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« ESSCA – School of Management » Bordeaux : Economie sous influence

Pour appuyer sa recherche et illustrer ses enseignements, l’ESSCA - School of Management s’est dotée fin 2021 d’un laboratoire d’économie expérimentale, entre ses campus de Bordeaux et de Lyon. Destiné à comprendre comment les gens prennent des décisions, il permet d’intervenir sur les comportements et notamment de lutter contre la fraude. Explications.

ESSCA - School of Management, Bordeaux, économie

© Shutterstock

Si les premières expériences d’économie comportementale datent des années 1940, et sont auréolées du prix Nobel d’économie de 2012 et 2019*, le laboratoire d’expérimentation de l’ESSCA – School of Management est tout simplement unique en France. Inauguré en octobre 2021, « l’ESSCA-Lab est une plateforme d’expérimentation comportementale qui, comme dans les sciences dures, permet de reproduire, dans un environnement contrôlé, des situations de la vie réelle, afin d’observer les comportements », décrit Jérémy Celse, enseignant-chercheur en statistiques, éthique et macro-économie au campus bordelais de l’ESSCA depuis 2 ans. « Le but est de comprendre comment les gens prennent des décisions, puis de chercher des solutions pour les modifier si c’est nécessaire », continue-t-il.

Grâce à ce laboratoire, qui existe en version physique au campus ESSCA de Lyon, où il est truffé de caméras et fournit de nombreux indicateurs, mais également en version mobile à Bordeaux, permettant d’aller sur le terrain, ce jeune chercheur vient de publier plusieurs articles de recherche sur la fraude ou encore le management, « qui offrent à l’ESSCA une certaine reconnaissance académique internationale, qui est importante pour nous », indique Brigitte de Faultrier, directrice du campus de Bordeaux. En effet, l’ESSCA détient 3 accréditations internationales : une « triple couronne » que porte seulement 1 % des écoles de commerce dans le monde.

Le but est de comprendre comment les gens prennent des décisions, puis de chercher des solutions pour les modifier

CONVENTION DE 3 ANS AVEC LA SNCF

« Le recherche nourrissant les enseignements », rappelle également Brigitte de Faultrier, ce laboratoire est devenu pour le jeune professeur un moyen d’illustrer de façon concrète ses cours d’éthique, durant lesquels il « prépare les étudiants au fait que le choix de la moralité n’est pas que conscient ». C’est ainsi qu’il y a quelques mois, Jérémy Celse a proposé ses services à différentes entreprises, et finalement signé une convention de 3 ans avec la SNCF Grand-Est pour réaliser une étude sur la fraude dans les gares. L’expérience est simple, la méthodologie précise. Après avoir défini le thème et le comportement à observer (ici, la fraude), un jeu de base (généralement préexistant) permettant de connaître les décisions prises par les personnes observées est choisi. Il peut s’agir par exemple d’un jeu de lancer de pièces, « dont la loi statistique est d’une chance sur 2 de tomber sur pile », précise l’enseignant-chercheur.

Puis des variables de manipulation sont établies. « Par exemple, on ne les surveille pas, et on indique aux gens qu’à chaque fois qu’ils tombent sur pile, ils reçoivent un euro. 80 % d’entre eux vont alors tricher un petit peu », assure Jérémy Celse. La taille de la cohorte (plusieurs centaines de personnes) est ensuite définie et les gens qui vont participer à l’expérience sont recrutés. Il s’agit principalement d’étudiants de l’ESSCA, de personnes âgées, de « clickers » sur Internet ou de populations précisément étudiées comme des usagers du train ou des banquiers, « que nous rémunérons, l’incitation monétaire révélant le bon comportement », estime Jérémy Celse.

Si un comportement est néfaste ou si une modification est bénéfique pour la société, alors nous proposons des solutions pour le changer

« IL FAUT QUE LE BUT SOIT ÉTHIQUE »

Jérémy Celse, ESSCA, Bordeaux, économie

Jérémy Celse, enseignant-chercheur en statistiques, éthique et macro-économie à l’ESSCA depuis 2020, spécialiste de l’économie expérimentale © D. R.

L’expérience est ensuite lancée et l’impact de chaque variable analysé, afin de comprendre le comportement des gens. « Et si celui-ci est néfaste ou si une modification est bénéfique pour la société, alors nous proposons des solutions pour le changer », poursuit le chercheur-enseignant. C’est notamment pour cela que Jérémy Celse se réserve le droit de choisir ses projets d’étude : « il faut que le but soit éthique », martèle-t-il, précisant avoir abandonné un projet dans lequel un laboratoire pharmaceutique souhaitait modifier la perception d’un médicament pour mieux le vendre. D’autre part, son intervention doit rester inconsciente, et « il est important pour moi que les gens qui vont la subir estiment qu’elle sera bénéfique pour la société. Je leur pose donc la question au départ », affirme-t-il. Dans le cadre de l’expérimentation avec la SNCF, le jeune enseignant s’est ainsi assuré que « 95 % des gens étaient d’accord avec l’idée de lutter contre la fraude dans les transports publics ». Équipé de son laboratoire portable contenu dans une tablette, il a sillonné les quais des gares de l’Est de la France afin de faire jouer les usagers, de connaître leur justification à la fraude (cette dernière étant généralement inconsciente), d’ajouter des variables de manipulation, puis de faire baisser le taux de fraude de 58 % !

LA FORCE DE L’ENVIE

Mais comment ? « Naturellement, on peut penser que pour faire baisser la fraude, la surveillance et la sanction sont les armes les plus efficaces », commence Jérémy Celse, qui rappelle que les premières expérimentations comportementales concernaient la fraude fiscale. Mais d’autres variables s’avèrent bien moins coûteuses et bien plus puissantes. « Il y a notamment l’envie », précise l’enseignant-chercheur qui a réalisé sa thèse sur ce sujet. Ainsi dans le cadre du jeu de la pièce, si la règle devient que vous gagnez 1 euro en tombant sur pile, et une autre personne 2 euros, alors les gens ne trichent pas du tout, « refusant que les autres puissent gagner quelque chose de plus de leurs propres actions ». « Cela démontre que l’envie est une force ignorée qui peut pourtant très vite modifier les comportements en permettant de réaligner tout le monde sur la norme éthique, sans surveillance, ni sanction », analyse-t-il. La force de l’envie est également observée dans la fixation du salaire : « si vous avez le choix entre deux postes, et qu’une entreprise vous propose 50 000 euros, mais vous serez le moins bien payé, et l’autre vous propose 25 000 euros, mais vous serez le mieux payé de l’entreprise, les gens choisissent d’être moins payés, mais plus que les autres ».

L’activation de nos préjugés et stéréotypes fonctionne pour notre moralité

MESSAGE SIMPLE

Autre variable efficace : le « priming » ou « amorçage ». Dans ce cas, on active les stéréotypes inconscients, en faisant « penser aux gens à des valeurs morales positives ou négatives », afin d’influencer leur comportement. « Par exemple, le métier de banquier ou d’assureur est stéréotypé très négativement », note Jérémy Celse, qui a travaillé avec des banquiers dans le cadre d’un partenariat entre l’ESSCA et une banque suisse. « Si vous activez l’identité personnelle de père de famille du banquier en lui posant des questions sur son week-end avant de le faire jouer au jeu de la pièce, il trichera un petit peu, comme tout le monde. Mais si vous activez son identité professionnelle en lui demandant au préalable de parler de son métier, il trichera beaucoup plus. L’activation de nos préjugés et stéréotypes fonctionne pour notre moralité », conclut l’enseignant-chercheur. C’est ainsi que pour la SNCF, le message affiché dans la gare était tout simplement : « Dans cette gare, 90 % des gens achètent et compostent leur billet avant de monter dans le train ». Les gens exposés au message « ont inconsciemment préféré être dans les 90 % de gens bien plutôt que dans les 10 % mauvais », selon Jérémy Celse.

CONVENTION AVEC KEOLIS

Ce procédé, utilisé en psychologie, en marketing, en communication ou en sociologie, peut permettre d’étudier toutes sortes de comportements comme « la fraude, la coopération, l’altruisme, le multitâches, le sabotage, le mensonge… », mais également « le salaire à fixer pour qu’un employé choisisse de rejoindre mon entreprise, le type de management à adopter pour qu’il travaille bien, ou encore les conditions de marché pour que quelque chose fonctionne, pour provoquer des achats en NFT, et même l’impact du sexe de la voix d’un robot-adviser sur ceux qui l’utilisent », détaille Jérémy Celse. Le chercheur vient d’ailleurs de publier un article de recherche montrant que l’usage de l’article féminin devant La Covid, paraissant « plus doux », incite moins les gens à respecter les gestes barrières que l’usage de l’article masculin. Et il est déjà en train d’élaborer ses prochaines expériences, dans le cadre de conventions en préparation entre l’ESSCA et Keolis pour évaluer et faire diminuer la fraude dans les transports de la métropole bordelaise, ou encore avec la start-up Soan, qui a ouvert un bureau à Bordeaux en 2020, et qui travaille sur le règlement des factures impayées et la réduction des délais de paiement.

 

* La Franco-américaine Esther Duflo a fait partie des colauréats du Nobel d’économie en 2019 pour ses expérimentations sur le terrain

 

LE PRINCIPE DU NUDGE

Outil dérivé des expériences de l’économie comportementale, qui permettent de « comprendre comment les gens prennent des décisions », rappelle Jérémy Celse, enseignant-chercheur au campus bordelais de l’ESSCA, le concept de « nudge », ou « coup de coude » en anglais, est une « stratégie à bas coût qui consiste à changer l’environnement dans lequel les gens prennent des décisions pour modifier le comportement en attirant l’attention », explique- t-il. Généralement utilisées en marketing, en politique (Barack Obama s’est doté d’une « nudge unit » dès 2013), en santé, en management ou même en finance, ces techniques ont pour but d’influencer les comportements dans l’intérêt propre des populations, et cela sans contrainte. À Bordeaux, une expérience nudge a ainsi été menée en 2019, avec l’installation de cendriers dans l’espace public invitant les fumeurs à jeter leurs mégots sous la réponse choisie à des questions ludiques telles que : « pain au chocolat » ou « chocolatine » ? Une façon simple, peu onéreuse et non contraignante de lutter contre la pollution en faisant changer les comportements.

 


L’ESSCA EN BREF

  • Fondée en 1909, l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers, aujourd’hui nommée ESSCA – School of Management, compte 7 campus à Angers, Paris, Budapest, Shanghai, Lyon, Aix-en-Provence, Bordeaux et bientôt un 8e à Strasbourg.
  • L’ESSCA est membre du très sélectif club mondial des écoles de commerce détenant 3 accréditations internationales : EQUIS (standard européen), AACSB (standard nord-américain), AMBA (standard MBA).
  • Issue de l’université catholique de l’Ouest, l’ESSCA en a conservé « les valeurs humanistes : l’étudiant étant placé au centre de tout », précise la directrice du campus de Bordeaux, Brigitte de Faultrier, avec d’un côté l’enseignement et de l’autre la recherche
  • Ouvert depuis 2016, le campus bordelais de l’ESSCA, qui accueillait au départ une soixantaine d’étudiants, en compte aujourd’hui 550 répartis dans le programme Bachelor (niveau licence) et le programme Grandes écoles (délivrant le grade de master)
  • À Bordeaux, les spécialités de master sont le management de l’innovation et la transformation digitale, avec le marketing et l’expérience client, en particulier dans le luxe et le vin, « nous nous inscrivons en effet dans l’écosystème local », précise Brigitte de Faultrier.
  • Actuellement situé dans le quartier de Bacalan, le campus bordelais de l’ESSCA devrait prendre ses quartiers dans ses nouveaux locaux à la rentrée de septembre 2023 : l’ancien mess des officiers de la caserne Niel, rive droite, qui pourra accueillir un millier d’étudiants.

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