C’est le projet de cinq amis bordelais, bien décidés à mener ensemble la « révolution agricole ». Comment ? En créant des fermes aquaponiques (voir encadré) installées sous des serres en milieu urbain. Mêlant dans un écosystème interdépendant aquaculture (l’élevage de poissons) et hydroponie (la culture de plantes hors sol, les racines dans l’eau), ces fermes sont « capables de produire au mètre carré 5 fois plus qu’en pleine terre, avec 10 fois moins d’eau et sans aucune chimie », explique enthousiaste Thomas Boisserie, président des Nouvelles Fermes (LNF), qu’il a fondées en 2019 avec quatre anciens collègues issus du secteur du e-commerce comme lui. Après avoir cofondé et dirigé la start-up Loisirs Enchères pendant 6 ans, le CEO s’est aujourd’hui donné pour « objectif de créer des vocations, pour trouver et former d’ici 2030 une nouvelle génération de fermiers et d’agriculteurs ». Il est accompagné dans sa tâche d’Édouard Wautier, COO en charge du « développement foncier en milieu urbain », auparavant cofondateur de la start-up bordelaise jestocke.com ; de Laura Gaury, CMO chargée de favoriser la vente directe et en circuit court en supprimant les intermédiaires, ancienne directrice commerciale de Loisirs Enchères ; de Paul Morel, ex-responsable éditorial de Loisirs Enchères devenu directeur technique de LNF. Cet ingénieur écologue, « dont le métier est d’adapter les cultures à l’environnement », précise Thomas Boisserie, est également spécialiste de la gestion de l’eau ; et enfin de Clément Follin-Arbelet, DAF des Nouvelles Fermes passé lui aussi par Loisirs Enchères, dont l’objectif est la rentabilité.
OBJECTIF PREMIER : LA RENTABILITÉ
Car si l’entreprise se revendique de l’économie sociale et solidaire (ESS), mettant en avant des piliers essentiels du développement durable tels que l’environnement, à travers une agriculture intensive sans chimie et peu gourmande en ressources ; le social, et notamment son travail avec les établissements et services d’aide par le travail (ESAT), les associations de travailleurs handicapés, de formation de mineurs non-accompagnés (MNA) ou de réinsertion, comme l’Atelier Remueménage, qui livre ses paniers ; le culturel, des visites de la serre étant organisées pour faire découvrir ce « maraîchage urbain » et en faire « un lieu de vie » ;

Les 5 cofondateurs des Nouvelles Fermes © D. R.
Les Nouvelles Fermes ont pour objectif premier d’être rentables et de nourrir les habitants dans un rayon de moins de 20 km. « Nous ne voulons pas seulement faire de la pédagogie, nous voulons être des paysans en ville, être productifs », insiste Thomas Boisserie, qui a également dirigé l’ONG Planète Urgence. LNF a pour cela créé en 2019 sa première ferme expérimentale, « Pauline », du nom de la grand-tante de sa cheffe fermière Sandra Charetiers (et du président de LNF), installée à Lormont sur une parcelle impropre à la culture pleine terre louée à Bordeaux Métropole. Pour un investissement total de 250 000 euros, Pauline permet aujourd’hui de produire 20 tonnes de produits frais et 2 tonnes de truites arc-en-ciel par an, et de générer 150 000 euros de revenus annuels pour 1 000 m2 de surface.
COMITÉ SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE
Rentable depuis cette année, Pauline « est la génération zéro de nos futures fermes : on y a fait plein d’expériences, d’erreurs… », sourit Thomas Boisserie. En effet, l’équipe des Nouvelles Fermes, qui a choisi de produire à Lormont en fonction des saisons moutarde, oseille, blettes, roquette, poireaux, ciboulette, cresson, céleri, chou cale, tomates, concombres, basilic ou encore mesclun et fenouil, nourris par les oligoéléments des déjections de 1 200 truites arc-en-ciel d’1,5 kg, est devenue un véritable laboratoire de l’aquaponie. « Quand nous nous sommes lancés, nous avons constaté qu’il y avait très peu de capitalisation scientifique sur cette méthode de culture pourtant millénaire », se souvient Thomas Boisserie.
Nous voulons trouver et former d’ici 2030 une nouvelle génération de fermiers et d’agriculteurs
Il décide alors de créer un comité scientifique et technique de R&D avec des chercheurs de l’Inra « pour créer du savoir paysan ». Une professionnalisation du métier qui semble avoir convaincu les investisseurs. Avec le soutien de l’Agence de développement et d’innovation de Nouvelle-Aquitaine (ADI-NA), Les Nouvelles Fermes viennent de lever 2 millions d’euros auprès du fonds d’investissement régional IRDI, de business angels, de la Banque des territoires, du Crédit Agricole Aquitaine et du CIC. « Cela va nous permettre de créer notre première vraie ferme prototype », affirme Thomas Boisserie.
NOURRIR 1 500 FAMILLES

© D. R.
Située sur une parcelle de 5 000 m2 entre l’aéroport de Bordeaux-Mérignac et la Rocade (dans la nouvelle zone d’activité Vert Castel 2), « Odette », du nom de la grand-mère de son futur chef fermier Lionel Moreau, « sera capable de produire 100 tonnes de légumes feuilles, de fruits et de poisson par an. Soit de quoi nourrir 1 500 familles », estime le directeur de LNF. Pouvant compter jusqu’à 17 salariés, le site deviendra la plus grande ferme d’aquaponie d’Europe, et un véritable modèle, notamment grâce à une convention de partenariat stratégique tout juste signée entre LNF et Orange, qui fournira à Odette « une constellation de capteurs ».
« Toutes les innovations mises en place ici seront ensuite déployées dans toutes les futures fermes que nous ouvrirons », indique Thomas Boisserie. L’entreprise n’a en effet pas l’intention de s’arrêter là. « Nous allons prochainement ouvrir des fermes dans 5 grandes métropoles françaises, l’ambition étant d’en créer partout en France et à l’étranger », annonce-t-il. La révolution a bel et bien commencé.
AQUAPONIE, MODE D’EMPLOI
Pratique agricole ancestrale, qui fait son retour en France depuis une dizaine d’années, l’aquaponie, contraction d’aquaculture et d’hydroponie, consiste à créer « un écosystème qui fonctionne tout seul », explique Thomas Boisserie. Chez Pauline, des Nouvelles Fermes, on trouve d’un côté un élevage de truites arc-en-ciel, dans des cuves de 10 m3, dont les eaux usées sont envoyées vers une mini-station d’épuration qui leur applique successivement décantation, filtration fine et enfin filtration bactérienne. « L’ammoniac des déjections est ainsi transformé en nitrate assimilable par les plantes », précise Thomas Boisserie. Les plantes, quant à elles, sont cultivées sous serre hors sol. Après avoir germé dans des pots contenant du substrat à base de fibres de coco, elles sont installées les racines dans l’eau issue des poissons, qui leur apporte tous les nutriments nécessaires. Une fois filtrée par les plantes, l’eau redevient propre et peut ainsi retourner vers les poissons. Le cercle vertueux est bouclé.
LES NOUVELLES FERMES EN CHIFFRES
Date de création : 2019
Nombre de cofondateurs : 5
Investissement dans
Pauline (1 000m2) : 250 000 euros
Levée de fonds : 2 millions d’euros
Investissements prévus :
- 1,2 millions d’euros pour Odette (5 000m2)
- 800 000 euros en R&D
Capacité de production :
- 20 tonnes de produits frais par 1 000 m2
- 18 kg de poisson par m3
Revenus générés : 150 000 euros par 1 000 m2
Effectifs par ferme : entre 3 et 17 personnes