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Finances : Le vert est dans le fruit

Le vert est la couleur à la mode aujourd’hui y compris dans les entreprises et la finance. Une dynamique est engagée mais tout n’est pas rose dans la finance verte car elle remet en cause de nombreux avantages acquis.

© Shuttertsock - Ronnachai Palas

Depuis le choc du Covid- 19, chacun de nous réfléchit au « monde d’après » ou comment vivre et travailler dans de meilleures conditions. Chacun de nous a bien compris que la mondialisation n’était pas qu’un processus bienheureux, mais avait des effets pervers. Chacun de nous a bien saisi que le réchauffement climatique n’était plus une chimère, mais une réalité incandescente.

RÉVOLUTION VERTE EN MARCHE

En 2021 et, espérons-le, pour les années à venir, le vert est la couleur à la mode. Les ménages, surtout les plus jeunes, veulent consommer et épargner vert. Les entreprises, y compris les compagnies pétrolières, veulent devenir vertes. Les États, même les plus libéraux, veulent relancer vert. Finie l’économie brune, productiviste et polluante. Place à l’économie verte, respectueuse et vertueuse. Finie l’émission continue de gaz à effet de serre. Place à la neutralité carbone. Tous les secteurs de l’économie devraient être affectés par la migration verte : l’énergie, les transports, l’agriculture, la construction, le commerce… Dans le domaine énergétique, la Nouvelle-Aquitaine, en général, et la Gironde, en particulier, sont des figures de proue : de la micro-centrale solaire installée sur le toit de l’école Marcel-Sembat à Bègles par Solévent à la plus puissante centrale photovoltaïque d’Europe à Cestas développée par Neoen. En agriculture, la plus grande ferme d’aquaponie d’Europe sera à Mérignac. Le bilan carbone des entreprises de la Gironde est d’ailleurs à la pointe (voir les articles de Nathalie Vallez et Jennifer Wunsch dans les EJG du 14 mai 2021). D’obligation, la décarbonation des activités devient un atout pour conquérir de nouveaux marchés et séduire de nouveaux clients. La révolution verte est en marche !

La finance s’affiche comme l’acteur indispensable de la transition écologique

Derrière cette volonté unanime de respecter les objectifs de l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement soutenable et ceux de l’Accord de Paris de 2015 sur le climat, reste une question en suspens, celle du financement de cette transition dont le coût est estimé à 3 000 milliards d’euros par an jusqu’en 2050. Problème : les ménages, les entreprises et les États sont endettés et ne peuvent assurer seuls le passage de l’enfer brun au paradis vert. Qui alors ? La finance, bien sûr ! Après bien des déboires et des critiques quant à son utilité, pensons à la crise des subprimes de 2008 ou à celle des dettes souveraines de 2011, la finance s’affiche comme l’acteur indispensable de la transition écologique.

NEUTRALITÉ CARBONE D’ICI 2050

La finance verte a donc pour objet de permettre aux acteurs économiques d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les Banques centrales, dont la Banque centrale européenne et la Banque de France depuis 2018, affichent leur volonté de financer des activités vertes. Les banques commerciales, notamment les banques françaises, communiquent à tout-va pour signifier qu’elles stoppent leur soutien aux industries polluantes (pétrole, charbon…) pour désormais le consacrer à des industries à impact positif (énergies renouvelables) et ainsi obtenir des certifications et des labels RSE. Tel est le cas, par exemple, de BNP Paribas, de la Société Générale et de La Banque postale qui sont signataires de la Net-Zero Banking Alliance lancée par l’ONU Environnement pour atteindre cette fameuse neutralité carbone d’ici 2050. Les compagnies d’assurance devraient prochainement leur emboîter le pas. Et les gestionnaires d’actifs financiers, à commencer par le plus important d’entre eux, l’américain Blackrock, considèrent désormais que l’utilité sociale et environnementale est totalement compatible avec la rentabilité économique.

Le principal risque est d’investir dans des activités faussement vertes

LE VERT RENTABLE

Dans la finance verte, le financement participatif (crowdfunding) a été précurseur en finançant notamment la production d’énergies renouvelables telles que le photovoltaïque et l’éolien. La plateforme bordelaise Happy Capital, dirigée par Philippe Gaboriau a permis le financement du projet HACE qui vise à produire de l’énergie houlomotrice. Désormais, des obligations vertes (green bonds), des actions vertes, des OPCVM et des SCPI verts, des indices boursiers verts sont disponibles et permettent aux investisseurs de diversifier leurs portefeuilles d’actifs et d’accompagner la transition écologique. Avec de potentielles plus-values à la clé. C’est ainsi que l’achat de Futuren qui construit et exploite des parcs éoliens par EDF Énergies Nouvelles ces derniers jours a permis à ses actionnaires d’empocher une plus-value de 50 %. Le vert est donc rentable !

Le principal obstacle découle du manque de comparabilité des données climatiques

Mais tout n’est pas rose dans la finance verte : le principal risque est d’investir dans des activités faussement vertes. C’est le fameux greenwashing qui consiste pour des firmes malveillantes à nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Et la multiplication des labels verts (aux contours spécifiques) ne facilite pas la tâche des investisseurs. Car la finance verte se distingue de la finance classique par la nécessaire inclusion de données extra-financières notamment liées à la réduction des émissions de CO2. Dans la finance classique, le rendement (ROE, ROA, ROI…) est le juge de paix : il est calculé à partir des données financières des entreprises, données issues du plan comptable général en France. Le calcul du rendement dans la finance verte fait certes appel aux données financières, mais aussi aux fameuses données extra-financières. Pour l’instant, le principal obstacle découle de la qualité insuffisante et du manque de comparabilité des données climatiques, en particulier, et des données RSE, en général.

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Pourtant, ces données sont essentielles pour évaluer les pratiques des firmes, le suivi de leurs risques et donc la mise en œuvre de stratégies d’investissement.

Malgré l’existence de recommandations internationales par la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), rares sont encore les investisseurs qui les observent strictement pour mesurer l’empreinte carbone de leurs portefeuilles. Plus rares encore sont ceux qui communiquent les résultats !

REGISTRE MONDIAL DES INVESTISSEMENTS VERTS

L’Union européenne peine d’ailleurs à établir un « registre mondial des investissements « verts » qui fasse autorité pour les parties prenantes (États, banques, industriels, investisseurs, ONG…). Une première version a été publiée le 21 avril dernier. Elle vise à guider les investissements vers des activités vertes pour réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990. Mais de nombreux désaccords demeurent alimentés par des lobbys soucieux de leur avenir. La France, par exemple, veut que l’énergie nucléaire, et donc les industries amont et aval, soient considérées comme vertes. Pour obtenir l’accord des autres États de l’UE, elle est prête à accepter que l’exploitation des gaz fossiles par les pays de l’Est soit classée comme verte. La forêt est également un enjeu majeur des discussions. Doivent-elles être de simples puits à carbone comme le réclament les ONG ? Ou bien doivent-elles être exploitées comme le demandent les exploitants forestiers ? La réponse sera sans doute déterminante pour l’avenir de nombreuses exploitations du massif des Landes.

La dynamique verte est enclenchée et la finance sera son bras armé. Cette dynamique ne sera pas linéaire, mais chaotique car elle remet en cause certains avantages acquis. On peut le regretter. Mais rappelons-nous, que Rome ne s’est pas faite en un jour. L’essentiel est que le vert est dans le fruit !

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