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Union Européenne : de l’inégalité entre les pays

Globalement, l’Union européenne a mieux résisté à la montée des inégalités que les États-Unis. Mais, les disparités sociales et économiques entre pays membres demeurent importantes et pèsent sur l’avenir…

La campagne pour les élections européennes semble se polariser sur un affrontement entre pro et anti UE, négligeant de ce fait les fortes inégalités sociales et économiques entre pays membres, qui expliquent en partie la montée des souverainismes, ou, à tout le moins, le désamour grandissant des citoyens pour l’Europe. Certes, les dépenses sociales (santé, retraite, éducation) au sein de l’UE sont dans l’ensemble bien plus généreuses qu’aux États-Unis – 28% du PIB contre 19% – et les inégalités de revenus ont été mieux contenues depuis trois décennies de ce côté-ci de l’Atlantique. Mais cela ne gomme pas pour autant l’hétérogénéité des pays membres de l’UE.

SALAIRE MINIMUM EN BULGARIE : 286 EUROS BRUTS !

Les inégalités de revenus entre pays sont au cœur des politiques d’intégration européennes. Et le moins que l’on puisse dire est que, malgré les transferts, la convergence tant espérée reste lente, comme le montre l’écart de revenu national moyen par adulte entre la Roumanie (moins de 20 000 euros/an) et l’Allemagne, qui va du simple au double ! On retrouve ces écarts abyssaux parmi les 22 États membres de l’UE qui disposent d’une législation nationale établissant un salaire minimum : au 1er janvier 2019, celui-ci varie de 286 euros brut, par mois, en Bulgarie à 2 071 euros au Luxembourg, 1 557 euros en Allemagne, 1 521 euros en France, 700 au Portugal et 683 en Grèce.

Mais selon une récente étude, ce sont les inégalités entre individus à l’intérieur des pays, et non entre territoires, qui expliquent la plus grande part des écarts de revenus et de taux de croissance entre citoyens européens. L’étude note, en effet, une hausse généralisée des inégalités de revenus à l’intérieur des pays depuis 1980 – mesurées par l’augmentation de la part du revenu national captée par les 10% les plus aisés. D’où l’incapacité de presque tous les pays européens à atteindre l’objectif d’augmenter les revenus des 40% d’individus les moins aisés plus vite que la moyenne nationale.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, que la pauvreté, qui touche plus de 21% des Européens, ait du mal à se résorber. Au reste, il n’est donc pas du tout certain que face à des telles inégalités internes dans les pays, une convergence (très improbable) des revenus moyens au sein de l’UE soit à même d’éradiquer la pauvreté… Ceux qui en ont les moyens cherchent plutôt à quitter leur pays, provoquant parfois de la sorte une véritable fuite des cerveaux comme en Bulgarie, qui a perdu 2 millions d’habitants en trente ans !

Le chômage se résorbe au prix d’une plus grande précarité

Si l’on ne peut que se réjouir du reflux du taux de chômage au sein de l’UE, revenu à 6,5% en février 2019 contre 11% six ans auparavant, de grandes disparités demeurent : 1,9% en Tchéquie, 3,1% en Allemagne, mais 18,0% en Grèce, 13,9% en Espagne, 10,7 % en Italie et 8,8% en France. En outre, le taux de chômage de longue durée (supérieure à 12 mois) reste un problème majeur, puisqu’il représente 45% du chômage total au sein de l’UE, 43% en Allemagne, 58% en Italie et même 73% en Grèce ! Les jeunes et les plus de 50 ans payent évidemment le plus lourd tribut, ce qui engendre des frustrations et conduit les uns comme les autres, à accepter des emplois déclassés à défaut de pouvoir s’expatrier. Et que dire des 15-29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en formation ni en étude, dont le taux, en 2017, a atteint 25% en Italie, 20% en Espagne, 16,5% en France et 9,3% en Allemagne ?

Au surplus, la baisse du chômage s’est trop souvent faite au prix d’une plus grande précarité, en matière de durée des contrats et d’une baisse des salaires. En effet, face à la divergence des coûts salariaux unitaires, certains pays, à l’instar de l’Espagne, se sont aventurés dans une dévaluation interne, qui consiste en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d’améliorer la compétitivité-coût du pays à l’export. Hélas, cette option s’est traduite par la multiplication des contrats précaires et du temps partiel subi, sans que cela n’améliore le potentiel de croissance du pays, ni même la situation financière des ménages.

À la recherche désespérée de l’industrie et de la productivité

La désindustrialisation, est, quant à elle, hélas, en marche, bien plus à l’Ouest qu’à l’Est du reste, sous l’effet du passage à une économie de services et de la concurrence internationale, qui révèle, au demeurant, des niveaux de gamme souvent trop faibles par rapport aux coûts de production (Cf la France). Or, la productivité du travail était en général bien plus élevée dans l’industrie. Ce qui explique en partie l’affaiblissement des gains de productivité un peu partout au sein de l’UE, et ne manquera pas de peser sur la croissance de long terme de ces pays, surtout si les investissements en R&D (recherche et développement) demeurent faibles. Même l’Allemagne, longtemps vue comme la locomotive économique de l’UE avec un poids de l’industrie manufacturière avoisinant les 22% du PIB (contre 10% en France et 12% en Espagne) menace désormais de caler, en raison de nombreuses faiblesses structurelles, dont le vieillissement de la population et le manque de main-d’œuvre qualifiée.

En définitive, la forte hétérogénéité des pays européens et le creusement des inégalités à l’intérieur de chacun d’eux, signent l’échec de la «Stratégie de Lisbonne», qui, en 2000, visait à faire, en dix ans, de l’UE «l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » (sic !).