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Nouvelle-aquitaine : Les TPE en mode survie

Le Cecogeb, organisme consulaire qui analyse chaque année les comptes de 30 000 Très Petites Entreprises (TPE) néo-aquitaines, en collaboration avec les Organismes de Gestion Agréés, nous livre les résultats de son dernier baromètre et ses prévisions pour l’année. Entre transitions et inflation, les TPE n’auront qu’une solution : s’adapter et investir pour se développer, estime Éric Stéphant, son directeur général.

Éric Stéphant, Cecogeb

Éric Stéphant, DG du Cecogeb © Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Échos Judiciaires Girondins : Vous éditez chaque semestre un baromètre des TPE de Nouvelle-Aquitaine. Quels sont les enseignements les plus marquants à retenir pour l’année qui commence ?

Éric Stéphant : « Parmi les éléments les plus importants de notre dernier baromètre de l’activité des TPE en Nouvelle-Aquitaine, il faut noter qu’encore 30 % d’entreprises affirmaient ne pas avoir retrouvé leur niveau d’activité d’avant crise au deuxième semestre 2022. Deuxième contre-vérité : seulement 3 TPE sur 10 ont fait appel aux PGE. Elles n’ont pas eu cette lec- ture de gestion de l’effet de levier possible qu’ont pu avoir les PME. D’autre part, elles ont actuellement des niveaux de trésorerie jamais vus, mais totalement artificiels. En général, la part des entreprises ayant une trésorerie négative en fin d’exercice est d’environ 15 %. Cela n’a pas d’incidence particulière et fait partie de la vie des très petites entreprises. Au plus haut de la crise de 2008, ce taux est monté à 22 %. Là, il est tombé à 4-5 %. Cela veut dire que les reports de charges sociales et de remboursement d’emprunt, les subventions et les aides ont eu un fort impact. Au-delà de ces éléments, reste à savoir si la crise a été seulement conjoncturelle ou s’il y a également une crise structurelle, notamment du point de vue des recrutements. »

 

EJG : Quelles conséquences l’inflation, liée notamment à l’augmentation du coût de l’énergie et des matières premières, aura-t-elle sur les TPE en 2023 ?

É. S. : « Nous allons faire un focus sur l’inflation dans notre prochain baromètre afin d’essayer d’en mesurer l’impact sur les TPE. Le risque principal est une baisse des marges et de la rentabilité des entreprises. On le voyait déjà fin 2022 : les entrepreneurs avaient du mal à répercuter les hausses des prix sur leurs achats, qu’ils ne savent pas forcément négocier, ou sur leurs prix de vente. Mais l’inflation n’est pas un phénomène nouveau, elle a démarré au terme de la crise sanitaire, sur la partie boulangerie par exemple, avec une hausse du prix des matières premières. Là, c’est la hausse du coût de l’énergie qui arrive. Mais les impacts seront plus importants sur les PME, dont certaines ont déjà dû diminuer leur production en raison du poids de l’énergie. Les TPE seront impactées, comme tout le monde, mais le poste énergie ne représentera jamais plus de 3 % de leur chiffre d’affaires. Je pense qu’elles pourront absorber et diluer l’augmentation de ce poste.

Les TPE seront impactées comme tout le monde mais le poste énergie ne représentera jamais plus de 3 % de leur chiffre d’affaires

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EJG : Selon vous, ce sont surtout les taux d’intérêt des emprunts bancaires qui vont peser sur les TPE…

É. S. : Alors qu’il y a 2 ans à peine, les taux d’intérêt plafonnaient à 1 %, on ne trouve plus d’emprunt bancaire à moins de 4 % aujourd’hui. Ces tensions sur les taux d’intérêt vont toucher à la structure même des entreprises, à leur capacité à financer leurs investissements. On va également le peser dans le prochain baromètre. Les TPE ont actuellement des trésoreries pleines, et n’ont pas énormément investi en 2022 selon notre dernier baromètre. Cela risque de se poursuivre. Les TPE sont par essence des entreprises qui peuvent avoir du mal à investir, car elles ont du mal à s’endetter. Au Cecogeb, nous les incitons à investir, car le développement d’une entreprise passe par l’investissement. La deuxième conséquence sera sur la reprise et la création d’entreprise. Tout cela va engendrer une baisse de l’encours crédit.

 

EJG : Après une longue accalmie, le retour des défaillances d’entreprises est annoncé pour 2023. Dans quelle mesure les TPE seront-elles concernées ?

É. S. : Avec les PGE, il y a eu un effet d’aubaine pour les entreprises qui étaient déjà en difficulté et ont eu accès à des emprunts qu’elles n’auraient pas eu en temps normal. Cela a engendré une suspension des dépôts de bilan. On devrait donc certainement revenir à un taux de défaillance normal, c’est mécanique. Mais la situation des trésoreries des TPE est bien meilleure, et jusqu’ici, on voit très peu d’incidents sur les remboursements de PGE. Je pense que l’on n’ira pas forcément vers beaucoup de dépôts de bilan. D’ailleurs, selon notre second indicateur, qui analyse l’activité des TPE par le prisme de la TVA, tous les voyants étaient au vert fin novembre. Il y a une différence entre ce que montrent les chiffres et les discours que l’on entend…

 

EJG : C’est-à-dire ?

É. S. : Si on prend l’exemple des CHR, selon eux, l’année 2021 a été très mauvaise. Or, à travers la TVA, on voit que l’activité a très bien redémarré. En revanche, on constate que la demande a changé. Par exemple, la mise en place du télétravail impacte clairement le business pour les CHR d’affaires.

Ce n’est pas simple d’être chef d’entreprise et ce n’est pas donné à tout le monde

Et après les fermetures de 2020 et 2021, les difficultés de recrutement sont quant à elles très problématiques. Mais elles nécessiteraient une réflexion, de prendre de la hauteur. De même que dans le bâtiment, où les artisans ont toujours évoqué leurs difficultés de recrutement. Or dans ce secteur, nous avons des adhérents qui emploient une quinzaine de personnes, dont des apprentis, et d’autres avec le même profil qui n’arrivent pas à passer le seuil de deux salariés. Cela renvoie à d’autres problématiques comme les compétences en management, la capacité à piloter des équipes, à recruter, à fidéliser et à former les gens. Les réponses à apporter ne sont pas évidentes. Ce n’est pas simple d’être chef d’entreprise et ce n’est pas donné à tout le monde. Derrière les difficultés de recrutement et de pénurie, il faut remettre les choses dans leur contexte et dans leur cadre de référence. Certains chefs d’entreprises y arrivent vraiment bien. D’autres sont plutôt dans une logique de TPE sans effectifs. »

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EJG : Selon vous, le développement est indispensable à la pérennité des TPE ?

É. S. : « Les TPE doivent savoir être dans une dynamique de développement, sinon elles risquent de se faire rattraper par la concurrence et de disparaître. Dans certains secteurs d’activité, les dirigeants ne pilotent leur entreprise que pour dégager leur salaire, c’est du social. Mais les TPE doivent avoir une lecture économique, un projet permettant de dégager des salaires et des profits pour asseoir une structure économique, acheter du matériel, recruter… Le développement fait partie de la vie de l’entreprise, sinon elle devient obsolète. Le développement, soit vous l’anticipez, soit vous le subissez. Par exemple, un restaurateur doit savoir renouveler son mobilier, avoir un piano propre et aux normes, sinon sa facture d’énergie sera trop importante. Dans le bâtiment, si l’artisan n’a pas la bonne nacelle, pas le bon matériel, il ne pourra pas travailler. »

 

EJG : Le baromètre évoque justement d’autres thématiques comme la transition numérique des TPE, que l’on pensait accélérée par la crise sanitaire. Or on constate que seulement 3 TPE sur 10 se sentent concernées par le numérique…

É. S. : « D’importants fonds et dispositifs ont été mis en œuvre par la Région Nouvelle-Aquitaine et les services de l’État, des conseillers numériques ont été recrutés en lien avec les organismes consulaires. Mais aujourd’hui, pour un boucher-charcutier, un artisan du bâtiment ou un prothésiste dentaire, que signifie le numérique ? On constate que, sur le terrain, la culture des TPE en est totalement éloignée. Les dispositifs d’aide ont finalement plutôt concerné les PME qui, elles, ont du personnel et des compétences pour s’en occuper. Pendant la crise sanitaire, il y a eu beaucoup d’initiatives mises en œuvre de façon très réactive comme des plateformes de mutualisation et des projets de marketplace pour les commerçants. Mais cela n’a pas fonctionné. Il y a certainement un trait de pédagogie et d’accompagnement à avoir. Entre l’offre et la demande, il y a clairement un pont à franchir. Les seuls exemples qui ont fonctionné sont ceux qui ont mis en place de l’assistanat avec deux ou trois personnes à disposition pour faire la page web, aller prendre des photos, faire les textes, etc. Tout cela ne date pas de la crise sanitaire et concerne également les fondamentaux, comme la sauvegarde des systèmes informatiques, etc. »

 

EJG : Certains secteurs parviennent-ils mieux que d’autres à s’adapter au contexte économique actuel ?

É. S. : « À l’heure de la transition écologique, où même l’accord d’un prêt bancaire est conditionné à certains critères écologiques, mais aussi de la transition numérique, la plupart des secteurs vont devoir investir dans du matériel. Certains, comme les CHR, vont devoir s’adapter en termes d’organisation du travail, notamment, car il existe une demande des salariés à laquelle il faut répondre, comme avoir plus de jours de repos dans la semaine. Cela peut permettre au final de fermer les jours où on a moins de clients, tout en faisant baisser la facture énergétique. Il faut aussi tenir compte de son environnement direct, de sa concurrence. Cette adaptation nécessaire à l’environnement commercial ne date pas d’aujourd’hui et a déjà fait disparaître beaucoup de petits artisans… Comme dans la grande distribution, où le rayon boucherie simule l’artisan boucher et le rayon boulangerie montre les pains cuisant dans les fours. Il faut tenir compte de la baisse du pouvoir d’achat et de cette concurrence. C’est un sujet qui ne date pas d’aujourd’hui… Il faut avoir ces lectures. Toutes les entreprises doivent s’adapter. Y compris les TPE. »

 

ÉNERGIE : LES AIDES AUX TPE PRÉVUES PAR L’ÉTAT

Le 12 janvier, la préfecture de la Gironde présentait les dispositifs d’aide mis en place par l’État pour limiter la facture d’énergie des TPE. Le bouclier tarifaire permet ainsi aux entreprises de moins de 10 salariés avec un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros et un compteur électrique d’une puissance inférieure à 36 kVA de contenir la hausse des prix de l’électricité à 15 %. Les TPE ayant renouvelé leur contrat de fourniture d’électricité au second semestre 2022 pourront également toutes bénéficier d’un tarif réglementé limité à 280 euros/MWh en moyenne sur 2023. Pour les entreprises non éligibles au bouclier tarifaire, l’amortisseur électricité prend en charge environ 20 % de la facture totale d’électricité des TPE et PME ayant un prix unitaire de la part énergie de 350 euros/MWh. Enfin, pour une entreprise qui bénéficie de l’amortisseur électricité et dont les dépenses d’énergie représentent toujours 3 % du chiffre d’affaires 2021 après sa prise en compte, un guichet d’aide au paiement des factures de gaz et d’électricité sera ouvert prochainement sur le site impots.gouv.fr.

 

BAROMÈTRE DES TPE : CE QU’IL FAUT RETENIR

3 TPE sur 10 n’ont pas retrouvé leur niveau d’activité d’avant crise

6 TPE sur 10 sont impactées par la hausse des prix

3 TPE sur 10 déclarent des difficultés d’approvisionnement

40 % des TPE subissent une baisse des commandes / de la fréquentation

1 TPE sur 3 anticipe des problèmes de trésorerie

5 TPE sur 10 ne répercutent pas les tensions inflationnistes sur leurs prix de vente

53 % des TPE qui rencontrent des difficultés de recrutement les estiment dues à une pénurie de main-d’œuvre

Près de 1 TPE sur 2 envisage la mise en œuvre d’un plan de restructuration

81 % des TPE n’envisagent pas de réaliser d’investissement

4 TPE sur 10 attendent un contexte économique plus favorable

Plus de 4 TPE sur 10 sont en attente d’un soutien financier

70 % des TPE se sentent concernées par la transition écologique

60 % des TPE ne se sentent pas concernées par la transition numérique

Enquête réalisée en septembre 2022 par le Cecogeb et les OGA, auprès de 602 TPE néo-aquitaines représentatives de 13 secteurs d’activité

LE CECOGEB EN CHIFFRES

Date de création : 1976

Zone : Nouvelle-Aquitaine

Employés : 10

TPE analysées par an : 30 000

CA moyen des TPE : 180 000 euros

100 % des TPE ont moins de 10 salariés

Les 2/3 des TPE n’ont pas de salariés

LE CECOGEB EN BREF

« Petits commerces, artisanat, CHR… Les très petites entreprises (TPE) sont notre cœur de métier et notre vecteur premier d’existence », résume Éric Stéphant, directeur général du Cecogeb depuis 19 ans. Créé en 1976 par la CCI Bordeaux-Gironde et les organismes de gestion agréés (OGA), le Cecogeb (Organisme consulaire pour la gestion et l’entrepreneuriat) réalise le contrôle fiscal des TPE de toute la région Nouvelle-Aquitaine, et en échange, octroie à ces entreprises de moins de 10 salariés des avantages fiscaux. « Nous contrôlons chaque année 30 000 liasses fiscales issues des bilans et comptes de résultats des TPE », détaille Éric Stéphant, dont l’autre mission est « d’inciter les entreprises à avoir recours aux experts comptables ». S’appuyant sur ces données, le Cecogeb a créé un outil exclusif appelé « Regards sur la TPE », publié une fois par an, permettant de montrer l’évolution d’indicateurs tels que la rentabilité ou l’activité des TPE.

Depuis la crise sanitaire, il édite également un baromètre semestriel des TPE et un outil montrant les variations de TVA afin de suivre l’évolution de l’activité à deux trimestres près. Disposant d’un conseil d’administration présidé par la CCI Bordeaux-Gironde, le Cecogeb s’est vu désigner par Patrick Seguin un élu consulaire, Marli Marchyllie, en tant que présidente déléguée.