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Gironde, berceau de la didactique des mathématiques 

Talence. Le niveau des élèves français en mathématiques n’a jamais été aussi bas depuis 2000, selon le dernier classement PISA. Il existe pourtant une discipline scientifique reconnue capable « de créer les conditions de l’apprentissage des maths », via la formation des enseignants : la didactique des mathématiques. Deux didacticiens de l’université de Bordeaux reviennent sur sa naissance à Talence. 

mathématiques, Caroline Bulf, Joël Briand

Caroline Bulf et Joël Briand, maîtres de conférences en didactique des mathématiques à l'université de Bordeaux © EJG

Le constat du dernier classement PISA, Programme international pour le suivi des acquis des élèves de 15 ans mené par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), est sans appel. Le niveau des élèves français en mathématiques n’a jamais été aussi bas depuis 2000. Il a même baissé de 21 points depuis 2018. La France, et plus précisément la Gironde, est pourtant le berceau de la didactique des mathématiques. Cette discipline scientifique « qui étudie les conditions d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques », vise à « donner les moyens aux enseignants de réfléchir par eux-mêmes à ces conditions afin de donner toutes les chances aux enfants de découvrir et construire ce savoir », rappellent Caroline Bulf et Joël Briand, maîtres de conférences en didactique des mathématiques à l’université de Bordeaux.

Personnage hors du commun

Née autour des années 1970 à Talence, au sein de l’école élémentaire Jules Michelet, sous l’impulsion de Guy Brousseau, un ancien instituteur qui a fait la première thèse en didactique des maths et reçu la première médaille Felix-Klein, la discipline était une réponse à un contexte particulier. « La massification des élèves à l’école, qui a engendré beaucoup d’échec scolaire en maths. Concomitante avec la réflexion naissante sur le développement de l’enfant, la contre-réforme des maths modernes et l’apparition des IREM (Instituts de recherche pour l’enseignement des mathématiques) », rappelle Caroline Bulf. « Personnage hors du commun animé par des convictions très fortes », selon les mots de Joël Briand, qui a fait sa thèse en didactique des maths sous sa direction, Guy Brousseau obtient de nombreux appuis institutionnels et de mathématiciens et crée à Talence le COREM (Centre d’observation pour la recherche et l’enseignement des maths). Cette école avec des glaces sans tain permettant d’observer les élèves et leurs enseignants est accréditée et une trentaine de thèses y sont réalisées. La didactique des mathématiques naît de « l’épistémologie expérimentale » : « pendant 20 ans, des chercheurs du monde entier sont venus dans ce laboratoire. Au départ, il s’agissait d’observations naïves, puis un cadre théorique est apparu. Que nous avons ensuite transposé vers l’édition, à travers des manuels scolaires », retrace Joël Briand, qui a codirigé pendant près de 30 ans la collection « Euro Maths » chez Hatier.

Les conditions de l’enseignement

« La révolution de cette approche est que pour la première fois, les spécialistes d’une science dure se sont intéressés à son enseignement et ont créé une structure ad hoc », poursuit Joël Briand. En effet, la particularité des didacticiens des maths est avant tout d’être des mathématiciens. « C’est par notre connaissance des mathématiques que nous pouvons réfléchir aux conditions de leur enseignement. La didactique s’appuie sur l’origine des concepts et propose une organisation, une hiérarchie, une planification et des variables pour provoquer les apprentissages », détaille Caroline Bulf.

Mais alors si de tels outils existent et si les didacticiens sont convaincus par l’idée que tous les enfants sont capables d’apprendre les mathématiques, et en ont établi une théorie scientifique reproductible, comment expliquer la baisse généralisée du niveau des élèves ? « Pour analyser les résultats de PISA, il faut regarder 20 ans en arrière et la baisse continue des budgets dans la formation des enseignants, avec la disparition des écoles normales et d’application, des IUFM… et les réformes permanentes », estime Jöel Briand.

Bosse des maths

« La formation des instituteurs devrait être longue, scientifique, rigoureuse et ambitieuse, avec des stages, un accompagnement et une réflexion sur le temps long », tranche Caroline Bulf, également responsable de l’unité de formation des mathématiques à l’INSPE (Institut supérieur national du professorat et de l’éducation) de l’Académie de Bordeaux. « Il existe une vraie difficulté du rapport aux maths qu’il faut dédramatiser pour être un bon enseignant », ajoute-t-elle. Car « moins on est formé, moins on est compétent, plus on est dogmatique, et moins on est capable de transmettre », analyse Joël Briand. Et si pour les didacticiens « la bosse des maths » n’existe pas, le milieu social compte énormément dans leur apprentissage. « Les travaux de Joël Briand sur le tri et l’énumération ont notamment mis en évidence des connaissances implicites, des savoirs transparents qui participent très tôt à de grandes différenciations entre les élèves », précise Caroline Bulf.

Les mathématiques permettent de développer l’esprit critique, la logique (…) ou de savoir lire de l’information

Reste que les mathématiques permettent « de développer la pensée, l’esprit critique, le raisonnement, la logique, l’abstraction, la capacité de poser des questions, de faire des déductions, de formuler des hypothèses ou de savoir lire de l’information, etc. », énumère-t-elle. « Nous contribuons ainsi à former de petits citoyens », conclut Joël Briand. Et les entrepreneurs de demain.

CAROLINE BULF EN BREF 

Maître de conférence en didactique des maths à l’université de Bordeaux, Caroline Bulf a suivi un parcours de maths pures à l’université de Bordeaux, puis au laboratoire de didactique de Paris. Monitrice durant sa thèse en didactique de la géométrie, elle est aujourd’hui responsable de l’unité de formation des maths à l’INSPE de Bordeaux. Porteuse et responsable d’un projet scientifique régional sur les gestes professionnels d’enseignants, elle est membre de l’IREM, où elle est responsable du groupe CoP-math (groupe coopératif sur les réseaux de schématisation de problèmes à l’école primaire). 

JOËL BRIAND EN BREF 

Professeur dans des lycées français à l’étranger, Joël Briand arrive à Bordeaux où il entre à l’IREM, puis fait une thèse de didactique des maths sur l’énumération sous la direction de Guy Brousseau. Des travaux qui font toujours référence aujourd’hui au niveau international. Maître de conférences émérite en didactique des maths de l’université de Bordeaux, ancien formateur pour les enseignants du second degré, il a également dirigé le Copirelem (Commission permanente des IREM sur l’enseignement élémentaire), à l’origine des « Cahiers de la formation ». Il est co-auteur de la collection de manuels scolaire « Euro Maths » (devenue « Opération Maths »), chez Hatier, référence des enseignants pendant 30 ans.