« J’aime incarner des femmes de caractère, qui s’imposent, des femmes libres ». Le regard émeraude est franc, la voix posée mais résolue. Vanessa Feuillatte, première danseuse du Ballet de l’Opéra national de Bordeaux (ONB), donne le la de la discussion qui durera une heure et demi, dans un café du centre-ville bordelais, à quelques mètres de la salle de répétition où elle prépare le rôle féminin principal du ballet Don Quichotte qui sera donné du 30 juin au 11 juillet prochain au Grand Théâtre. « On me dit souvent que je suis une meilleure interprète que technicienne », rapporte-t-elle sans détour. À 38 ans, dont 20 années passées à la barre du Ballet bordelais, Vanessa Feuillatte est lassée des pirouettes et préfère rechercher la profondeur dans les rôles. Avec Giselle et Notre-Dame de Paris au programme de la saison 2023-2024, la ballerine est servie : « mes deux ballets préférés », s’enthousiasme-t-elle.
Formée à l’Opéra de Paris
Formée à l’École de danse de l’Opéra de Paris de 11 ans à 15 ans, elle en garde un souvenir mitigé et quelques stigmates. « Je ne suis jamais rentrée dans le moule. Un professeur m’avait d’ailleurs assuré que je ne serais jamais danseuse ». Quand elle est renvoyée de la prestigieuse institution à 15 ans, et alors qu’elle est acceptée au Royal Ballet de Londres et au New York City Ballet – où son ami le Bordelais Benjamin Millepied l’avait convaincue de passer les auditions – la jeune femme décide d’arrêter la danse, écœurée. Quelques mois de pause durant lesquels elle ne raccroche jamais vraiment les pointes. Puis à 17 ans, à l’aube des épreuves du bac, elle décide de passer l’audition pour intégrer le ballet de l’ONB.
« J’étais également prise pour intégrer le Cours Florent, à Paris. La carrière des danseurs est courte, alors j’ai choisi la danse, persuadée que je ne ferai ce métier que 3 ou 4 ans », se remémore-t-elle.
Au firmament de sa carrière
Juin 2023, ses grands jetés font toujours vibrer la scène du Grand Théâtre. Pourtant cette mère de trois enfants pense à la variation suivante. « Je voulais rester à l’Opéra jusqu’à 42 ans, mais je pense partir plus tôt. Je me donne encore deux ans », confie-t-elle. En creux, la nomination de deux danseurs étoiles, début mai, par la direction du Ballet de l’ONB. La jeune femme ne cache pas sa déception. « Je suis en fin de carrière, cela aurait été une récompense pour ces vingt dernières années ».
Son désappointement n’est pas suffisant pour anéantir les projets dont elle fourmille. À commencer par le développement de ses deux écoles de danse. La première a ouvert ses portes en 2016, au Bouscat. Après sa séparation avec Charles Jude, ancien directeur de la danse à l’ONB, Vanessa Feuillatte n’est pas distribuée pendant près de quatre ans (de 2013 à 2017). « Je ne dansais plus avec le Ballet. Et puis je tombe sur cette école qui est à reprendre à la barre du tribunal de commerce de Bordeaux. Je me suis dit que cela me permettrait de garder la tête saine », commente-t-elle. Associée avec son deuxième mari, David Charbit, ils créent ensemble l’Académie de danse Vanessa Feuillatte.
Deux écoles de danse
Puis en juillet 2020, la professeure de danse bordelaise Évelyne Boissolles la contacte pour lui proposer de reprendre sa mythique école située dans le quartier de Caudéran. À ce moment-là, Vanessa Feuillatte a repris le rythme intense des représentations avec le Ballet de l’ONB. « C’est mon mari qui me persuade parce que l’endroit est exceptionnel. On a tout refait du sol au plafond ». Aujourd’hui, les Académies Vanessa Feuillatte rassemblent « environ 800 élèves et 30 professeurs auto-entrepreneurs ».
La danseuse de l’Opéra en est l’ambassadrice et y donne des masterclass ponctuellement le week-end, son mari dirige l’entreprise. L’école propose également une section sports-études en partenariat avec l’établissement privé L’Assomption. Six élèves ont d’ailleurs intégré l’École de l’Opéra de Paris.
« En 7 ans, l’activité de l’entreprise a été sur un équilibre positif les cinq premières années. Puis avec nos nouvelles ambitions, notamment avec les sports-études, d’importants investissements ont été opérés, pour ouvrir le second établissement par exemple. L’exploitation sera déficitaire pendant environ trois exercices », détaille Vanessa Feuillatte.
Préparer la suite
Outre ses écoles, elle rêve aussi de créer sa propre compagnie de danse. Mais à la marge. « Je voudrais m’occuper des danseurs en fin de carrière, je trouve que c’est le moment où ils sont le plus intéressant. Je suis aussi proche de personnes dans le milieu du cirque, du hip-hop, de la magie ». Puis, malgré le rendez-vous manqué du Cours Florent à 17 ans, elle garde la comédie dans un coin de la tête. « Je voudrais me laisser un an pour tenter ma chance », glisse-t-elle. Elle a déjà joué dans « Coup de chaud » de Raphaël Jacoulot avec Jean Pierre Darroussin, puis dans le téléfilm « Mongeville » aux côtés de Francis Perrin, et dans le film « L’enfant que je n’attendais pas » de Bruno Garcia.
Une preuve de plus que Vanessa Feuillatte n’est pas du genre à rester les deux pieds dans le même chausson.
« Un autre regard sur la détention »
À l’initiative de la Bâtonnière de Bordeaux, Christine Maze, le Barreau de Bordeaux en partenariat avec l’Opéra de Bordeaux, a mis en place un programme multi-activité proposé aux femmes et hommes incarcérés au Centre Pénitentiaire de Gradignan. Dans ce cadre, Vanessa Feuillatte a animé un atelier de danse, chaque semaine, depuis le mois de mars, auprès d’un petit groupe de détenues. Cet atelier se clôturera par un spectacle final qui se tiendra le 26 juin au Centre Pénitentiaire.