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Économie française : jusqu’ici tout va bien…

Alors que la Banque de France prédit une croissance annuelle de 0,7% cette année, l’économie hexagonale semble mieux résister que celle de ses voisins européens. Mais dans un contexte morose, la situation pourrait se dégrader…

JEAN MARC FIGUET

©Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Notre économie se porte bien, ou en tout cas, mieux que ses consœurs européennes. Au 2e trimestre 2023, la croissance du produit intérieur brut – le PIB, c’est-à-dire la somme des richesses crées par les agents économiques – a augmenté de 0,5 %, soit 5 fois plus qu’au 1er trimestre selon l’INSEE (2023). Dans ses dernières projections macroéconomiques parues en juin, la Banque de France table sur une croissance annuelle de 0,7 % pour 2023. Le gouvernement parie toujours sur une croissance de 1 %.

Cette performance est à souligner pour, au moins 2 raisons. D’une part, la croissance en Allemagne recule de 0,4 % au 2e trimestre et les prévisionnistes anticipent une récession pour 2023 du fait du poids de l’industrie métallurgique et manufacturière dans un contexte de repli de la demande de ses clients étrangers. D’autre part, la bonne performance de l’économie française s’explique par le commerce extérieur, traditionnel tendon d’Achille depuis 20 ans. En effet, le commerce contribue positivement à la croissance (+ 0,7 %) portée par le dynamisme de nos exportations (+ 2,6 %). Dans le détail, les exportations de matériel de transports ont bondi de 11,2 % suivies de près par les opérations de cokéfaction et de raffinage (+ 10,3 %).

Consommation de ménages en baisse

En revanche, le moteur séculaire de notre économie, la consommation des ménages, a baissé de 0,4 % au 2e trimestre 2023 après avoir été nulle au 1er trimestre. Nous consommons moins. La faute à l’inflation ! Son rythme annuel, en juin, est de 4,5 %. Elle est certes en repli par rapport à 2022 (5,2 %) mais reste à un niveau très élevé par rapport à la décennie 2010. L’analyse des composantes de l’inflation montre que l’augmentation des prix de l’alimentation s’élève à 13,7 % sur un an. Le coût de notre panier freine notre consommation et se répercute sur nos autres dépenses telles que l’habillement ou les services. La baisse de la demande intérieure implique une baisse des recettes fiscales (TVA, impôts sur les sociétés) perçues par l’État.

Un autre facteur entre en jeu dans l’explication du ralentissement de la consommation des ménages : les taux d’intérêt. Ils ont fortement augmenté depuis 1 ans pour contrecarrer la flambée des prix issue des effets du post-Covid et de la guerre en Ukraine. Depuis le 14 septembre, la BCE a relevé son taux directeur à 4,5 %. Pour mémoire, ce taux était à 0,5 % en juillet 2022. Les conditions de financement ont donc brutalement changé et vont engendrer des effets perturbateurs dans le comportement des ménages, mais aussi des entreprises et de l’Etat.

Pour les ménages, le renchérissement du coût du crédit est un puissant facteur de chute de la demande. Ainsi, le tableau de bord de l’Association des Sociétés Financières indique une baisse des crédits à la consommation au 1er trimestre 2023, avec notamment un effondrement des prêts personnels de plus de 25 % ! Il en va de même pour les crédits immobiliers dont le volume a chuté de 40 % en 1 an selon la Banque de France. Après les années folles de l’endettement (2015-2022) à des taux d’intérêt nominaux faibles, voire nuls, le marché du crédit de l’immobilier chute. La FNAIM prévoit une baisse de 15 % des transactions immobilières en 2023. Les banques ont durci les conditions d’emprunt, à la fois pour satisfaire aux exigences réglementaires du Haut Comité de Stabilité Financière et pour gérer leurs risques. De leur côté, les ménages hésitent à s’endetter alors que les prix des biens immobiliers ne baissent pas encore significativement. La remontée des taux grève significativement leurs capacités d’endettement. Et la perspective d’une baisse des prix fait craindre aux ménages de subir une moins-value sur leur investissement. Tous les intervenants du marché immobilier sont touchés par la hausse des taux : les agences, les courtiers, les promoteurs, les constructeurs… On achète moins, on emprunte moins, on construit moins.

Resserrement des conditions financières

Mais la hausse des taux d’intérêt ne limite pas ses effets à la seule sphère immobilière. Toutes les entreprises vont être, peu ou prou, affectées. Les TPE et les PME constatent que le financement de leurs besoins en fonds de roulement ne peut se faire qu’à un coût de plus en plus élevé auprès de leurs banques. La fin du « quoiqu’il en coûte » marque un retour à la normale et donc, un resserrement des conditions financières. Les grandes entreprises, en particulier celles qui ont profité de la période historiquement exceptionnelle de taux d’intérêt faibles pour s’endetter à tout-va (Altice, Casino…), paient aujourd’hui le prix fort de leur stratégie. Grandes ou petites, les entreprises fragiles vont disparaître du paysage dans le nouvel environnement financier. Un indice de la dégradation de la situation des firmes se trouvent dans les statistiques de la Banque de France relatives au nombre de défaillances mensuelles. Force est de constater que ce nombre augmentent progressivement pour retrouver son niveau d’avant crise sanitaire. En juillet 2023, près de 50 000 entreprises, essentiellement des TPE-PME, ont déposé leurs bilans. La prédiction de Warren Buffet concernant les stratégies des investisseurs sur les marchés financiers, « c’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus », s’applique également aux entreprises.

La fin du « quoiqu’il en coûte » marque un retour à la normale et donc, un resserrement des conditions financières

La dette française

L’évolution des taux d’intérêt frappe également les conditions d’endettement de l’État français. En juin 2023, l’encours de la dette publique négociable est de 2 384 milliards d’euros selon l’Agence France Trésor, soit environ 110 % du PIB. Le déficit budgétaire en 2023 devrait friser les 5 % du PIB. L’Etat a donc un besoin structurel de financement externe qu’il satisfait par l’émission d’obligations sur les marchés. De 2011 à 2020, l’État français a émis de la dette à des taux quasi-nuls sur des marchés financiers abreuvés de liquidités par les Banques Centrales. Ce contexte favorable lui a permis de mener, sans véritable contrainte, une politique contra-cyclique pendant la crise sanitaire et de financer le bouclier tarifaire électricité. Mais, la hausse des taux d’intérêt accroit mécaniquement la charge de cette dette et réduit les marges de manœuvre budgétaire. L’ordre de grandeur fourni par Bercy est de 17 milliards de charge supplémentaire à chaque augmentation de 1% des taux d’intérêt. Rappelons qu’en juillet 2021, l’Etat s’endettait à 20 ans à 0,65 %. En juillet 2022, à 2,34 %. Et, en juillet 2023, à 3,22 %. Le coût de la dette s’accroît donc sur un stock qui ne cesse lui-même d’augmenter.

On le sait, la dette française est dans le collimateur des agences de notation

On le sait, la dette française est dans le collimateur des agences de notation. Tout dégradation de la note se traduira par une augmentation de la prime de risque, c’est-à-dire le taux d’intérêt de la dette, et donc de la charge de la dette. En outre, la désinflation qui est en cours peut impliquer des taux d’intérêt réels – l’écart entre les taux d’intérêt nominaux et le taux d’inflation – sur la dette positifs. Apparaitrait alors un effet « boule de neige » où l’État s’endetterait pour payer les intérêts. Cette situation interdirait toute politique budgétaire contra-cyclique, comme en 2020, et poserait la question de la stabilité de la dette.

Jusqu’ici tout va bien. L’économie française apparaît relativement dynamique dans un contexte morose. Mais, sans hausse du pouvoir d’achat des ménages, sans innovation et investissement des entreprises, sans discipline budgétaire de l’Etat, la situation pourrait rapidement se dégrader.

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