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Grand port maritime de Bordeaux : cap vers la décarbonation

INTERVIEW – L’établissement public, qui gère les sept terminaux de Bordeaux Port Atlantique, semble être remis à flot. Arrivé à sa tête en 2019, Jean-Frédéric Laurent érige l’attractivité et la décarbonation comme priorités et veut mettre l'accent sur les services proposés par le Port pour sécuriser ses revenus. 

Jean-Frédéric Laurent, Grand port maritime de Bordeaux

Sur les terminaux d'Ambès et Bassens, le Port de Bordeaux dispose encore de foncier qu'il pourrait valoriser. © D TRENTACOSTA GPMB

Echos Judiciaires Girondins : Au mois de juillet, votre mandat à la présidence du directoire du Grand port maritime de Bordeaux (GPMB) a été renouvelé pour cinq ans. Arrivé à la tête de l’établissement public en 2019, quel bilan vous tirez ce premier mandat ?

Jean-Frédéric Laurent : Les premiers temps ont consisté à opérer un redressement de l’établissement, puisque la situation était à maints égards compliquée. Nous avons procédé à une réorganisation interne, revu les relations que l’on pouvait avoir avec l’extérieur, et notamment les collectivités au sens large. Ces relations sont désormais stabilisées et les échanges sont beaucoup plus sereins et apaisés qu’ils n’ont pu l’être à une époque.

Ce premier mandat a également vu l’émergence du projet stratégique 2020-2025 pour le Port.

Jean-Frédéric Laurent, Grand port maritime de Bordeaux

Jean-Frédéric Laurent, président du directoire du Grand port maritime de Bordeaux © P.Labeguerie

 

EJG : Avez-vous réussi à stabiliser l’activité commerciale, c’est-à-dire les tonnages traités par le port, qui étaient en chute libre depuis plusieurs années ?

J.-F. L. : Nous rencontrions deux gros problèmes : de fiabilité dans le port et de compétitivité. On a investi, on s’est réorganisé, on a travaillé avec tous nos partenaires. Aujourd’hui, ces deux points sont en grande partie réglés.

Dans le même temps, nous étions confrontés à un phénomène de transformation de notre activité puisque, au-delà de problèmes ponctuels, nous faisons face à des modifications structurelles de nos activités. Je prends un exemple, le charbon, qui représentait plusieurs centaines de milliers de tonnes sur l’activité portuaire à Bordeaux, est quasiment à zéro aujourd’hui.

 

EJG : Comment compensez-vous la baisse de ces activités historiques ?

J.-F. L. : La transformation de l’établissement est venue de l’action que l’on mène, avec tous les acteurs économiques, autour de l’économie circulaire et des matériaux de seconde vie.

Par ailleurs les produits d’avenir, comme les biocarburants, représentent aujourd’hui 10 % de l’activité du Port. Nous avons été parmi les premiers à tester l’introduction des biocarburants dans les avions, les jets, en partenariat avec l’aéroport de Bordeaux et les opérateurs bordelais. Ces biocarburants arrivent et sont mélangés ici.

Aujourd’hui, tout le travail qui est fait est de préparer nos installations à l’accueil de ces nouvelles molécules, quelles qu’elles soient : de l’éthanol, de l’ammoniaque décarbonée, des biocarburants, etc.

Nous préparons nos installations à l’accueil de nouvelles molécules, quelles qu’elles soient : de l’éthanol, de l’ammoniaque décarbonée, des biocarburants

EJG : De grands projets sont en cours de développement sur les divers terminaux du Port. Que pouvez-vous nous en dire ?

J.-F. L. : Je peux vous dire, par exemple, que Bordeaux a été la première zone industrielle portuaire à s’équiper d’une unité de méthanisation. C’est le projet CVE, sur la presqu’île d’Ambès.

Nous récupérons les déchets organiques d’exploitation des ports ainsi que les déchets de collectivités, de cantines, des déchets agricoles… pour le transformer en biogaz. Celui-ci est ensuite réinjecté dans le réseau local. À terme, cette unité pourra alimenter en biogaz l’équivalent d’une ville comme Bassens (plus de 8 000 habitants).

Je peux également évoquer le projet GH2, sur Ambès également, qui est un projet de production d’ammoniaque décarbonée.

 

EJG : Le projet Pure Salmon, qui doit implanter au Verdon une gigantesque ferme aquacole pour produire 10 000 tonnes de saumon par an, a soulevé des inquiétudes. Où en est ce projet ?

J.-F. L. : Il pose une problématique de gestion de l’eau, qui a été traitée avec les services de l’État et les collectivités de manière que le prélèvement en eau nécessaire n’ait pas de conséquences sur la consommation humaine, ni sur les ressources agricoles. Le choix a été fait d’aller ponctionner dans des nappes qu’on appelle d’eau saumâtre, c’est-à-dire de l’eau salée.

De gros investissements ont été faits par le porteur de projet, en études, en forages, en tests… Je ne me prononcerai pas à la place des services qui ont le rôle et la mission de donner les autorisations, qui feront les vérifications nécessaires.

 

EJG : Tout cela résulte d’une réflexion que GPMB a eue autour du foncier. Quels seront les prochains développements ?

J.-F. L. : Le foncier est une question cruciale parce qu’on ne fait pas de transformation industrielle s’il n’y a pas de foncier. Dans le cadre de l’initiative Zones Industrielles Bas Carbone (ZIBaC), l’un des axes de travail collectif (puisque tout le foncier n’appartient pas uniquement au Port mais aussi à des opérateurs privés et à des collectivités,) va être de réfléchir à la destination future de ce foncier. On a encore quelques terrains disponibles, assez peu en fin de compte, sur Bassens et Ambès. Nous travaillons avec les différentes parties prenantes pour donner une nouvelle orientation aux possibilités d’accueil des entreprises à l’avenir.

L’implantation de Pure Salmon est issue du travail que l’on a fait pour qualifier le site du Verdon de site industriel clé en main. Cela a permis de passer un certain nombre d’étapes administratives et formelles, afin de préparer les terrains pour l’accueil d’activités économiques. Nous avons engagé cette démarche pour d’autres fonciers, notamment sur le site de Parempuyre, qui fait déjà l’objet de concertations pour la production de matériaux pour les batteries, c’est le projet EMME.

Jean-Frédéric Laurent, Grand port maritime de Bordeaux

Sur ses quatre capacités de mise au sec, le Port peut est capable d’accueillir des navires pour quasiment tout type d’intervention: des réparations, du refit, mais aussi de la déconstruction. © Gimball Prod

 

EJG : Quels seront les axes principaux du prochain plan stratégique 2025-2030 ?

J.-F. L. : Nous allons renforcer, les trois piliers de fonctionnement de l’établissement portuaire. Le premier pilier, c’est notre rôle de port de commerce : faire entrer, sortir des marchandises, manutentionner, stocker, faire rentrer et sortir des bateaux.

Globalement, on est aujourd’hui sur une voie de transition, sur une stabilisation de l’activité. On ne s’attend pas à doubler notre trafic. Il faut savoir raison garder, on est un port à vocation territoriale. Nous n’avons pas de grands projets de nouveaux terminaux à grande échelle.

Deuxième pilier, c’est notre foncier. C’est une source d’implantations économiques et bien entendu aussi de recettes pour le port. C’est aussi l’un de nos piliers d’activité pour les années à venir.

Et puis le troisième pilier de notre activité qui est souvent méconnue et qui sera l’un des éléments majeurs de développement des cinq années à venir, c’est toute l’activité de services.

 

EJG : Que représente cette activité de services ?

J.-F. L. : Sur le volet dragage, nous sommes opérateurs pour nous-mêmes, et nous le sommes devenus depuis cinq ans pour des tiers, d’autres ports notamment. Nous disposons de deux engins de dragage et 60 marins. On a aussi des activités de dragage dans l’Estuaire : c’est peu connu, on réalise le dragage pour la prise d’eau de la centrale nucléaire du Blayais.

Notre deuxième activité de services, c’est notre pôle naval. Il s’agit de l’exploitation de nos capacités de mise au sec des navires : les formes de radoub (la très grande forme de Bassens, celles des bassins à flot) et le slipway, un plan incliné qui permet de sortir des navires et de les mettre au sec. Cette activité a connu une montée en puissance significative depuis trois ans, puisqu’on a remis à niveau l’ensemble de nos installations, notamment au titre des installations classées pour la protection de l’environnement. On est maintenant capable d’accueillir des navires pour quasiment tout type d’intervention, que ce soit des réparations, du refit, mais aussi de la déconstruction. Des opérateurs qui viennent chez nous, bénéficient de nos infrastructures et sont locataires de nos infrastructures.

Le troisième volet de ces services, ce sont nos ateliers. Nous pouvons être prestataires de services pour les opérateurs qui viennent chez nous. Puisque nous avons des ateliers de réparation navale qui sont capables d’intervenir sur la totalité d’un bateau.

Toute l’activité services représente aujourd’hui environ 20 % de notre chiffre d’affaires (de 43 M€ en 2023, n.d.l.r). Une centaine de salariés travaille dans ces ateliers, un tiers de l’effectif du port.

 

EJG : Durant l’été, le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, a évoqué la possibilité de déplacer la zone d’amarrage des bateaux de croisière de l’hypercentre vers la rive droite. Qu’en est-il ?

J.-F. L. : L’activité de croisière est importante pour le Port et elle est intégrée dans notre démarche de transition écologique.

Nous allons être soumis, à l’horizon 2030, à une obligation de fournir de l’électricité à quai. La question est de savoir comment et à quelles conditions nous allons pouvoir la fournir. Ce n’est pas simple puisque ce sont des puissances électriques importantes qui demandent des installations significatives.

Nous allons être soumis, à l’horizon 2030, à une obligation de fournir de l’électricité à quai

Nous avons l’obligation de réaliser des études, indispensables, pour pouvoir fournir cette alimentation à quai. Allons-nous pouvoir réaliser cette installation au centre-ville de Bordeaux ? Techniquement, économiquement, réglementairement ? On est en périmètre Unesco : est-ce que ces installations seront acceptables ?

Il est clair que, au cas où nous arriverions à une impossibilité d’installer ce branchement électrique en centre-ville, nous aurions à chercher une autre possibilité d’implantation et d’escale des bateaux de croisière. Donc, nous procéderions à l’examen d’une solution alternative pour, le cas échéant, continuer à accueillir des croisiéristes dans les meilleures conditions, avec le moins d’impact possible sur les riverains.

Jean-Frédéric Laurent, Grand port maritime de Bordeaux

Environ 60 paquebots amarrent chaque année à Bordeaux. © GPMB_Champlain

 

EJG : Les Assises économie de la mer se dérouleront à Bordeaux les 19 et 20 novembre prochains. Quel rôle le Port jouera-t-il dans cet événement national qui rassemblera environ 1 300 professionnels en Gironde ?

J.-F. L. : C’est une très belle opportunité que tout l’écosystème se réunisse pour la première fois à Bordeaux. Cela va être une caisse de résonance importante pour tous les acteurs industrialo-portuaires bordelais et de Nouvelle-Aquitaine. Nous organiserons des visites, il y aura peut-être quelques bateaux en exposition, un village des start-up.

GPMB en chiffres

7 terminaux portuaires : Le Verdon, Pauillac, Blaye, Ambès, Grattequina, Bassens, Bordeaux

43 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023

340 salariés

6 millions de tonnes de marchandises transitent par le Port (dont 56 % proviennent des imports d’hydrocarbures)

900 navires sont accueillis chaque année, dont 60 paquebots

70 millions d’euros investis par GPMB sur 2020-2025, la même somme devrait être investie sur 2025-2030