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Bordeaux : Lazard Frères Gestion, la performance discrète

INTERVIEW – Lazard Frères Gestion, filiale de l’emblématique banque d’affaires franco-américaine, a pour habitude de ne pas faire parler d’elle. Pourtant, depuis 25 ans, la société de gestion d’actifs a su capter un cercle restreint - mais solide - d’investisseurs à Bordeaux et en Nouvelle-Aquitaine. Maïder de Butler, qui co-dirige depuis fin 2020, avec Eric Sönkes, l’activité dans le sud-ouest, dévoile le poids de la région dans l’activité de gestion privée, les prévisions des économistes de Lazard pour les mois à venir et livre quelques conseils.

Maider de Butler, Lazard Frères Gestion

Maider de Butler et Eric Sönkes, directrice de la région sud-ouest pour Lazard Frères Gestion © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Les Échos Judiciaires Girondins : En 2023, le groupe Lazard, spécialiste du conseil financier et de la gestion d’actifs, coté à la bourse de New York, souffle sa 175e bougie. Et Lazard Frères Gestion, sa filiale française dédiée à la gestion d’actifs, fête les 25 ans de son implantation à Bordeaux. Quelles sont vos activités ici ?

Maïder de Butler : Depuis 1997, nous intervenons depuis Bordeaux sur toute la Nouvelle-Aquitaine et toute la partie ouest de l’Occitanie. Lazard Frères Gestion exerce deux métiers d’asset management : la gestion d’actifs pour compte d’institutionnels et la gestion privée pour compte de personnes physiques, d’actionnaires, de famille que nous suivons directement. À Bordeaux, nous sommes vraiment sur ces métiers de gestion privée, c’est-à-dire l’accompagnement des dirigeants et des familles qui ont un sujet de gestion financière, des investisseurs au sens large.

 

E.J.G : Depuis 25 ans, quelle a été votre empreinte sur le territoire ?

M. de B. : Le poids des régions est important chez Lazard Frères Gestion, qui dispose aussi de bureaux à Lyon et à Nantes. Environ 50 % des actifs que nous captons en gestion financière viennent des régions. Notre ancrage régional est vraiment significatif. Et Bordeaux représente environ 10 % de l’activité, en gestion privée, de Lazard Frères Gestion qui a 38 milliards d’euros d’actifs sous gestion à fin juin 2023, dont 14 en gestion privée. Depuis 2009, Lazard Frères Gestion a multiplié par quatre ses actifs. La progression est la même en région.

Bordeaux représente environ 10 % de l’activité de Lazard Frères Gestion en gestion privée »

E.J.G : Pourtant vous accompagnez un nombre de clients restreint. Est-ce une volonté de Lazard Frères Gestion pour conserver cette discrétion qui vous caractérise ?

M. de B. : Nous nous concentrons sur environ 2 000 familles clientes. On est loin des chiffres que peuvent afficher les banques de réseaux. Chaque portefeuille est individualisé. On ne fait pas de gestion collective.
Chaque client est entouré d’une équipe constituée d’un banquier privé, comme moi, d’un gestionnaire de portefeuille, d’un fiscaliste et d’un chargé de clientèle. À Bordeaux, l’équipe est constituée de quatre personnes, deux « seniors bankers », Eric Sönkes et moi-même, puis deux banquiers privés junior. Tous nos gestionnaires de portefeuille et nos fiscalistes sont basés à Paris et se déplacent très régulièrement en région pour rencontrer les clients.

 

Maider de Butler, Lazard

©Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins

E.J.G : Cela tient aussi au profil de vos clients ?

M. de B. : Effectivement, nous avons une clientèle profilée entrepreneur. Il faut savoir que nos portefeuilles sont constitués, en majorité, de lignes directes en actions et éventuellement en obligations. Et pour accéder à cette gestion en ligne directe, on ne peut pas le faire sur de petits volumes. Nous n’intervenons donc généralement pas en-dessous de 3 millions.

Pourtant je rencontre beaucoup de gens qui ne sont pas mes clients et n’ont pas vocation à le devenir à court terme, bien avant qu’ils aient 3 millions d’euros à placer. Nous intervenons très en amont de toutes les opérations. Il faut travailler la relation avec les clients, apprendre à les connaître, comprendre quelle est leur stratégie professionnelle, familiale… Cela demande du temps, d’autant plus que l’on travaille toujours dans la discrétion.

 

E.J.G : Pour quels types d’opérations pouvez-vous être sollicités ?

M. de B. : Mon métier est d’accompagner des investisseurs au sens large. Chez Lazard Frères Gestion, nous avons un ADN très entrepreneur Nous nous appuyons sur une expertise économique et une expertise financière indépendante qui nous permet d’afficher des performances moyennes très différenciantes. Nous réalisons en interne nos analyses financières, et nos gestionnaires privés font leurs choix en fonction de ces différentes grilles.

Je rencontre des dirigeants d’entreprises, des actionnaires au sens large, des personnes qui ont des actifs professionnels… Ils peuvent avoir besoin de financer leur croissance, donc ils veulent lever des fonds, ou réorganiser leurs actifs professionnels. Ils peuvent vouloir se désengager d’une structure et nous les aidons à réfléchir à cette cession partielle ou totale. Nous intervenons aussi régulièrement sur des sujets de transmission d’entreprise, quand il y a une volonté de passer le relais à un membre de la famille ou à un manager. Nous les aidons par exemple, avec l’aide de leurs conseils sur lesquels nous nous appuyons toujours, à mettre en place un pacte Dutreil.

 

E.J.G : Vous connaissez bien aussi le tissu régional d’entreprises cotées…

M. de B. : Pour certains fonds de Lazard Frères Gestion, nous réalisons des investissements directs au capital de PME locales, cotées bien sûr. Nous sommes donc actionnaires de certaines PME et ETI régionales. C’est aussi une forme d’empreinte sur le territoire. Comme nous avons cet ancrage en région, nos clients attendent de nous que nous les aidions à identifier des secteurs ou des opportunités.

Pour certains fonds de Lazard Frères Gestion, nous réalisons des investissements directs au capital de PME et ETI locales cotées

E.J.G : Comment analysez-vous le contexte macroéconomique actuel ?

M. de B. : Nous sortons de dix années de taux négatifs. L’impact de ces taux négatifs était colossal dans les business plans et dans les projets de croissance. Le paradigme est tout à fait différent depuis le début de l’année. Nous regardons avec intérêt les données d’activité, qui montrent que l’impact est important. Certains marchés se retournent. Au début de l’année quand même, nous avons été surpris par la résilience des entreprises. Les carnets de commande étaient pleins et elles souffraient plus de difficultés de recrutement que d’autre chose. Le coup de frein se ressent davantage depuis cet été. Et nous sommes très prudents pour la suite : la croissance de la zone euro est fragile, l’inflation reste forte et la crise de l’énergie n’est pas totalement résolue.

 

E.J.G : Quels seront, selon vous, les secteurs les plus marqués par ce ralentissement ?

M. de B. : Tout ce qui est directement lié à la consommation des ménages, l’agroalimentaire par exemple. Et puis toutes les structures qui ont un BFR (besoin en fonds de roulement) important. Il y en a sur la métropole bordelaise, car certaines d’entre elles ont beaucoup de stocks par exemple, donc un important besoin de financement de leur cycle d’exploitation. De la même façon, les entreprises en forte croissance qui auront besoin d’emprunter pour financer leurs projets pourraient rencontrer des difficultés.

On ressent déjà un ralentissement dans les projets de nos clients, tant en cession qu’en croissance. Même une société qui a les capacités financières à lever de la dette pour une acquisition pourrait reconsidérer son projet face aux changements de marché.

 

E.J.G : Comment envisagez-vous les prochains mois ?
M. de B. : Nous prévoyons que les taux se maintiennent à un niveau élevé durant quelques mois encore. Nos équipes d’économistes chez Lazard Frères Gestion pensent que cela sera un peu plus long que ce que par les marchés anticipent. La baisse des taux pourrait arriver en fin d’année 2024. C’est aussi ce qu’a dit la Fed dernièrement. En ce qui concerne la gestion financière, nous considérons que les titres cotés sont souvent sur-appréciés car ils n’ont pas encore intégré le risque d’une diminution de l’activité. La valorisation actuelle des sociétés cotées est plutôt basée sur la perspective d’une progression de 10 % de leur activité. Or il y aura probablement une récession, ou un ralentissement de cette progression dans le meilleur des cas. Cela devrait donc se ressentir dans les valorisations des entreprises cotées.

 

E.J.G : Que conseillez-vous à vos clients ?

M. de B. : Nous avons tendance à leur recommander de rester sous-pondérés sur les actions. Autrement dit, nous dirigeons nos clients vers les marchés obligataires, notamment sur des signatures assez protégées, sur des produits structurés ou même des solutions monétaires. Il s’agit d’une position de court terme car pour les investisseurs, les opportunités d’investissement pourraient bientôt réapparaître. Comme toujours dans les cycles économiques, il sera intéressant de profiter d’un éventuel repli des marchés pour réinvestir. À court terme, il ne faut pas être bloqué par des investissements trop longs pour pouvoir profiter de ces opportunités.

 

Une carrière dans la banque

C’est après une longue carrière chez BNP Paribas que Maïder de Butler a rejoint Lazard Frères Gestion en 2020, au bureau de Bordeaux. « Cela fait plus de 20 ans que je suis sur ces métiers d’accompagnement des dirigeants d’entreprise ». Au départ chargée d’affaires entreprises, puis manager de ces chargés d’affaires, Maïder de Butler se spécialise rapidement sur les sujets de préparation à la cession partielle ou totale d’activités pour les actionnaires. « Par la suite, on m’a demandé de monter les équipes de gestion de fortune en région, ce métier étant jusqu’alors principalement exercé à Paris. BNP Paribas avait choisi de tester d’abord le développement en région depuis Bordeaux, puis il a été décidé de développer ces métiers un peu partout en France », détaille-t-elle. Un retour proche de ses racines familiales basques après avoir débuté sa vie à Paris. « Je suis à Bordeaux depuis plus de 20 ans maintenant, donc je connais bien la région », glisse-t-elle.

En chiffres

Lazard dans le monde
3 000 salariés
2,8 milliards USD de chiffre d’affaires en 2022
239 milliards USD d’actifs sous gestion (au 30 juin 2023)
26 pays

Lazard Frères Gestion (France)
200 salariés
38 milliards d’actifs sous gestion (au 30 juin 2023)
3 bureaux en région : Bordeaux, Nantes et Lyon