle aussi, actrice du changement. Ici, l’emploi de l’écriture inclusive aurait une vertu de signalement. Grâce à des techniques de rédaction, une marque peut affirmer des valeurs d’égalité femme-homme. Elle soutient une cause. Et acheter cette marque offre à la cible la possibilité de soutenir également cette cause. L’engagement renforce ainsi la relation entre la marque et la cible.

Mais prendre position, c’est aussi s’exposer. C’est se heurter à des rejets de la part de fervents opposants. C’est marquer son entreprise d’une différence. C’est être questionné sur un sujet qui n’est pas forcément central pour la marque. Et c’est risquer de ne pas être compris par une certaine part de la population. Pour les personnes dyslexiques, par exemple, le travail de conversion grapho-phonétique est une difficulté. Et si aujourd’hui aucune recherche scientifique n’a pu affirmer une difficulté réelle et pérenne des personnes dyslexiques face aux techniques de l’écriture inclusive, certaines entreprises ne veulent pas prendre le risque de mettre de côté une part de leur audience.

LA FORME AU SERVICE DU FOND

De la même manière qu’une entreprise ne peut pas laisser un rédacteur parler au nom de la marque en disant « tu » et un autre en disant « vous », les entreprises ne doivent pas laisser la question de l’écriture inclusive au bon vouloir et aux convictions des différentes voix qui la portent.

Un discours de marque est destiné à faire remonter les éléments de positionnement. Par exemple, pour marquer la proximité et/ou une adresse à une cible jeune, une marque pourra faire le choix d’utiliser le tutoiement. Pour marquer de la fraîcheur ou de l’humour, une autre pourra faire usage d’emojis. Ce tutoiement, ces emojis, c’est le fond qui remonte à la surface, pour paraphraser Victor Hugo.

L’écriture inclusive est un instrument dont les marques peuvent s’emparer. Pour le faire de manière efficiente et cohérente, la constitution d’une charte éditoriale est primordiale. Dans cette charte, de même qu’on statue pour un tutoiement ou un vouvoiement, on doit penser l’utilisation de l’écriture inclusive.

Cela passe par le choix de formes de féminisation, quand l’usage n’est pas encore fixé (auteure ou autrice par exemple). Cela passe également par une injonction à l’utilisation systématique d’une écriture inclusive ou au contraire par son interdiction. Des versions plus nuancées peuvent également être imaginées. Par exemple, une marque peut restreindre l’utilisation du point médian aux contenus courts et de taille importante, comme les titres ou les boutons d’actions, pour manifester un positionnement tout en n’empêchant pas une bonne lisibilité.

L’engagement renforce la relation entre la marque et la cible

Prenons l’exemple de Shine, une banque en ligne affichant comme mission d’être « une force positive pour la société et l’environnement ». Sa communication utilise l’écriture inclusive mais n’affiche que très peu de points médians – un seul sur toute la page d’accueil par exemple. Des stratégies de remplacement sont mises en place, notamment une adresse directe par le « vous ».

Est-ce que l’écriture inclusive est une mode qui s’essoufflera bientôt ? Seul l’avenir pourra le dire. L’évolution de la langue se fait par son usage. Et la norme ne fait que consigner par la suite ces usages. À force d’employer des termes et des structures syntaxiques et à force de les entendre, une place leur est accordée. C’est donc l’habitude qui crée la règle. Et, en prenant la parole, en s’adressant à leurs cibles, les entreprises n’ont-elles pas leur rôle à jouer dans la propagation de cette habitude ? ■

 

APACOM

L’APACOM, association loi 1901, a pour objectif de promouvoir les métiers de la communication, de favoriser les échanges professionnels et de valoriser le rôle stratégique de la communication auprès des chefs d’entreprise et des décideurs de la région Nouvelle-Aquitaine.

Avec plus de 500 membres adhérents qui représentent la grande diversité des métiers de la communication : communicants en entreprises, agences, collectivités, administrations, prestataires, consultants, indépendants, formateurs et enseignants, elle représente l’une des plus importantes associations de communicants de France.

Sources :

Brauer M. Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. L’Année Psychol. 2008;108(02):243.

Bem S. et Bem D. Does Sex-Biased Job

Advertising « Aid & Abeit » Sex Discrimination? Journal of Applied Social Psychology, vol.3, 1973.

Haddad R. L’écriture inclusive, et si on s’y mettait ? Le Robert. 2023

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