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Médef Gironde : Michel Barnier en haut de l’affiche

Le négociateur en chef du Brexit, qui a travaillé en coulisses durant plus de 4 ans pour défendre les intérêts de l’Union européenne face à la Grande-Bretagne, était l’invité d’honneur du Medef Gironde, le 25 juin à l’hippodrome du Bouscat. « Je suis ici pour dire mon expérience », a annoncé Michel Barnier devant près de 250 chefs d’entreprise adhérents réunis devant lui. Celui qui vient de publier La grande illusion - Journal secret du Brexit (2016-2020) a rappelé les points d’attention de cette négociation et les défis qui restent à relever aujourd’hui à Bruxelles, à Paris, à Bordeaux.

Medef Barnier

Michel Barnier et Franck Allard © artiste associe_photographes_bordeaux

Propos reccueillis par Julien TARBY (Eco Savoie Mont Blanc) pour RésoHebdoEco www.reso-hebdo-eco.com

Pourquoi avoir voulu écrire un livre (1) sur les négociations du Brexit ?

Michel Barnier : « 52 % des votants ont fait un choix contre l’UE en pensant être plus forts et plus grands sans l’Europe. Depuis le premier jour, Britanniques comme Européens savent que cet événement est historique et pourrait se reproduire dans un autre pays. Je voulais marquer le coup avec ce livre et montrer qu’il y a des leçons à tirer de nos échanges, une histoire à raconter, les coulisses de ces entrevues à analyser. Dans ce livre, je rends aussi hommage à l’équipe qui m’a entouré – 170 personnes en tout, il n’y a pas que le « premier de cordée » – et je relate la manière que nous avons employée pour maintenir l’unité des 27. »

 

Michel Barnier

(1) La grande Illusion, journal secret
du Brexit, de Michel Barnier, éd. Gallimard, 2021.

Nous avons surmonté la guerre des nerfs et ce sur quoi nous avons abouti permet d’envisager un divorce avec les Britanniques sans agressivité

Avec le recul, quels ont été les facteurs clés de succès des négociations ?

Michel Barnier : « Premièrement, la transparence. Nous avons considéré que dans le cadre de ces graves pourparlers, il était bénéfique de tenir au courant tout le monde en continu et en même temps. Deuxièmement, nous sommes restés maîtres des horloges. D’emblée, nous avons imposé la stricte séparation des négociations autour du Brexit d’une part et des modalités de collaborations futures d’autre part. Le piège des Britanniques, qui sont des diplomates expérimentés, était de tout négocier en même temps pour obtenir des compensations entre les sujets, de se montrer accommodants sur une coopération future afin d’obtenir des avantages dans le divorce immédiat. Cela aurait été pour les Européens la garantie de perdre sur les deux tableaux. Troisièmement, je pense que la stabilité de l’équipe dans le temps a été décisive pour maintenir un cap ferme, sans à-coups et énervements pendant les quatre années et demi de négociations. Et ce, tout en maintenant un esprit de coopération avec nos amis d’Outre-Manche. »

Quel est votre sentiment quant au résultat final obtenu ?

Michel Barnier : « Il y a l’accord et la manière avec laquelle il est respecté. Je trouve indigne que Boris Johnson remette désormais en cause deux accords : l’un sur la pêche, l’autre sur la question irlandaise si délicate et risquée en termes de vies humaines. Les Britanniques ne respectent par leur signature quand ils remettent en cause les contrôles douaniers de l’UE sur les marchandises partant de Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord. Ils devraient faire attention car ne pas respecter leur parole peut avoir de lourdes conséquences quant à leur réputation et la confiance qu’on leur porte. Au-delà et dans l’ensemble, nous avons surmonté la guerre des nerfs et ce sur quoi nous avons abouti permet d’envisager un divorce sans agressivité.

Ce n’était pas gagné dans un contexte où les nationalistes, à l’exemple de Nigel Farage, cherchent avant tout à faire exploser l’Europe. Les Britanniques ont aussi mis longtemps à comprendre qu’ils perdaient leur temps à établir des lignes de négociations parallèles et à nous diviser, puisque l’unanimité était nécessaire pour valider un traité. C’était nécessaire pour les innombrables coopérations – aide en Afrique, lutte contre le terrorisme… – qui ne peuvent disparaître. Je crois que nous avons mérité la confiance que les Européens ont placée en nous. Il est désormais temps de penser à nous, à l’Europe, pour éviter de nous retrouver sous-traitants ou sous influence des deux géants de ce monde, les États-Unis et la Chine. »

Vous avez été ministre de l’Agriculture entre 2007 et 2009 et avez contribué à jeter les bases de la réforme de la PAC controversée aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?

Michel Barnier : « Je pense toujours que les premiers écologistes sont les paysans, qu’on ne peut évoluer sans eux ou contre eux. Cette PAC maintient les grandes lignes d’une ambition maîtrisée, tenant compte du changement climatique et de la santé des agriculteurs. Je suis heureux que cette PAC soit maintenue, contre tous ceux qui voulaient la détricoter ou la renationaliser. Je veux aussi rappeler que la PAC n’est pas qu’un ensemble de subventions : c’est avant tout un contrat visant à préserver un modèle alimentaire, une diversité et une qualité des produits. Quoi qu’on en dise, nous avons préservé les équilibres des territoires. »

L’homme d’État ne doit surtout pas sacrifier l’avenir au présent

Vous avez écrit l’Atlas des risques majeurs, sur les changements environnementaux après les JO de 92. La prospective est-elle indispensable à l’homme politique moderne d’après vous ?

Michel Barnier : « Deux attitudes manquent en France quand je les distingue dans d’autres pays et constate qu’elles sont synonymes de succès : premièrement, nous n’avons pas la culture de l’évaluation. Nous ne savons pas remettre à plat des lois, ce que je propose par exemple en matière d’immigration : un moratoire de trois à cinq ans permettrait de prendre le temps de repenser notre système et de recréer les conditions d’un consensus national. Ce serait l’occasion de travailler avec nos voisins européens pour construire ensemble une réponse cohérente et efficace, et de mettre en œuvre une véritable politique de codéveloppement avec les pays d’origine. Deuxièmement, la prospective n’est abordée que trop partiellement. Dans ses décisions, « l’homme d’État ne doit surtout pas sacrifier l’avenir au présent », affirmait Pierre Mendès France. C’est pourquoi j’ai créé des groupes de prospective au ministère de l’Environnement ou à celui des Affaires étrangères, afin de bénéficier de cet éclairage essentiel.

Bio Express

Medef Barnier

Michel Barnier © artiste-associe_photographes_ bordeaux

– Naissance en 1951 à La Tronche (Isère)
– Diplômé de l´École supérieure de commerce de Paris
– 1982-99 : Président du Conseil général de Savoie
– 1987 : Coprésident du Comité d´organisation des Jeux olympiques d´hiver d´Albertville
– 1995 : Élu sénateur de la Savoie
– Après avoir été plusieurs fois ministre (Environnement, Affaires européennes, Affaires étrangères, Agriculture et Alimentation) et deux fois commissaire européen (Politique régionale puis Marché intérieur et Services financiers), il est à partir de 2016 négociateur en chef pour l’UE chargé de mener les négociations liées au Brexit

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