Couverture du journal du 19/03/2025 Le nouveau magazine

Bordeaux : Immersion, visionnaire depuis 30 ans

Depuis 1994, la PME Immersion vogue sur les flots de la réalité virtuelle et des technologies immersives. Après avoir connu quelques remous, la PME a su redresser la barre et se réinventer pour rester à la pointe d’un secteur en perpétuelle mutation. Avec un chiffre d'affaires atteignant 6,6 millions d'euros en 2023, elle vient de dévoiler Shariiing XR, une nouvelle version de sa solution de collaboration à distance, et sa technologie de « jumeau numérique hybride ».

Christophe Chartier, Immersion

Christophe CHARTIER, PDG d'Immersion © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

L’ambiance est feutrée. La table se fond dans le décor soigneusement étudié. D’un distrait tapotement du doigt, Christophe Chartier, charismatique PDG et fondateur de la PME Immersion, anime sa surface : des images, des vidéos apparaissent… « Vous voyez, je peux faire passer ce document de la table Meetiiim (table tactile collaborative développée par Immersion, n.d.l.r.) au mur d’images tactile juste derrière moi », s’émerveille le dirigeant. Et de naviguer entre la maquette à l’échelle réduite d’une partie de la ville de Singapour et ces bijoux de technologie qui trônent dans le showroom futuriste du spécialiste de la réalité virtuelle, installé sur la rive droite de Bordeaux.

Christophe Chartier, Immersion

L’entreprise bordelaise commercialise des casques de réalité virtuelle depuis sa création en 1994. © Immersion

 

Quincaillier de la VR

Il semble loin le temps où Christophe Chartier et son associé de l’époque, installés à Martillac, au milieu des vignes, dans la pépinière d’entreprises de la technopole Bordeaux Montesquieu, achetaient et revendaient des casques, des gants et autres accessoires de réalité virtuelle. « Les quincailliers de la réalité virtuelle, c’est comme ça que nous appelait l’un de nos plus gros clients », lance Christophe Chartier. C’était il y a 30 ans, en 1994. Une époque où ces technologies informatiques, simulant un environnement avec lequel l’utilisateur peut interagir, n’étaient pas encore légion.

On a parfois été un peu trop en avance sur notre temps

Visionnaires. Mais la médaille a un revers. « On a parfois été un peu trop en avance sur notre temps », reconnaît le PDG. En 30 ans, Immersion a grandi, évolué, pivoté, trébuché aussi… mais s’est relevé. « Si je regarde notre parcours, je me demande pourquoi on n’a pas grossi plus vite, pourquoi le marché ne s’est pas développé aussi rapidement qu’on l’aurait pensé. Mais le résultat de ces 30 ans de travaux, c’est que nous disposons aujourd’hui d’une offre de plus en plus proche du marché et de l’usage de nos clients. »

Un parcours primé, en avril dernier, lors de la dernière édition de Laval Virtual, la grand-messe des professionnels de l’industrie des technologies immersives. « Une sorte de César d’honneur », badine Christophe Chartier. « Nous avons été récompensés lors des Laval Virtual Awards parce que nous sommes la seule entreprise à avoir été exposante, sans discontinuité, depuis la création du salon en 1999 », ponctue Laëtitia Richez, directrice de la communication d’Immersion.

 

Un virage vers la recherche et le développement

Une preuve de son endurance et de sa capacité à se renouveler pour suivre les tendances du marché depuis sa création. C’est en 2005, après plus de dix ans à se concentrer sur le négoce d’accessoires, que la pépite bordelaise a négocié un premier virage dans sa trajectoire. « Nous avons été associés à deux importants projets de recherche européens, relate Christophe Chartier. On a travaillé sur une tour de contrôle, un simulateur à 360°, installé à Mont-de-Marsan. C’est ce qui nous a permis de mettre le pied à l’étrier pour commencer à développer des solutions sur mesure. » Chez Renault, le Bordelais conçoit une salle de décision équipée de grands écrans pour « visualiser la chaîne de valeur des véhicules, projeter des pièces détachées à l’échelle réelle, détecter des erreurs de conception ».

Christophe Chartier, Immersion

À l’IUT de Gradignan, les étudiants travaillent en immersion grâce au logiciel Shariiing. © Immersion

Parallèlement, l’entreprise crée une activité de recherche et développement (R&D) pour répondre à ces nouveaux besoins qui émergent chez les industriels. En 2014, les travaux de la jeune équipe aboutissent, Immersion présente à différents événements la table Meetiiim et le logiciel maison, aujourd’hui baptisé Shariiing. « ArianeGroup identifie alors la table et son logiciel pour que les équipes, réparties entre Les Mureaux (Yvelines) et Saint-Médard-en-Jalles (Gironde), travaillent sur Ariane 6, détaille le PDG. Il faut se souvenir que c’est l’époque de l’ubérisation : les industriels doivent tout faire plus vite, personnaliser les produits, vendre mieux… Ils doivent prendre des décisions de plus en plus rapidement avec des équipes pluridisciplinaires. » Le mode collaboratif, facilité par les outils développés par Immersion, prend alors tout son sens. « Avec l’expérience d’ArianeGroup, on comprend qu’il y a une opportunité pour notre logiciel Shariiing, qui était initialement un projet de recherche, d’être industrialisé ».

L’entreprise bordelaise Singulair, spécialiste de l’inspection des pales d’éoliennes, utilise la table Meetiiim au sein de son centre de contrôle des opérations, imaginé par Immersion. © Immersion

Avec ArianeGroup, on comprend qu’il y a une opportunité pour notre logiciel Shariiing, qui était initialement un projet de recherche, d’être industrialisé

L’entrée en Bourse

Mais le développement, en vue d’une commercialisation de Shariiing, requiert des capitaux. Le 6 janvier 2016, Immersion fait retentir la cloche de la Bourse de Paris et entre en cotation sur Euronext Growth. « À ce moment-là, tout va bien pour nous. On approchait les 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, on avait un prévisionnel à deux chiffres », se souvient Christophe Chartier. Mais le spécialiste de la réalité virtuelle subit de plein fouet les remous provoqués par le rachat de l’entreprise américaine Oculus, qui produisait un casque de réalité virtuelle, par Facebook, le réseau social fondé par Mark Zuckerberg.

« Quand il débourse 2 milliards de dollars pour racheter le casque d’Oculus, il banalise la réalité virtuelle et pas forcément de la meilleure manière pour nous. Le monde se dit alors que la réalité virtuelle se résume à un casque vendu à 1 000 euros dans la grande distribution. » Rien à voir avec le modèle promu par l’entreprise bordelaise qui vend aussi bien des casques que des solutions sur mesure et haut de gamme, allant du mur d’images jusqu’aux « CAVE », des espaces pouvant faire jusqu’à 10 mètres de haut, dans lesquels le sol, les murs et le plafond servent de surfaces de projection pour créer un environnement immersif. Les clients ont alors pensé pouvoir se passer de cet éventail de solutions, souvent coûteuses, au profit du seul casque.

Christophe Chartier, Immersion

Immersion commercialise des dispositifs allant du mur d’images au CAVE. Il a développé une activité d’intégration pour laquelle il emploie une architecte et une décoratrice d’intérieur. © Immersion

Le revirement du marché

Le navire Immersion tangue dangereusement : le chiffre d’affaires chute à 5,8 millions d’euros en 2015. « C’est ce moment de ma vie d’entrepreneur qui a été le plus dur… et à la fois le plus beau. Ça m’a mis KO, je me suis mis à l’écart et je suis parti à l’étranger pour voir ce qui s’y passait, en Asie notamment. J’ai vu que l’équipe se remontait les manches, ne lâchait pas, c’est ce qui a permis de redresser la barre l’année suivante », confie Christophe Chartier.

Quelques années plus tard, le covid modifie durablement les habitudes des entreprises et de ses salariés. La généralisation du travail à distance valide les usages collaboratifs au cœur des systèmes développés par Immersion, notamment via son logiciel Shariiing. Aujourd’hui Airbus, Alstom, Thales, EY, Ceva, Xerox, l’Université de Bordeaux ou encore Telecom ParisTech utilise son outil d’aide à la décision. Et c’est sur Shariiing qu’Immersion parie pour les prochaines années.

 

Smart city et hologrammes

Retour dans le showroom de l’entreprise bordelaise. Christophe Chartier, impatient, gravite autour de la maquette de Singapour : « Vous voulez voir ce que l’on sait faire aujourd’hui ? » Le jumeau numérique hybride, sorte d’hologramme, intégré à la nouvelle version de Shariiing baptisée Shariiing XR (Xtended Reality ou réalité étendue) émerge de la maquette. Une innovation développée pour le projet DesCartes à Singapour, visant à développer l’intelligence artificielle au service de la ville intelligente. « Shariiing XR permet de voir la réalité sur laquelle on superpose des hologrammes », détaille le PDG.

Shariiing XR permet de voir la réalité sur laquelle on superpose des hologrammes

Pour Immersion – qui ne veut plus ressentir de nouveau les mêmes secousses qu’en 2016 – Shariiing est aussi un moyen de sécuriser ses revenus. En vendant une licence, pour un peu moins de 5 000 euros par an pour un écran collectif, la PME s’assure un revenu récurrent. « Une autre partie récurrente importante de notre chiffre d’affaires provient de la maintenance de nos salles immersives », ponctue-t-il. En 2023, le chiffre d’affaires de l’entreprise a atteint 6,6 millions d’euros, une hausse significative comparée aux 5,45 millions d’euros de l’année 2022.

Christophe Chartier, Immersion

Équipé d’un casque, l’utilisateur voit apparaître des hologrammes qui se superposent sur la maquette de la ville. © Immersion

Dans les tiroirs

Chaque année, l’entreprise, qui emploie 45 personnes, consacre 10 % de son chiffre d’affaires à la R&D (une équipe constituée de 10 personnes), avec de nombreux projets de recherche en cours et déjà 20 brevets déposés. Et dans les tiroirs, des projets autour de l’intelligence artificielle (évidemment) et du son. « L’enjeu va être de doter Shariiing d’une brique son intelligente, avec une notion de spatialisation et de colocalisation, d’ici 18 à 24 mois », conclut Christophe Chartier. Après tout, la trentaine n’est-elle pas l’âge de tous les défis ?