« Notre priorité, c’est l’eau ». Issue d’une trentaine d’années de recherche fondamentale, la start-up MolluSCAN-eye a développé un outil unique de biosurveillance de la qualité des eaux en continu. Fondée en 2023 par Ludovic Quinault, ingénieur en économétrie et statistiques passé à la direction de plusieurs entreprises à l’international, et Jean-Charles Massabuau, directeur de recherche émérite en biologie marine à la station marine d’Arcachon, rattachée à l’université de Bordeaux, l’entreprise est une spin-off du CNRS incubée par la SATT Aquitaine.
Le mouvement des valves
Spécialiste de la physiologie respiratoire des animaux aquatiques, Jean-Charles Massabuau se spécialise à son arrivée à Arcachon sur les mollusques bivalves : moules, huîtres, palourdes, pétoncles… qui peuplent les eaux marines et douces du monde entier depuis plus de 450 millions d’années. « L’analyse du mouvement de leurs valves permet de savoir s’ils vont bien ou non : si leurs mouvements et leurs rythmes biologiques changent, c’est qu’ils sont perturbés par la chimie de l’eau », explique le chercheur.
Dès 2006, il transfère son travail du laboratoire au terrain, d’abord dans les eaux du bassin d’Arcachon, puis des eaux gelées du Pôle Nord aux eaux chaudes des Tropiques et jusqu’aux eaux très chaudes du golfe Arabo-Persique. Et décide à l’heure de la retraite de se lancer dans l’entrepreneuriat pour « transférer sa technologie à la société. Et pouvoir suivre à distance l’évolution de la qualité des eaux, à travers le bien-être et le comportement des mollusques bivalves, qui en sont le témoin », décrit-il.
Robuste, frugal et non invasif

Des huîtres connectées de l’étang de Thau. © MolluSCAN-eye
Concrètement, MolluSCAN-eye utilise l’animal comme capteur, avec une technologie non invasive. « Nous choisissons un groupe de 16 mollusques bivalves locaux, sur les coquilles desquels nous branchons des électrodes ultralégères, qui sont l’équivalent de petits électroaimants. Elles nous permettent de mesurer l’activité biologique et les paramètres physiologiques de l’animal en suivant les mouvements des valves à haute fréquence, avec une précision de l’ordre du micromètre », explique Jean-Charles Massabuau. « Une précision qui permet de voir l’invisible », ajoute Ludovic Quinault, à travers l’analyse en temps réel de l’amplitude d’écartement des valves, la croissance journalière, les pontes, les rythmes biologiques, la mortalité, les durées d’ouverture, l’agitation et la vitesse de contraction…
Nous suivons à distance l’évolution de la qualité des eaux, à travers le bien-être et le comportement des mollusques bivalves
Les électrodes sont reliées à un boîtier sous-marin, lui-même relié à un boîtier hors de l’eau, équipé d’un panneau solaire et d’une antenne GSM, pour envoyer les données recueillies vers les serveurs de MolluSCAN-eye, à Bordeaux. « Nous recevons près de 2,5 millions de données par jour. Nous avons développé un outil interne de statistiques et de mesures, avec un système d’alerte et de détection précoce de pollution. Comme nous surveillons sur la durée, nous sommes capables d’identifier même les pollutions silencieuses sur le long terme », assure Ludovic Quinault.
Robuste (certains équipements étant sous l’eau depuis près de 4 ans), frugale en énergie et autonome, la technologie de MolluSCAN-eye ne nécessite que très peu de maintenance.

Des palourdes corbiculas équipées d’électrodes de MolluSCAN-eye © MolluSCAN-eye
Suez, EDF et le Port de Bordeaux
Installée sur près de 80 sites dans le monde depuis 2006, cette innovation a déjà de nombreux cas d’usage, « qui valident la pertinence du modèle », estime Ludovic Quinault. MolluSCAN peut ainsi intervenir pour la surveillance des eaux à des fins environnementales ; en amont et en aval des stations de traitement des eaux usées (la solution est référencée par Suez) ; mais aussi autour d’installations énergétiques : centrales nucléaires, barrages hydroélectriques (l’entreprise travaille notamment avec EDF), éolien offshore, raffineries ou plateformes pétrolières (Jean-Charles Massabuau a collaboré sur ce sujet avec TotalÉnergies dès 2006).
Pour le secteur de l’aquaculture, MolluSCAN examine par exemple les conséquences de la potentielle installation de la ferme Pure Salmon au Verdon, assiste les ostréiculteurs de l’étang de Thau et a accompagné l’économie des huîtres perlières noires dans les lagons de Polynésie.
Enfin, la technologie de MolluSCAN-eye permet également de surveiller la qualité des eaux dans les ports industriels, comme le Grand port maritime de Bordeaux (GPMB), qui accueille les bureaux de la start-up, lauréate de l’appel à projets Technoports du GPMB et de Bordeaux Technowest, et bientôt le port industriel de Koper, en Slovénie. Mais aussi pour les ports de plaisance, et notamment celui de Golfe-Juan, « qui fait des efforts dans le cadre de ses engagements environnementaux, et partage les informations collectées avec ses usagers à travers notre application », détaille le dirigeant.

« Biosurveillance en cours » des huîtres de l’étang de Thau. © MolluSCAN-eye
Récompenses
« Nous avons déjà des clients, et de nombreux contacts dans le monde, mais vendre une innovation de rupture prend du temps », poursuit Ludovic Quinault. « Nous sommes les premiers au monde à avoir une solution finalisée, qui a fait l’objet de dizaines de thèses et plus d’une centaine d’articles scientifiques », ajoute Jean-Charles Massabuau.
Récompensée lors des CES Innovation Awards 2025, sélectionnée dans l’Index Blue Tech du cluster maritime français, ou encore lauréate des Trophées du Grand Pavois de La Rochelle en 2024, MolluSCAN-eye se sert de ces concours d’innovation et salons internationaux « pour faire augmenter sa visibilité et sa notoriété dans ces réseaux. C’est notre stratégie pour nous faire connaître auprès des professionnels et nous développer », assure Ludovic Quinault.

Jean-Charles MASSABUAU et Ludovic QUINAULT, cofondateurs de MolluSCAN-eye © Jennifer Wunsch – EJG
Première levée de fonds
Avec un modèle économique reposant sur la vente de matériel et la prestation de service sur abonnement, comprenant les informations de surveillance, les rapports d’activité, le système d’alerte et de détection précoce des pollutions et la maintenance, MolluSCAN-eye a déjà enregistré un chiffre d’affaires de 90 000 euros en 2024 après une seule année d’activité.
Autofinancée depuis le début par ses deux fondateurs, la jeune entreprise a initié début 2025 sa première levée de fonds. « Nous recherchons environ 500 000 euros, idéalement auprès de business angels ou de fonds d’amorçage. Nous disposons d’un produit opérationnel et de la licence exclusive du brevet qui appartient à l’université de Bordeaux. Les investissements sont déjà faits, l’idée est désormais de développer l’entreprise et d’accélérer, en embauchant nos premiers salariés », annonce Ludovic Quinault.

La technologie MolluSCAN-eye in situ sur des huîtres de la ville côtière de Piran, en Slovénie. © MolluSCAN-eye