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L’entreprise à mission : le champ des possibles

Dans le cadre de la loi PACTE adoptée en 2019, un nouveau concept a éclos : celui de l’entreprise à mission. Les maîtres mots de cette nouveauté juridique sont : raison d’être, objectifs sociaux et environnementaux. La France compte actuellement 200 entreprises à mission.

Christian PRAT DIT HAURET, entreprise, Raymond Aron

Christian PRAT DIT HAURET professeur à l’IAE Université de Bordeaux ©D.R

Avec l’article 210-10, la loi PACTE a entraîné une modification de deux articles du Code civil. Ainsi, selon l’article 1833 du Code civil : « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt intérêt social, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». De plus, selon l’article 1835 du Code civil, « les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement. Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée de principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

70 % des entreprises à mission seraient des PME de moins de 50 salariés

Plus précisément, l’article L 210-10 de la loi PACTE précise les conditions que toute société doit respecter pour faire état de son entreprise à mission :

  1. Ses statuts précisent une raison d’être, au sens de l’article 1835 du Code civil ;
  2. Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
  3. Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission mentionnée au 2°. Ces modalités précisent qu’un comité de mission, distinct des objectifs sociaux prévus par le présent livre et devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion, mentionné à l’article L 232-1 du présent code, à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société. Ce comité procède à toute vérification qu’il juge opportune et  se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission ;
  4. L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant. Cette vérification donne lieu à un avis au rapport mentionné au 3° ;

5. La société déclare sa qualité de société à mission au greffe du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité à ses statuts mentionnés au 1°) à 3°), au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État.

Selon Novethic, la France compterait plus de 200 entreprises à mission sur un total de 500 000 entreprises, allant de la microentreprise au très grand groupe. 70 % d’entre elles seraient des PME de moins de 50 salariés et des microentreprises, 17 % auraient plus de 50 salariés, 9 % seraient des ETI et 4 % des grandes entreprises. Le site Internet societeamission.com recense les entreprises à mission. On y retrouve des entreprises de tout secteur d’activité, comme Aigle (prêt-à-porter, bottes, chaussures), Le Slip français (sous-vêtements et accessoires), Yves Rocher (cosmétiques et produits de beauté), Givaudan (arômes), Maif (mutuelle), Camif (mutuelle), Méridiam (développement d’infrastructures), Boursorama (banque et courtier en ligne), Groupe La Poste (courrier et banque), Openclassroom (éducation), Danone (produits laitiers et eau), Vranken Pommery (champagne), Erilia (immobilier). On peut notamment lire sur le site la raison d’être de ces entreprises à mission.

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ENCOURAGER LES COMPORTEMENTS ÉCOLOGIQUES

À titre d’exemple, la raison d’être de l’entreprise Aigle est la suivante : « en devenant une entreprise à mission, Aigle a ainsi placé 5 engagements au cœur de sa mission : concevoir des produits durables, sélectionner des fournisseurs conformes aux principes du pacte UN Global Compact, encourager les comportements écologiques sur les lieux de travail, sensibiliser à l’écologie circulaire et à la protection de l’environnement, soutenir des initiatives de protection de l’environnement).

AMÉLIORER LA SANTÉ GRÂCE À DES PRODUITS PLUS SAINS

Pour Danone, « les objectifs sociaux et environnementaux qui constituent sa mission sont alignés sur les objectifs de développement durable des Nations Unies et recensent 4 dimensions. La première : améliorer la santé grâce à des produits plus sains et des marques qui encouragent de meilleures habitudes alimentaires. La deuxième : préserver la planète et renouveler ses ressources, en soutenant l’agriculture régénératrice, en protégeant le cycle de vie de l’eau et en renforçant l’économie circulaire des emballages, pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. La troisième, construire le futur avec les équipes, en lien avec le modèle de gouvernance innovant « Une personne, Une voix, Une action », qui donne à chacun des salariés le pouvoir d’avoir un impact sur les décisions de l’entreprise. La quatrième : promouvoir une économie inclusive, en agissant pour l’égalité des chances au sein de l’entreprise, en accompagnant les acteurs les plus fragiles de notre écosystème et en développant des produits du quotidien accessibles au plus grand nombre ».

Cette raison d’être ne saurait être un instrument factice de communication

UN OUTIL SOUPLE ET INCITATIF

Clairement, la volonté du législateur a été de faire réfléchir les entreprises sur le sens de leur activité dans un contexte de responsabilité sociale et sociétale. Réfléchir sur la raison d’être, c’est questionner le pourquoi et le comment. Pourquoi l’entreprise existe-t-elle et quel est son projet ? A-t-elle uniquement pour objectif de créer de la valeur pour les actionnaires dans une logique de « shareholder theory » ou a-t-elle pour objectif de créer de la valeur pour toutes les parties prenantes dans une logique de « stakeholder theory » ? Mais également, comment l’entreprise va-t-elle répartir la valeur entre tous ceux qui ont contribué à la produire ?

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RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE

Réfléchir sur la raison d’être, c’est engager une réflexion philosophique sur la place de l’entreprise dans l’éco-système économique et social. Ces nouvelles notions de « mission » et de « raison d’être » sont des champs décisionnels ouverts où chaque société a son espace de liberté pour les définir. Il s’agit de quelque chose de souple et d’incitatif, qui peut servir de cadre fédérateur aux différentes parties prenantes internes (actionnaires, dirigeants, salariés). Bien entendu, cela passe par une éthique de la responsabilité des dirigeants et par la conclusion d’un contrat tacite et négocié avec les actionnaires qui devront probablement accepter une réduction du montant de leurs dividendes afin de permettre une répartition de la valeur plus équilibrée entre toutes les parties associées au projet. Au-delà de l’intérêt propre des acteurs internes à l’entreprise, ce sont l’engagement sociétal de l’entreprise et l’intérêt général qui sont en jeu. D’où la modification de l’article 1833 en vertu duquel « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Quelque part, l’intérêt propre de l’entreprise et de ses actionnaires est transcendé « pour faire deux places au banquet de la valeur partagée » : l’une pour les salariés et l’autre pour la planète. Néanmoins, cette raison d’être ne saurait un idéal inatteignable, voire un instrument factice de communication, mais posséder trois qualités : la pertinence, la crédibilité et le caractère distinctif. Enfin, la question de « l’auditabilité » des critères à respecter par toute entreprise à mission est essentielle afin de permettre à ces entreprises de garantir leur légitimité et leur crédibilité. Un formidable champ de nouvelles missions s’ouvre aux organismes tiers indépendants (OTI) en charge de cette mission.

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