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Droit à l’oubli : Que deviennent nos données après la mort ?

CHRONIQUE DES NOTAIRES DE LA GIRONDE - Si aucune action n’est menée après le décès, les données personnelles peuvent subsister indéfiniment. Le cadre juridique actuel offre la possibilité de désigner de son vivant une personne qui sera chargée de mettre en œuvre ses volontés. En l’absence d’instruction, la réglementation offre la possibilité aux successibles de faire le nécessaire.

Droit à l’oubli, Chloé Jean, notaire

Me Chloë JEAN, notaire à Arcachon © Audrey LATORRE

Tweeter sur X (anciennement Twitter), publier une photo sur Facebook ou sur son compte Instagram, manger sa tartine du dimanche matin en regardant les « stories » Instagram et les derniers posts de nos amis… Toutes ces choses nous paraissent anodines et éphémères. En effet, après tout, le numérique, ce n’est pas tangible. Pourtant, rien n’est moins immatériel que le numérique. Nos données sont, pour la plupart, stockées quelque part chez nous sur un disque dur, notre téléphone et de plus en plus dans des serveurs auprès de fournisseurs externes (cloud, etc.).

Mais que deviennent ces données une fois que nous disparaissons ? Que devient notre profil Facebook / Instagram / Tik Tok (ou autre), mais aussi les données de notre téléphone une fois que nous sommes « partis » ? Cela constitue une problématique de plus en plus récurrente à laquelle les notaires doivent répondre et accompagner les familles lors du règlement des successions. Dans cet article, nous tenterons de comprendre les raisons pour lesquelles il est important de bien gérer le devenir des données personnelles des défunts, mais aussi la procédure à mener et les difficultés qui peuvent être rencontrées.

Un historique de la réglementation

En France, tout commence avec la première loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978. À cette époque, cette loi a été mise en place concomitamment à la création de grandes bases de données administratives. Est instaurée à l’époque pour garantir les droits des citoyens une autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Par la suite, en 1995, sera adoptée une directive[1] au niveau européen « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ». Il est question d’uniformiser la protection des données personnelles dans les différents États membres.

Cette directive généralise le droit de regard sur les données et envisage la possibilité pour les individus de solliciter leur effacement. Cette directive ne sera transposée complètement que très tardivement en France, puisque cette transposition dans notre ordre juridique n’interviendra qu’en 2004 (via la modification de la loi de 1978). La multiplication des sources de données, leur densification, le fait que celles-ci deviennent de plus en plus personnelles, et leur utilisation par des acteurs privés à des fins commerciales a conduit à d’autres ajustements réglementaires.

Droit à l’oubli

Le « droit à l’oubli numérique » est arrivé plus tard, en 2014[2], et par suite d’une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne du géant états-unien de l’Internet, Google. Ce droit recouvre la possibilité pour la personne d’être déréférencée d’Internet, en cas de motif légitime.

Ce droit à l’oubli fait l’objet d’une inscription officielle au niveau européen, dans le Règlement général de protection des données (plus connu sous son acronyme RGPD) (article 17), applicable en France dès l’année 2018. Par suite de ce règlement, la loi Informatique et Libertés a fait l’objet d’une actualisation. Y figure à l’article 51 un droit à l’effacement des données.

Concrètement, ces évolutions ont permis d’aboutir à différents droits et avancées tangibles pour les utilisateurs, notamment celui de demander à effacer ses données personnelles et à être déréférencé. La loi pour une République numérique en 2016 est venue parfaire le dispositif en permettant à toute personne de désigner un tiers de confiance numérique certifié, chargé de mettre en œuvre les directives prises par une personne de son vivant quant au sort de ses données personnelles. Le 117e Congrès des notaires s’est intéressé à la question et a effectué des propositions pour ajuster et adapter ledit article aux situations concrètes par rapport aux problématiques rencontrées par la pratique notariale. Le droit à l’oubli numérique a donc fait sa place au sein de l’espace juridique européen et français.

Anticiper la gestion de ses données personnelles après sa mort

Pour autant, la plupart des personnes envisagent encore à peine l’organisation de son « après » pour ce qui touche à l’environnement numérique. Cette question, qui hier pouvait paraître anecdotique, est en réalité une question amenée à une large généralisation à l’avenir. Si l’existence de comptes sur les réseaux sociaux n’était qu’à la marge, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus à disposer de comptes sur les réseaux sociaux, voire de plusieurs…

La mort numérique génère finalement deux grands axes de réflexions : le sort des données personnelles après le décès et le sort des correspondances privées sur les réseaux sociaux et dans les téléphones. La réglementation actuelle, nous l’avons vu, offre les outils juridiques aux héritiers pour solliciter l’effacement numérique du défunt, si aucun tiers de confiance numérique n’a été désigné par celui-ci de son vivant.

La réglementation actuelle offre les outils juridiques aux héritiers pour solliciter l’effacement numérique du défunt

L’intérêt du testament

La difficulté est qu’il peut ne pas y avoir d’unanimité sur le sort de ces données parmi la communauté des successibles, si le défunt n’a pas laissé d’instructions quant à sa volonté. C’est ce à quoi les notaires sont confrontés sur le terrain. Les questions sont très concrètes. Certains peuvent souhaiter créer un compte posthume sur les réseaux, pour permettre une forme de recueillement numérique. D’autres au contraire, un effacement total des données. D’autres encore ne se posent pas cette question. Ou tout simplement, procéder à cet effacement, si on n’y est pas contraint, constitue un acte trop difficile à effectuer.

Certains peuvent voir le fait de consulter les correspondances passées comme un moyen de prolonger le lien avec le défunt. Cette curiosité post mortem n’est en rien mal pensée, pour autant, souhaite-t-on vraiment que ses proches puissent tout examiner de ces pans de vie dont on n’a pas forcément souhaité parler de son vivant ? Il s’agit là d’une réflexion à mener de son vivant. Le maître outil est le testament, pour laisser les directives en ce qui concerne son devenir numérique.

Il est possible de formuler dans un testament, préparé à l’aide d’un notaire, ses volontés sur la gestion de cet « après »

Ainsi, il est possible de formuler dans un testament, préparé à l’aide d’un notaire, ses volontés sur la gestion de cet « après », et de désigner la personne qui sera chargée de mettre en œuvre ces volontés.