Alors la cuvée 2023 sera-t-elle impactée par le mildiou ? Ça dépend des secteurs répondent les professionnels du secteur. « Alors qu’au 15 juin on avait de très belles fleurs, un mois plus tard c’était la panique » reconnaît Christophe Chateau, directeur de la communication du CIVB. Pour autant, les disparités sont importantes.
LE MALBEC LE PLUS SENSIBLE
Tout d’abord c’est le malbec, cépage le plus courant dans le Bordelais, qui a été le plus impacté par le mildiou selon les zones : « Parfois même au sein d’un même vignoble, certaines parcelles sont très touchées et d’autres très peu » précise Christophe Chateau. La Chambre d’agriculture de Gironde estimait à la mi-juillet que 90 % des parcelles avaient été impactées : « Mais ce n’est pas significatif », nuance Stéphane Gabard, président du syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur. « Certains ont perdu 20 à 30 % mais, comme les volumes sont importants, ils s’y retrouvent. D’autres ont perdu entre 50 % et la totalité de leur récolte, c’est très disparate. » Certains secteurs ont été moins touchés comme le Médoc (ou le Cabernet est majoritaire) ou le nord Gironde. À l’inverse, Bordeaux, les côtes de Graves et le Libournais ont été très concernés.
L’AGRICULTURE BIO CHRONOPHAGE
Ces pertes massives ont impacté en particulier ceux qui étaient en conversion bio, mais là encore, il faut nuancer selon Stéphane Gabard : « il fallait être très présent, certains sont aussi très touchés en viticulture conventionnelle, mais », reconnaît-il, « on risque d’avoir des déconversions, l’itinéraire bio est chronophage ». Ceci combiné au fait que le marché du bio ne se porte plus très bien en raison des difficultés de pouvoir d’achat : « La courbe de progression qui a duré 10 ans s’est stoppée », confirme Stéphane Gabard, « ces deux effets combinés pourraient décourager des viticulteurs. » (cf. encadré)
LE CHOIX DE L’AGROSYNERGIE PARPASCAL CHATONNET
Comme le remarquait Stéphane Gabard, le fléau du mildiou cet été, en particulier sur les exploitations bio, pourrait bien remettre en question la conversion de certains viticulteurs engagés. Une réflexion menée par Pascal Chatonnet, propriétaire viticolemais aussi chercheur, œnologue, conseil, et fondateur associé du laboratoire d’analyse et d’expertise Excell : « En 2017 on a entamé une conversion biologique, ça faisait déjà 15 ans qu’on n’utilisait plus d’herbicides et qu’on avait éliminé les pesticides complexes. Il nous restait une seule molécule (luttant contre le mildiou) qui n’était pas dans le référentiel bio ». Pascal Chatonnet décide donc de s’en passer mais les années climatiquement complexes s’enchaînent de 2018 à 2021. « On s’est rendu compte que la prise de risque était excessivement forte parce que, durant cette période, on a perdu l’équivalent (cumulé) d’une récolte. Ce qui a mis en péril l’existence économique du domaine. » Il décide alors d’une nouvelle orientation : « J’ai eu une réflexion plus profonde : notre responsabilité est d’abord sociale en prenant soin de nos salariés, vis-à-vis de nos clients en leur offrant la meilleure qualité sans résidus de produits et enfin vis-à-vis de notre environnement, en favorisant l’activité biologique. » Il décide alors de stopper le processus de conversion bio et d’engager un processus d’agrosynergie : « C’est la synthèse entre tous les modes de pensée et de production respectueux au sens social et environnemental. Ça commence par la gestion du sol et ça va jusqu’au packaging ». Un engagement synthétisé dans son manifeste en faveur de la viticulture agrosynergique.
TENSION INTERNATIONALE
La baisse de la consommation ne touche pas que le marché du bio, c’est la tendance du marché en général, et en particulier du vin rouge. « L’export marque le pas », remarque Stéphane Gabard. On ressent une tension internationale, car la production viticole est excédentaire dans bon nombre de pays : « L’Australie compte des millions d’hectolitres en excédent, la Californie a lancé un plan d’arrachage, l’Espagne et le Portugal se plaignent aussi de volumes excédentaires. »
UN ARRACHAGE CONCERTÉ MAIS ONÉREUX
Quid de l ’arrachage dans le vignoble bordelais ? « 1 100 dossiers environ de pré-inscription ont été déposés jusqu’au 17 juillet, et cela couvrait 9 200 ha », résume Christophe Chateau. 300 concernent des cessations définitives d’activité, et le reste des arrachages partiels pour une diminution de la production. Le dossier est en cours de validation à la commission européenne et devrait être lancé courant octobre. « C’est un arrachage co-construit », souligne Stéphane Gabard, « et ce dispositif intéresse d’autres vignobles, mais il est très contraignant. » En effet, l’arrachage devrait coûter environ 60 millions d’euros, dont un tiers (19 millions) à la charge du CIVB.
UNE ANNÉE AROMATIQUE
« L’année 2023 sera celle du blanc ! », prévient l’œnologue conseil Marie-Laurence Porte, du centre de conseil œnologique Enosens. Contrairement aux craintes du mois de juillet, les pluies de la mi-août ont regonflé les grains. « Ce sera un grand millésime pour les blancs secs », remarque Marie-Laurence Porte, « aromatique, complexe avec des arômes de fruits exotiques, d’agrumes et même d’abricot sur le sauvignon et de fruits blancs et d’ananas sur les sémillons, avec un très bon équilibre et une réelle fraîcheur qui lui assurera une bonne longévité. » Côté rosé, là aussi, le millésime est prometteur avec une belle couleur pâle, une bonne acidité et là encore fraîcheur et aromatique. Le vin rouge quant à lui, après une année 2022 exceptionnelle, sera moins structuré mais plus en rondeur et en sucrosité, « des goûts qui correspondent au marché actuel », remarque Marie-Laurence Porte. Les effervescents qui ont le vent en poupe – « beaucoup de petits producteurs commencent à en proposer à partir de blancs de noir »,estime Marie-Laurence Porte – auront une belle acidité. « Ça tombe bien, c’est l’équilibre parfait ! » Les liquoreux (on était à un tiers des vendanges au moment de l’interview, NDLR) s’annoncent très aériens, fruités et équilibrés.