Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Avocats, l’option médiation

L’avocate Isabelle Raffard, nouvelle présidente de Bordeaux Médiation, livre les nombreux avantages de ce processus alternatif de règlement des litiges.

Isabelle Raffard, Carine Souquet-Roos

Isabelle Raffard et Carine Souquet-Roos, avocate médiateur © Nathalie Vallez

C’est par le biais de son engagement syndical qu’Isabelle Raffard a découvert la médiation. Pendant plusieurs années, la nouvelle présidente de Bordeaux Médiation a fait partie de l’association Avocats Européens Démocrates : « c’est là que j’ai découvert d’autres pratiques d’avocats dans d’autres barreaux européens, et j’ai constaté que les règlements amiables étaient beaucoup plus développés et naturels pour les avocats, mais aussi pour les juridictions ». Résolument engagée pour l’amélioration des conditions de la justice, elle constate une dégradation constante : « depuis 5 ans, c’est majoré ! ». Et déplore l’allongement des délais, la réduction de la place de l’avocat, de l’oralité des débats, du temps passé pour l’examen des dossiers : « il y a une volonté des pouvoirs publics de standardiser la prestation juridique, on est minuté pour les audiences, on doit se battre pour plaider ».

APPROCHE COMPLEXE

Elle qui privilégie avant tout l’accompagnement de ses clients s’engage dans cette formation : « une révélation », livre-t-elle. « La médiation n’est pas juste une discussion mais un processus très structuré. On ne la connaît pas tant qu’on ne l’expérimente pas. » La formation a, non seulement, affermi son choix de devenir médiateur, mais a transformé « radicalement » son approche de la profession d’avocat : « c’est un mode alternatif de règlement des litiges, ça l’est notamment parce qu’on étudie le litige dans son intégralité et pas seulement dans sa dimension juridique. On n’analyse plus seulement les demandes, mais aussi les besoins ». Ce qui importe en médiation, c’est la résolution définitive et pérenne d’un différend. L’approche est plus complexe et plus riche car le droit ne répond pas à toutes les situations. Pourtant, la médiation ne séduit pas tous les avocats, Isabelle Raffard reconnaît une certaine réticence : « ils ne la connaissent pas et peuvent se sentir dépossédés de leur savoir car c’est une démarche très différente : beaucoup de règles sont inversées. C’est une transformation de leur action : ils devront rédiger un protocole d’accord. Ils peuvent facturer la même chose qu’en judiciaire ».

VERS PLUS D’HORIZONTALITÉ

« J’ai découvert la médiation pour régler un problème de succession qui durait depuis une vingtaine d’années », renchérit Carine Souquet-Roos, avocat médiateur, spécialiste en droit des sociétés et droit commercial. « La question que l’on pose est qu’est-ce qui est important pour vous ? », précise-t-elle. « La légitimité de l’autorité judiciaire, en tant qu’autorité de régulation des conflits, m’était acquise. C’est pourtant le constat de l’échec et d’un décalage par rapport à l’évolution de la société qui va vers plus d’horizontalité, plus de contractualisation, qui a été un moment de bascule », insiste à son tour Isabelle Raffard. Car pour ces avocates, l’action judiciaire ne résoud pas toujours de manière pérenne le problème : « on règle le droit mais on ne résout pas l’intégralité de la problématique ». Certains conflits ne peuvent pas être résolus par la justice, notamment dans les affaires familiales ou sociales. Souvent, la médiation permet de rétablir le lien.

ACCORD MUTUEL

« Quand on arrive à un accord, c’est qu’il convient à tout le monde. Il n’y a pas comme en justice un perdant et un gagnant », expriment-elles. Cependant, la médiation ne convient pas à tout le monde, à toutes les procédures, à tous les litiges, ni à tous les moments : il y a des critères ; « il y a un temps pour tout ! À nous d’apprécier si on part en médiation ou en justice ». L’intérêt à la rapidité de la solution est un paramètre important. Même si l’avocat n’est pas obligatoire, il n’y a pas de réticence à sa présence car les parties doivent être éclairées : tout repose sur l’autonomie des participants qui renoncent à certains droits pour construire une solution. Ce n’est pas au médiateur de rédiger l’accord qui reste mutuel. Mais l’avocat peut le rédiger et saisir le juge pour qu’il soit homologué.

BORDEAUX MÉDIATION

« Nous sommes désignés avant tout procès, à la demande des parties ou des avocats, ou en cours de procès, parfois à la demande du juge. Le droit ne peut pas tout résoudre. » Depuis quelques années, il y a de plus en plus de processus de tentatives de médiation obligatoires avant de saisir le juge. En affaires familiales, Bordeaux fait partie des juridictions pilotes. Ce processus commence à être imposé alors qu’il repose sur 3 principes : la liberté, la confidentialité et la volonté. « Ça peut paraître un peu choquant », reconnaît Isabelle Raffard, « mais spontanément les gens ne s’en sont pas emparés parce que culturellement ce n’est pas encore intégré. On n’a pas la culture de la négociation comme dans les pays anglo-saxons. »

VIDÉOS GRAND PUBLIC

Le colloque « La médiation dans tous ses états. Actualité de la médiation et des modes amiables » organisé en 2021 pour sensibiliser confrères et magistrats a permis de donner des exemples concrets à travers des études de cas réelles. « Il faut être imaginatif. » De nouvelles actions sont prévues : des interventions à l’École des Avocats Aliénor à la fois dans le cadre de la formation continue des avocats, des ateliers thématiques par journée, ainsi que sur la formation des médiateurs avocats.

Un autre colloque est en préparation pendant la semaine de la médiation à l’automne 2023. Des actions pour sensibiliser à la fois les prescripteurs et le grand public sont également à l’étude à travers des vidéos pour expliquer au grand public ce qu’est la médiation : « Il y en aura des générales sur les problèmes de voisinage, de droit du travail ou de succession, et une plus spécifique pour les entreprises, concernant les problèmes de bail, avec les sous-traitants ou les associés », détaille Carine Souquet-Roos, « Elles tourneront sur le site de Bordeaux Médiation, le site du Barreau et sur les réseaux sociaux. » « Notre intérêt est de faire comprendre l’intérêt d’être un avocat médiateur », conclut Isabelle Raffard, « d’avoir cette double connaissance. La médiation est un processus structuré dans lequel un tiers neutre et indépendant intervient entre deux parties qui doivent elles-mêmes trouver une solution en toute autonomie à leur différend. »

 

BORDEAUX MÉDIATION EN BREF

L’association Bordeaux Médiation a été créée en 2000 à l’initiative de l’Ordre des avocats de Bordeaux. Elle compte 75 membres et répond à la demande des particuliers comme des entreprises pour les aider à résoudre leurs différends. Élues en juillet dernier, Isabelle Raffard en est la présidente et Carine Souquet-Roos la vice-présidente.