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5G : bonnes ou mauvaises ondes ? Avec Guillaume Ferré

Alors que les enchères pour l’attribution des fréquences 5G ont battu des records en rapportant près de 3 milliards d’euros à l’État, l’enseignant-chercheur bordelais, Guillaume Ferré, spécialiste des télécoms et résolument optimiste, pose les bases d’un débat éclairé autour de ce « saut technologique ». Et évoque la 6G, sur laquelle les chercheurs commencent déjà à travailler. Entretien.

5G ondes Guillaume Ferré

5G © Shutterstock

LA 5G C’EST QUOI ?

Le terme 5G fait référence à la cinquième génération des communications mobiles terrestres.
Il n’y a pas de consensus sur sa définition, mais on peut dire qu’elle se distingue des générations précédentes à quatre niveaux. La 5G se distingue de la 4G par un débit environ 10 fois plus rapide : elle permet donc de télécharger plus vite, d’avoir des images de meilleure définition… Cela constitue un saut important qu’on n’avait pas constaté de la 3G à la 4G. La 5G repose sur la convergence des technologies de communication et des réseaux, pour les rendre interopérables les uns avec les autres : avec la 5G, on sera en mesure de se connecter à n’importe quel réseau pour faire passer l’information. Avec la 4G, on ne pouvait pas communiquer sans capter la 4G. La 5G augmente largement le niveau de saturation : elle permet une densité d’objets connectés et de communications au mètre carré bien plus importante. Cela s’explique par le fait que jusqu’ici, un téléphone portable communiquait en envoyant des ondes électromagnétiques en demi-sphère dans toutes les directions de l’espace, dans une bande de fréquence donnée, limitée en capacité. Avec la 5G, on envoie les informations en générant des faisceaux d’ondes électromagnétiques hyper étroits, à l’instar d’un faisceau laser, à des fréquences beaucoup plus hautes. La 5G divise par 10 la latence de la communication (le temps entre le moment où on donne un ordre et le moment où il s’exécute) qui tend vers la milliseconde.


 

Echos Judiciaires Girondins : Les capacités décuplées de la 5G constituent un saut technologique important. Quelles en sont les applications possibles ?

Guillaume Ferré : « Les applications qui sont citées aujourd’hui pour motiver l’arrivée de la 5G sont la voiture totalement autonome ou la télémédecine. Par exemple, un chirurgien pourra effectuer une opération à cœur ouvert à des milliers de kilomètres à l’aide d’un joystick. Dans ce cas, le réseau doit faire la même chose que lui au moment où il le fait. On peut aussi imaginer le pilotage, à distance et simultanément, de dizaines de moissonneuses-batteuses ou de drones. La 5G englobe tout le phénomène de l’Internet des objets (IoT). Du côté des entreprises, la 5G peut servir de socle technologique à l’industrie du futur ou l’industrie 4.0, au concept de jumeau numérique… »

EJG : Cela ne semble pas si révolutionnaire…

F. : « Des détracteurs de la 5G disent que finalement, elle va juste permettre de télécharger un film porno dans l’ascenseur ! Mais la réduction de la latence touche des applications qu’on n’a pas encore imaginées. Je vois la 5G comme une opportunité : on met dans la main des gens un outil, à eux d’inventer le monde de demain. La limite de ce que vous allez pouvoir produire, c’est la limite de ce que vous allez pouvoir imaginer. »

EJG : D’après le ministère de l’Économie, les capacités de la 5G ne seront pleinement atteintes que d’ici 2023. Comment l’explique-t-on ?

F. : « Depuis l’avènement du numérique dans les communications mobiles (à partir de la 2G), chaque génération qui est déployée ne l’est jamais au maximum de ses capacités telles qu’elles ont été pensées par les chercheurs. On met d’abord en place la version 0, puis on la fait évoluer. La 3G ou la 4G qu’on a connu au début ne sont pas celles qu’on connaît aujourd’hui. Ce sera pareil pour la 5G (dont les premiers forfaits devraient être disponibles fin 2020, NDLR). C’est lié selon moi à la stratégie commerciale des opérateurs de télécoms qui, même s’ils ont la capacité de donner la technologie, cherchent à ce que leurs réseaux précédents soient déjà bien amortis avant d’en déployer un nouveau. A contrario, si cela devient la volonté d’un État, qui établit que dans l’année il faut déployer la 5G version avancée, les opérateurs vont se mettre en ordre de marche et obéir. Typiquement, les Asiatiques déploient les nouveautés assez vite : c’est souvent là-bas que les choses naissent, et les États ont sûrement intérêt à déployer ces technologies chez eux pour en montrer le potentiel. »

 

5G onde

LA 5G NE PASSERA PAS ENTRE LES GOUTTES !
Selon Guillaume Ferré, aux fréquences utilisées en 5G, les ondes électromagnétiques ne pénètrent quasiment pas dans l’eau. « Ça a été un gros problème pour les chercheurs, car quand il pleut, les ondes ne peuvent pas se propager. C’est pourquoi la 5G fonctionnera mal quand il pleuvra : la communication aura du mal à passer entre les gouttes ou à travers les arbres dont les feuilles sont gorgées d’eau », assure-t-il. Selon lui, les humains, constitués à 60 % d’eau, sont même des « barrières à ces fréquences : elles ne pénètrent quasiment pas dans la peau. Une étude dans laquelle quelqu’un a été exposé à un faisceau 5G directif pendant un certain temps a constaté une augmentation de la température de seulement un demi-degré à 1 mm sous sa peau ». ©Shutterstock

EJG : Le déploiement de la 5G va-t-il nécessiter l’installation de nouvelles infrastructures ou est-elle compatible avec l’existant ?

F. : « La 5G n’est pas compatible avec les équipements de téléphonie mobile actuels. Il faut de nouvelles antennes, car on n’utilise pas les mêmes bandes de fréquence que pour les générations précédentes. Aussi, la façon de créer l’onde électromagnétique n’est pas du tout la même. Donc mis à part les structures métalliques sur lesquelles les antennes sont posées, et les cabanes dans lesquelles se trouvent les ordinateurs qui font office de démodulateur-modulateur, il faut tout changer, y compris les téléphones portables. En revanche, la 5G ne sonne pas la fin de la fibre – qui elle a signé la fin de l’ADSL. La 5G représente en communication ce qu’en mobilité on appelle le « dernier kilomètre ». Elle va se connecter au réseau existant de fibre, en wifi, et exploiter ses capacités. Donc tous les déploiements de fibre auxquels on assiste aujourd’hui préparent l’arrivée de la 5G. »

EJG : Le déploiement de la 5G va donc représenter un coût important. Sur qui va-t-il reposer ?

F. : « Le coût est à la charge des opérateurs, et indirectement des consommateurs, qui paieront un abonnement. La France est l’un des pays où les prix des abonnements sont les moins chers au monde. J’ai tendance à penser que les opérateurs vont maintenir des prix constants, car l’adoption de la technologie ne se fera pas si les prix sont élevés. Aussi, il faut savoir que derrière les prix, il y aura plusieurs niveaux de 5G, comme il y a plusieurs niveaux de 4G, qui sont liés à la proximité du signal, mais surtout à l’opérateur qui a la capacité de régler les débits, un peu comme on ouvre un robinet d’eau, en fonction des utilisateurs. »

EJG : Il y a 3 équipementiers 5G : les européens Nokia et Ericsson, et le chinois Huawei, que certains voient comme une menace. Comment est traitée la question de la sécurité des données sur le réseau 5G ?

G. F. : « Je ne suis pas spécialiste de cette question, mais je peux vous dire que les réseaux de téléphonie mobile font partie des réseaux les mieux sécurisés au monde, avec notamment une encryption faite grâce à la carte SIM du téléphone. La cryptologie utilisée est assez puissante, et rares sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir réussi à hacker des réseaux de téléphonie mobile. Aujourd’hui, pour réussir à écouter des télé-communications ou lire des SMS, il faut être opérateur de téléphonie mobile, diligenté par le gouvernement, sinon c’est impossible. »

La 5G représente en communication ce qu’en mobilité on appelle le dernier kilomètre

EJG : Les enchères pour l’attribution des fréquences 5G ont eu lieu le 29 septembre. En quoi consistent-elles ?

F. : « Les fréquences appartiennent à l’État d’un pays. C’est lui qui définit, conjointement avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) en France, l’utilisation d’une bande fréquence et par qui. Ces experts définissent combien de hertz sont réservés à un opérateur de téléphonie mobile pour qu’il puisse faire de la 5G, puis les hertz sont mis aux enchères. Mais ces dernières sont toutes relatives, puisque tous les acteurs identifiés comme opérateurs de téléphonie mobile doivent avoir accès à la ressource fréquentielle. Et dans un contexte de concurrence loyale, il est obligatoire que tous les opérateurs aient une part équilibrée du gâteau.

Les ordres de prix auxquels ça s’obtient sont faramineux. Le prix est fixé au plus juste par l’État et l’Arcep, au regard du retour sur investissement prévu : il ne s’agit pas d’assommer les opérateurs, puisque le prix sera répercuté sur les consommateurs finaux. »

EJG : La 5G est au cœur d’un débat. Elle est notamment sous le feu des critiques de citoyens et d’élus français, dont le nouveau maire écologiste de Bordeaux Pierre Hurmic et le Conseil de Bordeaux Métropole, qui réclament un moratoire. Différentes raisons sont invoquées, comme les risques sanitaires. La 5G est-elle dangereuse pour la santé ?

F. : « Les ondes électromagnétiques dont il est question pour la 5G sont comprises entre 3,5 GHz et 30 GHz. Plus on monte en fréquence, moins elles pénètrent dans le corps. De plus, grâce au numérique, on émet à des puissances de plus en plus faibles et de façon beaucoup plus précise. Et puis il faut faire comprendre aux gens qu’ils baignent dans une atmosphère où ces ondes sont déjà présentes : dans leur salon, via les box internet récentes avec wifi très haut débit. Ou dans leurs voitures, où elles sont utilisées par les radars de régulation de vitesse, par exemple.

Ne pas vouloir prendre le tournant de la 5G, ce serait faire une faute de saut technologique, comme si on n’avait pas voulu avoir l’électricité

On peut me répondre que c’est la multiplicité des communications qui va contrebalancer ces améliorations, mais ne suis pas convaincu. À titre de comparaison, pendant des dizaines d’années, les générations précédentes ont regardé la télévision analogique, qui fonctionnait grâce à des émetteurs très basse fréquence, dont les ondes sont extrêmement puissantes. Et nous n’avons pas constaté une explosion des problèmes d’électrosensibilité ou de maladies liées. Ce qui est souvent mis en lumière, ce sont des outliers (des valeurs aberrantes, NDLR) : des gens qui se situent sur les extrémités de la loi. Et dans ce cas, de nombreux facteurs sont à prendre à compte. Un certain nombre d’études scientifiques ont été financées pour essayer d’évaluer la dangerosité des ondes électromagnétiques. Si l’une d’elle l’avait clairement établie, je ne vois pas un État déployer ces nouveaux réseaux malgré tout, et risquer de rendre les gens malades. Néanmoins, il faut qu’on en discute et qu’on expose les faits d’une manière factuelle, c’est important. »

EJG : Outre les risques sanitaires, certains évoquent les conséquences environnementales de la 5G. Elle va effectivement nécessiter un important changement de matériel. Mais aussi engendrer une consommation de données et donc d’énergie décuplées…

F. : « Concernant le matériel, des filières se mettent en place pour recycler les métaux précieux des téléphones portables. Concernant les serveurs qui hébergent les données, une partie des chercheurs travaillent à la dispersion des calculs (ledge computing), pour ne pas les concentrer au même endroit (cloud computing). Mais il faut une prise de conscience collective de l’impact de nos actions. Par exemple, quand on parle à son téléphone pour envoyer un message plutôt que de l’écrire, on fait appel à une IA sur un serveur situé à des milliers de kilomètres… Et si dans le cas de la 5G on est sur des volumes de données beaucoup plus importants, d’ordre industriel, je reste malgré tout optimiste. Certes, il faut une énergie monumentale pour faire fonctionner le système, mais dans nos démocraties, l’opposition des citoyens permet de faire évoluer les choses. Dans les pays scandinaves par exemple, Google a été poussé à installer des panneaux solaires et à utiliser l’énergie des serveurs pour chauffer des serres posées à côté. Ceux qui gèrent les data centers sont nombreux à avoir une démarche tournée vers l’écologie. Ce sont certes les profits qui font tourner les choses, mais il y a aussi une prise de conscience collective qu’on vit sur une planète qui a des ressources épuisables. »

EJG : Le gouvernement français, lui, est très favorable à son déploiement. Quels sont les arguments qui vont dans le sens du tournant de la 5G ?

F. : « Un chercheur a fait cette comparaison : ne pas vouloir prendre le tournant de la 5G, ce serait faire une faute de saut technologique, comme si on n’avait pas voulu avoir l’électricité au moment de la révolution industrielle. Je pense que c’est assez juste. Moi je n’ai aucun intérêt dans la 5G, mais j’y crois. Outre l’aspect financier, je pense que l’État y voit un potentiel technologique, de nouvelles applications, et derrière tout cela, la création de richesses, qui rapportera de la TVA, de l’impôt, etc. D’autant qu’au niveau français, on est extrêmement fort en matière d’innovation technologique, on a de très bonnes idées, de superbes start-ups. Et s’il est vrai que dans chaque chose il y a un côté noir, l’important est de pouvoir en discuter avec arguments, contre-argument et que tout le monde se fasse son propre avis. »

cela fait déjà près d’un an que nous, les chercheurs, entendons parler de l’après-5G

EJG : Pour les chercheurs, la 5G est déjà dépassée : ils évoquent déjà l’après. Alors, à quoi ressemblera la 6G, et à quel horizon sera-t-elle disponible ?

F. : « En effet, cela fait déjà près d’un an que nous, les chercheurs, entendons parler de l’après-5G. Nous sommes déjà en train de travailler sur la suite, on brain-storme, on s’oppose. C’est de ce débat contradictoire que les idées vont germer. Tout ce que l’on sait pour l’instant, c’est que l’on veut faire mieux que la 5G : la 6G offrira donc la capacité de communiquer encore plus rapidement, avec des délais de latence encore plus faibles, le tout en consommant encore moins d’énergie, etc. On va aussi se servir des retours sur la 5G pour que l’adoption du grand public soit meilleure. Parmi nous, il y a des gens très engagés, notamment du côté de l’écologie, qui ont des propositions très intéressantes… Et si l’on en croit la durée de vie des précédentes générations, elle devrait voir le jour à l’horizon 2030. »

 

Guillaume Ferré 5G

GUILLAUME FERRÉ, PARCOURS
Maître de conférences, Guillaume Ferré partage son temps entre son activité d’enseignant dans le département Télécommunications de l’Enseirb-Matméca, école d’ingénieurs membre de Bordeaux INP, et son rôle de chercheur. Membre du laboratoire de recherche sur l’Intégration du matériau au système (IMS), une unité mixte de recherche (UMR) du CNRS qui compte environ 400 personnes et 10 groupes de recherche, Guillaume Ferré chapeaute la partie Télécoms et communication numérique du groupe Signal et Image. « Nous nous intéressons au lien point à point, à la façon dont on transmet une information binaire depuis un émetteur vers un récepteur », explique le chercheur. © D.R.

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