Échos Judiciaires Girondins : Élue en mai dernier, vous représentez le nouveau visage des notaires de Gironde.
Delphine Detrieux : « En tout cas, quand on regarde les statistiques de la population notariale en Gironde, on voit une majorité de femmes, et la moyenne d’âge est de 44 ans, mon âge justement ! »
EJG : Quelles sont les grands axes de votre mandature ?
D.D. : « Il y en a 3 : continuer la communication qu’elle soit externe vis-à-vis du grand public pour mieux faire connaître notre profession, et en interne pour maintenir les liens. Il y a ensuite l’application de la réforme de la discipline dont le ressort est passé aux Conseils Régionaux. On a réfléchi au niveau national à l’adaptation de nos règles avec les nouveaux outils et on attend la parution du nouveau code de déontologie qui a été retardée à plusieurs reprises ! Enfin, nous voulons associer la chambre départementale de la Gironde avec les chambres des notaires de la Dordogne et de la Charente pour ne former qu’une seule et même compagnie qui serait la chambre interdépartementale de la cour d’appel de Bordeaux. Il y a beaucoup de portes à ouvrir, de leviers à lever, mais on est en réflexion depuis un et demi. C’est une volonté du Garde des Sceaux de rationaliser les effectifs. Rien ne nous oblige à le faire, mais quand on est élu dans le notariat, on donne de son temps. Donc l’idée de passer en chambre interdépartementale permettrait de fusionner nos forces et réduire le nombre d’élus. C’est aussi pour ne pas s’essouffler : rationaliser nos 3 compagnies en une seule permettrait plus d’efficacité. »
Nous voulons associer les Chambres des notaires de la Gironde, de la Dordogne et de la Charente pour ne former qu’une seule et même compagnie
EJG : Comment organisez-vous votre mandat ?
D. D. : « Je suis principalement à la Chambre le mardi toute la journée, car l’après-midi on a nos réunions « petit bureau » avec mon vice- président et 2 membres de chambre qui sont des syndics où l’on traite toutes les questions qui nous sont soumises : déontologie, pratique, mésentente entre confrères, manifestations à organiser, instance à gérer, communication. Ça demande une bonne journée par semaine et parfois un peu plus. On est passé de 250 membres quand j’ai prêté serment en 2014 à 570 maintenant. Tout l’enjeu est de garder ce lien entre nous ; c’est forcément plus compliqué. »
EJG : Comment évolue la profession avec ces augmentations ?
D. D. : « On a eu beaucoup de chance d’avoir des présidents d’instance en Gironde qui ont très bien intégré les nouveaux notaires qui ont été tirés au sort. On se connaît beaucoup moins, alors on essaie de créer des moments d’échange. C’est la raison pour laquelle on organise des séminaires de jeunes nommés sur 24/48 heures pour répondre à des questions, souvent techniques. Le président de l’instance se déplace avec son bureau : son vice-président, ses syndics et un comptable de la Chambre pour répondre aux questions de discipline, de comptabilité, de gestion d’office. »
EJG : Vous considérez donc que cette intégration se passe bien ? Parce qu’un article du Figaro parlait justement d’une désillusion des jeunes nommés qui découvrent les réalités de la profession…
D. D. : « Sur la France entière, toutes les instances n’ont pas joué le jeu, il y a toujours cette opposition entre « ancien notaire et nouveau notaire ». Ce n’est pas notre cas. On est notaire, mais de plus en plus chef d’entreprise, dans la gestion de nos coûts, de nos personnels, dans le management. Le notaire a deux casquettes : l’officier public qui reçoit des actes mais aussi le chef d’entreprise. La gestion s’apprend et les jeunes ont des frais d’installation. Pourtant, 99 % des offices créés en Gironde fonctionnent quand même très bien. L’autorité de la concurrence préconise encore 21 créations sur les 2 ans à venir, c’est beaucoup. L’ouverture n’avait pas été faite, elle est aujourd’hui plutôt bien réussie, mais il faut maintenant réguler. Les 2/3 des notaires girondins ont été nommés il y a moins de 7 ans. Il y a un renouveau grâce à la loi Macron, et à l’augmentation des notaires salariés. Aujourd’hui on n’est pas loin des 100 000 personnes avec nos collaborateurs au plan national. On pèse un peu ! »
Les 2/3 des notaires girondins ont été nommés il y a moins de 7 ans
EJG : Est-ce que la médiation est devenue aussi importante que pour les autres professions de justice ?
D. D. : « On en fait tous les jours dans nos dossiers, dans les familles, entre époux… c’est notre ADN, notre cœur de métier. Mais on a aussi un centre de médiation en Gironde, qui a été repris en main par, entre autres, Sandrine Pages, notaire à Bordeaux, et qui fonctionne très bien. Des notaires médiateurs interviennent sur des sujets de discorde en droit de la famille ou pour les séparations. Si une médiation est acceptée par les parties, on trouve souvent une solution. »
EJG : La Compagnie de Gironde a beaucoup fait parler d’elle avec ses campagnes de publicité très impertinentes…
D. D. : « On s’efforce de continuer mais c’est parfois compliqué de se renouveler sans faire de réchauffé. On travaille sur le plan de communication 2024, on veut rester décalé, sans tomber dans la provocation. Quand je me déplace aux réunions des notaires des grandes métropoles, je suis très fière qu’on en ait parlé dans la France entière. »
EJG : Avec la digitalisation, la signature électronique s’est répandue, mais ne perdez-vous pas en proximité humaine ?
D. D. : « La signature électronique fonctionne très bien depuis 2016. L’ensemble des études y est passé. Et le Covid a accéléré les actes électroniques avec comparution à distance. Bien sûr, les actes à distance permettent de moins se déplacer. C’est très commode parfois, mais il ne faut pas en abuser, ne serait-ce que pour l’image qu’on donne vis-à-vis de nos clients et de nos confrères. Car on perd beaucoup en humanité entre nous. Et sur certains dossiers particulièrement compliqués, quand il y a des désaccords, il est évident qu’il faut se déplacer. »
Mon souhait d’accueillir le congrès des notaires de France à Bordeaux en septembre 2024 a été validé
EJG : Dans cette période de crise immobilière, quels sont les ressentis de la profession ?
D. D. : « En ce qui me concerne, j’ai un avis assez mitigé. Je ne sais pas si on est en crise, je vous le dirai au premier trimestre 2024. Ce que je constate en revanche clairement, c’est un ralentissement du volume de transactions immobilières. C’est très clair, d’un point de vue girondin comme national. Cette baisse, je l’explique de plusieurs manières : il y a la difficulté de nos clients à obtenir des permis de construire, ça impacte notre marché de l’immobilier neuf. L’autre levier, qui est bancaire, c’est la hausse des taux : sur 25 ans, on emprunte en moyenne 80 000 € en moins. Sur des budgets de primo-accédants, c’est énorme ! On va moins voir cette clientèle-là, ça va réduire les surfaces ou éloigner les acquéreurs des centres. Il y a aussi les normes énergétiques imposées aux promoteurs. C’est très vertueux, mais corrélé avec le reste, ça a créé des contraintes supplémentaires qui ont freiné la promotion. Malgré tout cela, on ne constate pas de baisse de prix sur la Gironde. »
EJG : Quels sont vos prochains temps forts ?
D. D. : « Il y a beaucoup de manifestations de prévues. On va être présents sur les événements locaux comme le mois de transmission en novembre, car le notaire doit être présent pour la transmission d’entreprise aux côtés de nos amis avocats et experts-comptables. Ce sont 3 conseils complémentaires. On sera encore partenaires de l’UBB pour la saison prochaine, j’y tiens beaucoup car je partage les valeurs du rugby. Mon souhait d’accueillir le congrès des notaires de France à Bordeaux en septembre 2024 a été validé. C’est le premier courrier que j’ai fait lorsque j’étais vice-présidente. Je suis très contente de ça, ça veut dire que 3 000 notaires vont se déplacer à Bordeaux sur le thème de l’urbanisme durable, un thème qui colle tout à fait à notre région avec le problème des retraits de côte. On associera évidemment les notaires des compagnies de la Dordogne et de la Charente. C’est ma grande fierté ».
Une notaire enracinée en Gironde
Après des études de droit à Bordeaux, Delphine Detrieux intègre le CFPN (Centre de Formation Professionnelle Notariale) de Bordeaux, puis de Paris. « Je me suis inscrite en fac de droit pour passer le commissariat des armées », raconte-t-elle, « et en licence j’ai pris en option le droit notarial. J’ai adoré le droit des successions, et de la famille en général. À cette même période, on avait un problème de succession dans la famille et j’ai de suite appliqué ce que j’apprenais dans un dossier concret. » Un déclic ! Diplômée en 2004, elle intègre l’étude de La Réole. « Je suis petite-fille d’agriculteur, j’ai un très fort attachement à la terre. J’avais le souhait de m’installer en milieu agricole et viticole. J’ai occupé tous les postes ! L’avantage de ces petites études, c’est que c’est très varié. » Aujourd’hui l’étude compte 2 associés et 10 collaborateurs. Nommée notaire en 2014, membre de la Chambre en 2015 où elle s’occupe principalement des relations avec le monde rural, elle devient ensuite membre de l’équipe du Congrès National en 2019, puis déléguée régionale à l’Assemblée de Liaison des notaires. « Une instance nationale qui crée du lien entre les notaires et la profession », précise-t-elle. Cela lui offre l’opportunité d’être élue en commission du CSN (Conseil Supérieur du Notariat) à la commission déontologie et discipline. « Grâce à toutes ces missions, j’ai une vision des instances et beaucoup de contacts nationaux », se félicite-t-elle. « Ça me fait gagner beaucoup de temps. » Un engagement fort dans les instances avant d’être élue présidente de la Chambre girondine : « C’est le goût de servir ma profession, il est important de lui donner du temps vu tout ce qu’elle m’apporte au quotidien. »