Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Armement pétrolier – Socatra vogue vert

BORDEAUX - Créé en Gironde en 1977, l’armateur pétrolier Socatra a profité de conditions de marché favorables pour renouveler et verdir ses navires. À terme, sa flotte sera « la plus moderne et la plus vertueuse du monde », revendique Laurent Bozzoni, directeur général de ce groupe familial indépendant. En majorité sous pavillon français.

Laurent Bozzoni, Socatra

Laurent Bozzoni, DG de Socatra © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

« Notre métier est nécessaire. Invisible, mais essentiel. Et nous le faisons de manière propre et sous pavillon français », clame Laurent Bozzoni, directeur général de l’armateur pétrolier bordelais Socatra. Groupe familial 100 % indépendant, présidé par son père, Fernand Bozzoni, et créé en 1977 par son grand-père Angelo Bozzoni sur les allées de Tourny, où se trouve toujours son siège, Socatra est aujourd’hui l’un des derniers armateurs pétroliers français.

Spécialisé dans le transport de pétrole raffiné (essence, gazole, naphta ou fuel), mais aussi le stockage d’hydrocarbures, avec deux dépôts à La Rochelle et Mont-de-Marsan, Socatra met ses navires à la disposition de ses clients. « Nos affréteurs, qui sont les propriétaires des cargaisons que nous transportons par voie maritime et que nous pouvons stocker, sont les grandes compagnies pétrolières : Total, Shell, BP, Exxon… ; et les traders, des négociants de matières premières et de pétrole comme Trafigura, Vitol ou Glencore, qui achètent et vendent des cargaisons », explique Laurent Bozzoni. Si « l’armement pétrolier est un métier avec des actifs d’un côté et de la dette de l’autre », poursuit-il, le chiffre d’affaires de Socatra atteint environ 100 millions d’euros par an, « avec un EBE porteur, dans un bon marché », détaille-t-il.

 

300 millions de dollars d’investissement

Les actifs de Socatra, ce sont les 15 navires qui ont effectué plus de 200 voyages en 2023, et transporté environ 5 milliards de litres d’essence. Actuellement ramenée à 10 navires, la flotte du groupe est composée de 5 caboteurs d’une capacité de 8 000 tonnes faisant du ravitaillement port à port déployés dans le Pacifique, à Madagascar et en Méditerranée ; et cinq navires de trading d’environ 50 000 tonnes opérés sur le marché mondial sur de longues distances. « Nous avons également sept navires de différentes tailles en commande qui seront livrés courant 2025. Et nous avons le projet d’acquérir quatre à six navires supplémentaires ensuite », précise le directeur général de Socatra.

Sept navires de différentes tailles sont également en commande et seront livrés courant 2025

Pour financer ces nouveaux navires, dont l’investissement représente environ 300 millions de dollars, l’armateur a pu compter sur ses clients affréteurs. « C’est un gros pari qui reste maîtrisé. Nous avons le soutien des compagnies pétrolières, avec qui nous avons passé des contrats pour l’emploi de ces navires sur une durée minimale cumulée de 50 ans », se félicite Laurent Bozzoni.

 

Actifs fluctuants

Dans un secteur d’activité nécessitant des investissements considérables, avec des coûts fixes incompressibles notamment liés à l’entretien des navires, son groupe a également bénéficié de conditions de marché très favorables pour renouveler sa flotte. « Nos navires sont des actifs dont le prix fluctue quotidiennement, en fonction du taux de fret, qui dépend de la demande et de l’offre de transport mondial disponible, et de la géopolitique. La hausse significative du taux de fret ces dernières années (en raison du covid ou encore de la guerre en Ukraine) a fait augmenter la rentabilité générée par chaque navire, et donc leur prix. Nous avons donc cédé les navires les plus anciens (construits en 2011) pour financer l’achat des nouveaux », détaille Laurent Bozzoni.

Outre ces financements en fonds propres, les investissements du groupe sont également financés avec des banques françaises et européennes, ou des partenaires financiers chinois et japonais qui permettent à Socatra d’opérer et armer les navires en leasing, avant de pouvoir les acquérir pleinement. « La valeur de marché de nos navires en flotte et en commande est actuellement de plus de 550 millions de dollars », évalue le directeur général de Socatra.

Les navires-citernes sont composés de 3 parties : la passerelle, le bloc d'hébergement et le poste de contrôle ; le moteur principal (d'une hauteur d'un immeuble de 5 étages) ; la partie cargaison, avec les citernes et la double coque servant de ballast © D. R.

Les navires-citernes sont composés de 3 parties : la passerelle, le bloc d’hébergement et le poste de contrôle ; le moteur principal (d’une hauteur d’un immeuble de 5 étages) ; la partie cargaison, avec les citernes et la double coque servant de ballast © D. R.

 

Méthanol et biocarburant

Sur un marché mondial des navires pétroliers dont l’âge moyen est de 13 ans, Socatra disposera en 2026 d’une flotte dont l’âge moyen sera de 3 ans. « À la fin des opérations, nous aurons la flotte la plus moderne et la plus vertueuse du monde », affirme Laurent Bozzoni. L’armateur a en effet profité de ces renouvellements pour verdir ses navires, dont les plus anciens peuvent être propulsés par un biocarburant et ont été équipés de dispositifs de traitement des eaux de ballast (l’eau de mer utilisée pour stabiliser le navire lorsqu’il navigue à vide), et les nouveaux pourront être propulsés au méthanol.

En 2022, Socatra a fait équiper l’un de ses navires de mâts rotors lui procurant une assistance vélique

« Ce qui représente un surcoût d’investissement de 4 à 6 millions de dollars par navire. 100 % de nos navires auront ainsi potentiellement une empreinte carbone à zéro en termes d’émissions. Même si le carburant utilisé par nos navires dépend des affréteurs », rappelle le directeur général de Socatra, qui a également fait équiper en 2022 l’un de ses navires, L’Alcyone, de mâts rotors lui procurant une assistance vélique. « En moins de 10 ans, nous avons diminué la consommation de nos navires de plus de 50 %, et donc leurs émissions », assure-t-il.

 

Challenge des recrutements

Dans un secteur maritime très réglementé, en particulier pour le transport d’hydrocarbures, avec une trajectoire de décarbonation ambitieuse, Socatra a décidé de verdir sa flotte « d’abord par choix. Mais aussi sous l’impulsion de la réglementation, de nos affréteurs tels que Total Energies, de nos partenaires financeurs et assureurs, et parce que cela va dans le sens de ce qu’attendent nos collaborateurs », assure Laurent Bozzoni.

Socatra, qui emploie une cinquantaine de salariés sédentaires, dont une quarantaine à Bordeaux, et une cinquantaine de navigants (commandants, seconds, chefs mécaniciens, lieutenants) assure entièrement la gestion de ses navires. Pour cela, l’armateur dispose d’un service technique (pour l’entretien), d’un service armement (responsable du personnel navigant, représentant 400 personnes, dont 350 officiers et marins étrangers mis à disposition par des sociétés tierces), d’un service affrètement et opérations commerciales, d’un service qualité/sécurité (avec 4 personnes à plein temps dédiées à la partie réglementaire) et des activités supports.

Un choix stratégique pour la souveraineté du pays et la sécurisation de ses approvisionnements

« Ce qui nous différencie des autres est d’être les seuls à faire ce métier en France et sous pavillon français. C’est un choix stratégique pour la souveraineté du pays et la sécurisation de ses approvisionnements. Mais qui pose d’importants challenges, la demande d’officiers français étant supérieure à la formation de nouveaux personnels navigants. Nous devons générer des envies de carrière au sein du groupe auprès de ces jeunes », relève Laurent Bozzoni.

De ferrailleur à armateur

Aux origines du groupe Socatra, il y a Angelo Bozzoni, émigré d’Italie vers Bordeaux à la fin des années 1920. Après une courte carrière dans le commerce, il se lance dans une activité de ferrailleur. Avec un associé, ils repèrent l’épave d’un navire à ferrailler dans le port de Bordeaux. Pour les besoins d’une raffinerie de Pauillac, ils remettent finalement en état ce pétrolier : le groupe Pétromer est né, et comptera jusqu’à 30 navires. Angelo Bozzoni quitte le groupe pour lancer Socatra (Société d’armement et de transport) en 1977, en repartant de zéro, avec son fils Fernand. « Nous avions des moyens limités, mais avions conservé la confiance de nos clients, de nos partenaires financiers et assureurs », relate Laurent Bozzoni, actuel DG de Socatra. Démarrant avec des caboteurs, le groupe acquiert dans les années 1980 des navires de plus grande taille, dont les deux derniers pétroliers construits par les Chantiers de l’Atlantique. Socatra se diversifie dans les années 1990 dans le stockage d’hydrocarbures. En 2021, le capital du groupe est réorganisé et ses deux activités scindées. « Nous possédions une activité de tourisme fluvial à travers Les Vedettes de Paris. Cette activité a été reprise par ma sœur, et mon père Fernand m’a transmis la majorité du capital de Socatra », explique Laurent Bozzoni.

Laurent Bozzoni : parcours

« J’ai toujours souhaité reprendre le groupe familial. Il était pour cela essentiel de connaître ce monde, ses modèles, ses métiers, etc. », estime Laurent Bozzoni, DG de Socatra. Après des études de sciences économiques et de sciences politiques à Bordeaux, il obtient un master de transport maritime, négoce de matières premières et finances à Londres. S’ensuivent une expérience chez des courtiers maritimes à Paris (en affrètement, achat/vente de navires et construction neuve), puis une autre sur l’introduction en Bourse d’une compagnie maritime pétrolière à New York. Salarié de Socatra depuis 2003, où il a géré la partie acquisition, projets et financement des navires, Laurent Bozzoni est le directeur général de l’armateur bordelais depuis 2021.

Les barges de l’A380 opérées par Socatra

Installé à Bordeaux sur les allées de Tourny depuis les origines, Socatra opère sur un marché très mondialisé. « En dehors des emplois que nous créons ici, nous avons peu d’empreinte locale. Néanmoins, nous avons opéré pendant 20 ans les barges d’Airbus transportant des éléments de l’A380 entre Pauillac et Langon », dévoile Laurent Bozzoni, directeur général de Socatra. Après avoir racheté ces barges à Airbus, et cherché à les transformer une fois le programme A380 suspendu, Socatra est finalement en train de les vendre, aucun projet de reconversion n’ayant abouti.

Socatra en chiffres

Date de création : 1977
Flotte : 10 navires + 7 en commande
Valeur de la flotte : 550 millions de dollars
Effectifs : 120 (50 sédentaires, 50 navigants, 22 dans les dépôts)