Couverture du journal du 29/11/2025 Le nouveau magazine

[ Tribune ] Loi de finances, dette, municipales… Et l’entreprise au milieu de tout ça ?

Nos entreprises ont besoin de vision à court et moyen terme, et d’un minimum de stabilité législative pour entreprendre, investir, recruter, former… Bref pour faire tourner le pays. Or, aujourd’hui, et surtout depuis la dissolution de l’Assemblée Nationale en juillet 2024, tout le monde attend tout le monde !

Patrick SEGUIN, président de la CCI Bordeaux-Gironde © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Notre pays vit une période d’instabilités politiques, sociales et économiques sans précédent ! Les forces politiques du pays s’entre-déchirent depuis deux ans et ne remplissent plus le contrat pour lesquels les Français les ont élus. Du côté des entreprises, les investissements et les recrutements sont arrêtés ou reportés, les créations et les transmissions sont ajournées ou abandonnées. Et le nombre d’entreprises en difficulté contraintes de se mettre sous la protection des tribunaux de commerce n’a jamais été aussi élevé.

Alors, que faisons-nous ? Qu’attendons-nous concrètement de nos parlementaires et des candidates et candidats aux élections municipales prévues pour mars 2026 ?

Avec mon expérience de président de la chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux et de la Gironde depuis mars 2017, et de mon implication au quotidien auprès des 130 000 entreprises de notre territoire girondin, j’ose modestement proposer quatre pistes à l’attention de nos politiques.

1°) Engageons un grand « ménage » des structures diverses et variées, (les fameux « machins ») qui font la même chose et qui se marchent sur les pieds, le tout avec de l’argent public dans la grande majorité des cas. Les entreprises ont besoin de clarté, de simplicité et d’efficacité pour investir et se développer. Un seul exemple : pour se faire accompagner dans un projet d’exportation de produits ou de savoir-faire à l’étranger, une entreprise de Nouvelle-Aquitaine n’a pas moins de huit structures différentes qui proposent leurs services, leurs financements et subventions, leurs organisations de voyages et de congrès à l’étranger, etc.

Nous nous croisons dans les aéroports entre Français qui vont dans le même pays, alors que nos concurrents, Chinois, Américains, Turcs et autres Russes « chassent en meute » derrière une seule entité. Et je parle de ce sujet sans retenue puisque nous-mêmes, établissements consulaires, avons plusieurs services ou associations dans nos équipes qui font plus ou moins les mêmes missions.

Ayons également l’honnêteté de fermer les structures qui ont pour missions de faire des études et des rapports sur les sujets de société que personne ou presque ne consulte, et dont les budgets importants ne sont issus que de l’argent public.

De toute façon, nous n’avons et n’aurons plus les moyens de continuer à vivre sous perfusion de subventions publiques !

2°) Stabilisons les règles sociales et financières pour donner de la visibilité et de la confiance aux entreprises

Les lois et les réformes nationales, régionales et locales changent en permanence, et les entreprises doivent sans arrêt gérer les nouvelles règles qui s’imposent à elles. Il arrive même parfois qu’entre le début d’un contrat passé entre une entreprise et son donneur d’ordre public, les règles et charges changent plusieurs fois, augmentant le coût prévisionnel calculé pour remporter le marché.

Avant de changer les règles en place, que les collectivités et les grands donneurs d’ordres publics, à tous les niveaux, respectent les lois en vigueur ! Je fais là allusion à un point qui met quelquefois les entreprises en péril : Je veux parler des délais de paiement des grands donneurs d’ordres et des collectivités qui sont très rarement respectés. La loi prévoit un paiement des factures, dans le cadre des marchés publics, à 30 jours de la réception de la facture ou situations intermédiaires. Or, on assiste à des délais de paiements qui dépassent les 120 jours, voire pour certaines collectivités 160 jours ! Comment peut-on accepter que ceux qui votent la loi ne la respectent pas ?

3°) Simplifions l’accès dans nos villes et nos villages pour aider les commerces de proximité et développer le tourisme

Nous accompagnons depuis plusieurs années les commerçants afin qu’ils soient visibles sur l’Internet et les réseaux sociaux, leur permettant de capter la clientèle de plus en plus nombreuse qui choisit sur le web et vient ensuite dans les boutiques concrétiser son achat. Or, bien souvent, les réductions de places de stationnement et de voies de circulation pour les voitures découragent l’acheteur de venir en ville, favorisant ainsi les achats sur les plateformes numériques tant décriées ! Et ce sont ces mêmes plateformes qui livrent sous 48 heures les commandes passées, avec des avions-cargos atterrissant de nuit sur notre aéroport, augmentant ainsi les nuisances sonores et environnementales… Cherchez l’erreur !

Les réductions de places de stationnement pour les voitures découragent l’acheteur de venir en ville favorisant ainsi les plateformes numériques tant décriées

4°) Rebondir pour partie avec l’œnotourisme

De même, tout le monde s’accorde à dire que la viticulture régionale, qui a fait la renommée mondiale de Bordeaux, et qui est en très grande difficulté, peut pour une partie des propriétés rebondir grâce à l’œnotourisme. Nous avons la chance à Bordeaux de recevoir plus de 60 paquebots de croisière en centre-ville, avec des croisiéristes ayant un fort pouvoir d’achat.

Pourquoi, au lieu de vouloir les interdire, ne négocierions-nous pas avec les tour-opérateurs pour rallonger l’étape de Bordeaux d’une journée et leur proposer des excursions dans les vignobles autour de Bordeaux, permettant ainsi de développer cette forme de découverte de nos vignobles et augmenter ainsi les commandes sur place ? Autant de contraintes édictées par nos élus qu’il faudrait transformer en opportunité d’activités et d’emploi, tout en respectant l’environnement avec des transports propres existant aujourd’hui.

5°) Mutualisons tout ce qui peut l’être

Que ce soit dans les collectivités, les établissements de services d’appui comme dans les entreprises privées, bon nombre de structures sont redondantes et se chevauchent plus ou moins. Là encore, nous n’en avons plus les moyens !

Dans le public comme dans le privé, on constate qu’après un audit du fonctionnement des différents services, on trouve des économies considérables à faire en mutualisant les services.

Nous-mêmes, chambres consulaires, allons lancer le grand chantier de mutualisation des services des Chambres des métiers et de l’artisanat avec ceux de nos Chambres de commerce et d’industrie, et ce à la demande de l’État. Nous allons notamment essayer de rationaliser nos centres de formation professionnelle ainsi que les services généraux de nos structures sur l’ensemble des territoires régionaux.

On peut imaginer la même approche dans le secteur privé, lorsqu’un grand groupe a besoin d’améliorer le niveau de compétences de ses sous-traitants les plus essentiels pour le produit fini, en l’aidant à investir pour acquérir les meilleures technologies et en préfinançant la formation des collaborateurs afin de faire évoluer les niveaux de compétences.

Une démarche gagnant/gagnant

Bien d’autres simplifications peuvent être engagées, dans une démarche gagnant/gagnant, mais sans oublier un prérequis, essentiel à mes yeux : l’entreprise de demain sera exemplaire en terme environnemental et sociétal ou ne sera plus, car les collaborateurs et les clients demanderont des preuves tangibles de l’engagement du dirigeant et des actionnaires. Mais pour pouvoir partager le gain du travail de façon équilibrée pour tous, il faut avoir quelque chose à partager. Et cela s’appelle « marge » ou « bénéfice », même si pour certains, ces mots sont des « gros mots »…

Laissons les entreprises entreprendre et créer de la richesse et arrêtons de leur imposer des contraintes toujours plus fortes, toujours plus nombreuses. Nous avons eu les « gilets jaunes » en France qui a marqué les esprits. Attention de ne pas avoir bientôt les « gilets rouges » des patrons des TPE et PME qui descendront dans la rue parce qu’ils auront tout perdu !

Arrêtons d’imposer des contraintes toujours plus fortes aux entreprises

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