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Loi sur l’industrie verte : quelles nouveautés pour les porteurs de projets ?

TRIBUNE DU BARREAU DE BORDEAUX - Après plusieurs mois de débats, la loi n° 2023-973 relative à l’industrie verte a été adoptée le 23 octobre 2023. À l’objectif économique de réindustrialisation, s’ajoute celui d’une meilleure réhabilitation du foncier industriel. Focus sur ces deux mesures phares de la loi.

Laurence ESTEVE DE PALMAS

Laurence ESTEVE DE PALMAS © Atelier Gallien - EJG

Faciliter l’implantation des sites industriels

 

Nouvelle procédure de consultation du public

Aujourd’hui, les délais d’implantation d’une usine en France sont deux fois plus élevés que dans d’autres pays européens. La loi commence donc par créer dans son article 4 une nouvelle procédure de consultation du public, pour les demandes d’autorisation environnementale soumises à enquête publique : elle sera conduite par voie électronique mais sous le contrôle d’un commissaire enquêteur et, surtout, aura lieu en même temps que l’instruction du projet par l’administration. L’objectif est de permettre au public d’être informé du projet et d’avoir le temps de se prononcer puisque la durée de la consultation est portée à trois mois au lieu d’un seul, mais tout en réduisant le délai global d’instruction puisque la phase de consultation sera menée concomitamment à la phase d’instruction de la demande.

Cette procédure sera applicable aux demandes d’autorisation environnementale déposées à compter d’une date fixée par décret, et au plus tard un an après la publication de la loi.

 

Mutualisation des concertations préalables

Dans le même ordre d’idées, la loi permet désormais de mutualiser les concertations préalables dans le cadre de projets d’aménagement à l’échelle d’une zone géographique délimitée. Cette procédure globalisée permettra de dispenser de débat public propre ou de concertation préalable les projets sur ce territoire, si leur mise en œuvre débute dans les huit ans suivant la fin de ce débat ou concertation d’ensemble.

 

Limitation des recours contentieux « abusifs »

La loi souhaite aussi limiter les recours contentieux contre les autorisations environnementales qui sont l’une des principales sources de retard dans le développement des projets industriels et les projets d’énergies renouvelables. Elle complète ainsi l’article L. 181-17 du code de l’environnement qui permet désormais de sanctionner les recours abusifs, à l’instar de ce qui existe déjà pour les permis de construire à l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme.

Désormais, le bénéficiaire d’une autorisation environnementale qui fait l’objet d’un recours en annulation pourra présenter au tribunal saisi du dossier une demande de réparation du préjudice qu’il estime subir en raison du dépôt de ce recours. Cette demande devra être présentée au cours de la procédure d’instruction du recours en cause et faire l’objet d’un mémoire distinct démontrant le comportement abusif ainsi que la nature et l’étendue de son préjudice et le lien avec la faute du requérant.

 

Sites naturels de compensation et de renaturation

La facilitation des implantations industrielles se traduit aussi par la relance des sites « clés en main ».

Un site « clé en main » est un site immédiatement disponible, pouvant recevoir des activités industrielles ou logistiques relevant en principe de la réglementation des ICPE, et pour lesquelles les procédures relatives à l’urbanisme, l’archéologie préventive et l’environnement ont été anticipées afin de permettre l’instruction des autorisations nécessaires à l’implantation d’une nouvelle activité, dans des délais qui se veulent fiables et maîtrisés.

La réglementation prévoit que lorsque l’impact d’un projet sur l’environnement ne peut être évité ou réduit, il doit alors être compensé. Cette compensation est cependant parfois difficile à mettre en œuvre.

L’article 15 de la loi sur l’industrie verte modifie donc le code de l’environnement en y créant notamment une nouvelle section intitulée « sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation ». Désormais, le nouvel article L. 163-1 A du code permet à des personnes publiques ou privées de mettre en place sur ces sites « des opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité ».

Le gain écologique issu de ces sites est alors identifié par des unités de compensation, de restauration ou de renaturation, qui peuvent être vendues à toute autre personne publique ou privée pour lui permettre de compenser un projet. Ces sites peuvent aussi donner lieu à l’attribution de crédits carbone au titre du label « bas carbone ».

L’objectif de la loi est ainsi de permettre aux porteurs de projets de se servir de ces écosystèmes restaurés pour réaliser leurs opérations de compensation par anticipation grâce à l’utilisation de ces unités, acquises sur une plateforme en ligne qui sera mise en place par l’État dans un délai de 2 ans à compter de la promulgation de la loi.

Pour pouvoir recevoir la qualification de site naturel de compensation, de restauration et de renaturation, il est nécessaire d’obtenir au préalable un agrément de l’administration qui est délivré en fonction de différents critères parmi lesquels le gain écologique attendu, la continuité écologique dans laquelle le site s’inscrit, sa superficie et la pression anthropique qu’il subit.

Ce dispositif a vocation à remplacer le mécanisme actuel des « sites naturels de compensation », considérés comme trop complexes.

La mise en œuvre de ces nouveaux sites est néanmoins soumise à l’adoption d’un décret qui doit notamment venir préciser les modalités d’agrément et de suivi de ces sites ainsi que les modalités de la vente des unités de compensation.

 

Procédure dérogatoire pour l’implantation des gigafactories

 

Enfin, une procédure dérogatoire simplifiée est aussi prévue pour des projets d’intérêt national qui contribuent de manière stratégique au développement de l’industrie verte. Cette procédure spécifique est réservée aux projets de très grandes usines ou gigafactories qui seront identifiés par décret : accélération de la mise en compatibilité des documents locaux d’urbanisme et de planification régionale, délivrance du permis de construire par l’État (mais avec un mécanisme d’accord de la collectivité locale), reconnaissance préétablie d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) permettant de porter atteinte à une espèce protégée.

 

2. Faciliter la réhabilitation et la reconversion des friches industrielles

 

Dans un contexte de lutte contre l’artificialisation des sols (l’objectif « ZAN » – zéro artificialisation nette – doit être atteint en 2050) et de raréfaction du foncier, notamment industriel, la loi sur l’industrie verte cherche aussi à encourager la réhabilitation des friches. Elles représentent en effet environ 170 000 hectares à valoriser.

Les friches font déjà l’objet de différents dispositifs avantageux comme un bonus de constructibilité de 30 % par dérogation aux règles d’un PLU pour les projets de construction.

 

Poursuite de la fluidification des cessations d’activité

 

Dans cette perspective, le chapitre 4 de la loi sur l’industrie verte contient plusieurs dispositions de nature à fluidifier la cessation d’activité des sites relevant de la réglementation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (« ICPE »).

Tout d’abord, il est désormais possible, pour les exploitants de sites industriels dont la cessation d’activité a été notifiée à l’administration avant le 1er juin 2022 – date d’entrée en vigueur de la réforme de la cessation d’activité – de bénéficier des dispositions de ce nouveau régime, lequel est issu du décret n° 2021-1096 du 19 août 2021, pris en application de l’article 57 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 (loi « ASAP »). La seule condition est que les opérations de mise en sécurité aient été régulièrement menées à leur terme et que le préfet n’ait pas fixé de prescriptions de remise en état ou de surveillance du site.

Cela permet à l’exploitant de produire les attestations d’un bureau d’études certifié confirmant notamment l’adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site et la mise en œuvre de ces mesures afin de clôturer plus rapidement l’aspect administratif de la cessation d’activité.

Un décret doit venir préciser les conditions d’application de cette possibilité qui est prévue jusqu’au 1er janvier 2026.

La loi prévoit aussi l’élargissement de la procédure de tiers demandeur aux mesures de mise en sécurité des sites classés ICPE. Jusqu’ici, seule l’obligation de remise en état pouvait être transférée par l’exploitant, qui conservait la responsabilité de la mise en sécurité du site : cela conduisait parfois à des blocages car ces opérations préalables peuvent représenter des coûts importants que l’exploitant en fin d’activité n’était pas en mesure de supporter. Il pourra donc transférer aussi cette responsabilité à un tiers, sous réserve de l’accord préalable du préfet.

De même, la loi élargit la possibilité offerte au préfet par l’article L. 512-19 du code de l’environnement de mettre en demeure l’exploitant de procéder à la mise à l’arrêt définitif de son site classé ICPE si cette ICPE n’a pas été exploitée durant trois années consécutives. Désormais, le préfet pourra appliquer cette procédure à une partie du site seulement, si cette partie du terrain n’a pas été exploitée depuis trois ans. Là encore, l’objectif est de libérer du foncier pour le réhabiliter et lui permettre d’accueillir un nouveau projet.

 

Des créances environnementales privilégiées

 

En vue d’éviter les défaillances des exploitants d’installations classées dans la remise en état des sites qu’ils ont pollués (ce qui peut là aussi compliquer un processus de vente et de reconversion d’une friche industrielle), la loi sur l’industrie verte consacre un nouveau privilège en matière environnementale en cas de procédure collective et modifie les articles L. 641-13 et L. 643-8 du Code de commerce.

Cette disposition permet, en cas de liquidation judiciaire d’une entreprise exploitant des ICPE, de faire en sorte que les dépenses de mise en sécurité du site deviennent des créances prioritaires. Ces dépenses sont ainsi « seniorisées » dans le classement des créances puisque la loi crée un rang pour la créance environnementale dans la liste des créances privilégiées.

Par ailleurs, les dépenses correspondant à la mise en sécurité du site figurent désormais dans la liste des créances à payer à leur échéance lorsqu’elles sont nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire. Ce faisant, le législateur montre qu’il a pris en compte le caractère d’urgence que revêt souvent l’adoption de mesures de mise en sécurité.

On notera néanmoins que seuls les frais nécessaires à la mise en œuvre des mesures relatives à la mise en sécurité sont visés par le nouveau texte, ce qui semble donc exclure les frais correspondant à la réhabilitation du site.

Dans le même ordre d’idée, la loi renforce la possibilité pour l’administration, aux articles L. 171-7 et 8 du code de l’environnement, d’imposer à l’exploitant qui ne respecte pas la réglementation applicable de consigner les sommes correspondant au montant des travaux à réaliser, comme par exemple des travaux de mise en sécurité de remise en état.

Le texte ajoute que, désormais, ces sommes seront insaisissables et bénéficieront d’un privilège en cas de liquidation judiciaire de l’exploitant, de manière à s’assurer qu’elles seront bien affectées à la protection de l’environnement. Les sanctions administratives en cas de non-respect de la réglementation environnementale sont par ailleurs alourdies.

 

La notion de friches mieux définie

 

Indépendamment de la loi sur l’industrie verte mais dans sa continuité, un projet de décret précisant les modalités d’application de la notion de « friche » dans le code de l’urbanisme a été mis en consultation le 25 octobre jusqu’au 15 novembre 2023.

La loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 est en effet venue définir la notion de friche à l’article L. 111-26 du code de l’urbanisme comme « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables ».

Deux conditions cumulatives permettent ainsi de définir une friche :

– le caractère inutilisé d’un bien bâti ou non bâti ;

– l’impossibilité de réemployer ce bien sans y réaliser d’aménagement ou de travaux préalables.

 

Le projet de décret en cours d’adoption vient préciser les critères à prendre en compte pour identifier une friche, parmi lesquels devraient figurer :

1° une concentration élevée de logements vacants ou d’habitats indignes ;

2° un ou des locaux ou équipements vacants ou dégradés en particulier à la suite d’une cessation définitive d’activités ;

3° une pollution identifiée pour laquelle son responsable ou l’exploitant du site, son ayant droit ou celui qui s’est substitué à lui a disparu ou est insolvable ;

4° un coût significatif pour son réemploi voire un déséquilibre financier probable entre les dépenses d’acquisition et d’interventions, d’une part et le prix du marché pour le type de biens concernés, ou compte tenu du changement d’usage envisagé, d’autre part.

 

Toutes ces précisions législatives et réglementaires sur les friches et leur régime juridique devraient permettre, à terme, des reconversions plus rapides et efficaces.

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