Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Prêt-à-porter : Bordelais en vogue

GIRONDE - Alors que le secteur de l’habillement est durement touché, quelques marques arrivent encore à tirer leur épingle du jeu. En misant sur la précommande, les petites séries ou une fabrication locale, elles essaient de résister à la crise qui secoue le secteur. En Gironde, Plume Paris, By Cat ou French Disorder se démarquent. 

Céline Lescure Inquel, Plume Paris

Céline LESCURE INQUEL, créatrice de Plume Paris © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

« Nous les commerçants de la filière textile/habillement, on est très travailleurs, on a dû encaisser de nombreux obstacles et difficultés : les travaux du tram, les gilets jaunes, l’augmentation des loyers, les problèmes de main-d’œuvre, le covid, l’inflation, etc. Et on est toujours là. »

Elle est combative Bernadette Hirsch, présidente de la FNH (Fédération nationale de l’habillement) Nouvelle-Aquitaine depuis 11 ans. Elle a choisi cet engagement « pour défendre les commerçants et les soutenir ». Un engagement qui lui a permis de rencontrer les autres présidents de région : « Ce réseau a été précieux pendant le covid », observe-t-elle.

Bernadette HIRSCH, présidente de la FNH Nouvelle-Aquitaine © D. R.

Bernadette HIRSCH, présidente de la FNH Nouvelle-Aquitaine © D. R.

La seconde main en plein essor

La FNH représente 580 établissements et plus de 1 800 salariés en Gironde. Régulièrement, elle fait le point sur le secteur et donne des tendances sur les grands événements. Et il faut dire que le secteur est en difficulté, multi-concurrencé par les grandes enseignes à bas prix, les nombreuses promotions, la vente en ligne et maintenant la seconde main en plein essor.

Si, selon la FNH, le mois de novembre, boosté par le Black Friday, a été « moins catastrophique que prévu », la période des soldes a été décevante pour une majorité de commerçants (-7 % en Nouvelle-Aquitaine). Ainsi, selon la fédération, 75 % des commerçants indépendants interrogés ont connu une année 2023 compliquée, au niveau national.

Montée en gamme

Dans sa petite boutique (Mademoiselle H) de la barrière du Médoc, Bernadette Hirsch résiste. Arrivée de Paris, elle a dû s’adapter au marché local : « un petit Neuilly ». « Après le Covid, commente-t-elle, on s’est retrouvés avec 4 mois de stock. On n’a pas été payés, on a contracté des PGE, on n’a pas eu le choix, on s’est endettés. » Pour elle, si certaines boutiques ont été précurseuses dans l’e-commerce, pour des petits commerçants ce n’est pas vraiment rentable : « c’est un 2e point de vente ».

La période des soldes a été décevante pour une majorité de commerçants

En revanche, ce qui a vraiment changé le quotidien ce sont les réseaux sociaux. « On doit jouer le jeu, c’est notre vitrine en ligne ». D’ailleurs, pendant l’interview une cliente passe une tête : « J’ai vu sur Instagram que vous avez reçu de nouveaux jeans… ». Bernadette Hirsch a fait ses choix : une montée en gamme, des jolis basiques intemporels et quelques pièces coup de cœur audacieuses : « Je mise sur des marques nordiques confidentielles, sur la qualité, et une bonne connaissance de ma clientèle ».

© Shutterstock

La bonne équation

Au niveau national, cette année, plusieurs marques de prêt-à-porter, secouées dans une violente crise, ont été placées en redressement ou en liquidation judiciaire : Camaïeu, Kookaï, Naf Naf, et plus récemment IKKS.

Parallèlement d’autres tirent leur épingle du jeu : Kiabi, Gémo, Jacadi misant sur la production locale, l’écoresponsabilité ou la montée en gamme. En Gironde, quelques marques résistent également. Certaines, comme Tajinebanane spécialisée dans les vêtements d’allaitement, ont trouvé la bonne équation. French Disorder cultive l’esprit feel good, Plumes Paris incarne la quadra citadine tandis que By Cat produit des petites séries made in Bordeaux. L’habillement, secteur en souffrance ? Peut-être… mais il sait aussi se réinventer, rebondir et faire rêver.

 

Plume Paris

L’icône de la mode

Entrepreneuse dans l’âme, Céline Lescure Inquel a lancé sa marque Plume Paris qui fête ses 4 ans. Des collections capsules qu’elle incarne et finance grâce aux précommandes.

« Lorsque quelque chose me plaît, j’essaie de le fabriquer. » C’est ainsi que Céline Lescure Inquel a réalisé de beaux objets et mises en scène : de gourmands gâteaux glacés et décorés de fruits et de fleurs, de somptueux buffets féériques, de délicats objets de décoration et des clichés inspirés. Avec Instagram, elle décline ses créations, coups de cœur et moments doux. « Je me mettais peu en scène au début, remarque-t-elle, mais dès que j’apparaissais en photo, le nombre de likes s’envolait. J’ai compris qu’il fallait en faire quelque chose. »

Céline Lescure Inquel, Plume Paris

Céline LESCURE INQUEL, créatrice de Plume Paris © Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins

20 000 euros en poche

Elle a peu à peu l’idée de développer sa marque de prêt-à-porter : « J’étais déjà entrepreneuse, ça fait réfléchir différemment. Nous avons organisé un design thinking, un certain nombre de valeurs sont ressorties. » Mais comment se lancer avec seulement 20 000 € en poche quand on est à la tête d’une famille recomposée de 6 enfants ? Elle adopte alors un modèle économique qui présente de nombreux avantages : la précommande. Cela lui permet à la fois de tester des modèles et d’en assurer la production. Après un teasing de 2 mois, elle lance Plume Paris le 1er mars 2020 avec 4 pièces emblématiques.

Cuir certifié LWG

Le système des précommandes présente d’autres atouts : les clientes bénéficient d’une réduction et cela permet de limiter les stocks pour l’entreprise. Dans une démarche moins polluante, Céline Lescure Inquel couple fournisseurs et fabrication ; ainsi 70 % des collections sont fabriquées dans des ateliers à côté de Paris. Elle trouve ses matières et tissus dans le Sentier, dans des stocks dormants. Pour la maille, elle se sert en Italie et au Pérou où elle a recours à une coopérative de femmes qui travaillent à la main, et pour les jeans en Turquie parce que le coton vient de là-bas ! Et quand elle va en Inde pour la maroquinerie, elle choisit du cuir certifié LWG (Leather Working Group)

Les précommandes permettent de tester des modèles, d’en assurer la production tout en limitant les stocks

Le poids d’Instagram

Pour se faire connaître, Céline Lescure Inquel a procédé par cercles : « Il fallait d’abord convaincre le 1er cercle », raconte-t-elle, le 2e a constitué une communauté autour de Bordeaux, puis celui des Parisiennes qui va peu à peu gagner toute la province. L’international viendra après. En 4 ans, la marque a pris son envol, fonctionnant avec une grosse communauté de 120 000 followers sur Instagram. Depuis quelques mois, elle a ouvert un showroom – « avant tout un lieu de vie », précise-t-elle – où se croisent ses 4 salariées, 4 apprenties ainsi que des freelances pour un chiffre d’affaires de 2,4 millions d’euros.

Raconter une histoire

Chaque collection capsule raconte une histoire : « Les femmes aiment qu’on leur parle ». C’est Céline qui assure la direction artistique, secondée par ses modélistes. En cette fin de mois de février, c’est à Naples qu’elle est allée faire shooter sa dernière capsule : L’apuntamento (le rendez-vous en italien) avec la complicité de la photographe Lili Renée : « Nous sommes en osmose », se réjouit Céline Lescure Inquel. Avec 9 capsules d’une vingtaine de modèles par an, Céline Lescure Inquel profite de cette synergie : « cela demande beaucoup d’énergie créatrice ».

By Cat

L’esprit de famille

Depuis 10 ans, By Cat crée des basiques intemporels rétro-rocks fabriqués en petite quantité en région bordelaise.

Tout juste débarquée de Nouvelle-Calédonie à Bordeaux, Catherine Rouillaux s’apprêtait à devenir coach sportif. Il faut dire que 6 enfants, c’est sportif. Les élever, les nourrir et aussi les habiller ! Qu’à cela ne tienne, Catherine a appris à se servir d’une machine à coudre pour contenter leurs désirs. Et cet été 2014, elle coud pour ses filles de jolis petits hauts en voile de coton et poignées dentelle. Sa fille Théophanie les poste sur Instagram, elles sont assaillies de commandes… By Cat est lancée ! « On a dû faire face à la demande », s’excuse presque Catherine Rouillaux.

By Cat, Catherine ROUILLAUX, Théophanie CRAS

Catherine ROUILLAUX et Théophanie CRAS © Marie Vaubourgeix

L’ensemble de la collection est fabriqué en région bordelaise

Stocks dormants

Dans un style rétro-rock affirmé, By Cat a fait le choix de la qualité made in France en petite quantité. Beaucoup de modèles sont fabriqués à partir de popeline produite par une maison lyonnaise. Le reste de la collection vient de stocks dormants de haute couture de la maison LVMH. L’ensemble de la collection est fabriqué en région bordelaise : « Notre atelier d’Eysines a fermé, indique Catherine Rouillaux, nous travaillons maintenant avec plusieurs ateliers de couture familiaux ». Les pièces incontournables sont produites en petites et moyennes séries.

Marque confidentielle

Catherine Rouillaux et sa fille Théophanie Cras sont toutes les deux à la tête de By Cat (dont le CA est non communiqué). Elles cocréent les pièces de la collection qui passent ensuite entre les mains d’une modéliste et de 5 couturières, en prestation extérieure. Alors que Catherine s’occupe de toute la partie administrative, SAV et facturation, Théophanie, qui gère toute la communication, a largement contribué à sa renommée via Instagram.

Show-room

Alors que la période Covid a été une épreuve pour beaucoup de marques, By Cat l’a traversée sans casse : « Je travaillais à la maison entourée de mes enfants âgés de 16 à 28 ans, commente Catherine Rouillaux, la marque s’est bien développée et nous continuons sur notre lancée. 2023 a été très intense ! ». Pourtant entre le stock et les visites des clientes, elle a décidé d’ouvrir un show-room. C’est ici, avec vue sur le cours Alsace-Lorraine qu’elle reçoit sur rendez-vous. « Je suis ravie de ce choix », se réjouit-elle. By Cat continue ainsi de tracer son chemin, tout en discrétion mais avec une clientèle fidèle et un carnet de commandes qui ne désemplit pas.

 

French Disorder

L’esprit feel good

Créé il y a 11 ans à Bordeaux par 3 associés, French Disorder mise sur une mode confortable et durable et un esprit feel good.

Le tee-shirt à message positif ne connaît pas la crise ! Lancé en 2013 par 3 associés, French Disorder est d’abord une histoire de changement de vie. Issus de grosses entreprises parisiennes, Cédric Gorrias (anciennement dans la com’ et le marketing), Javier Molero (dans la mode) et Isabelle Voyer-Martin (dans l’e-commerce) ont sollicité toutes leurs compétences pour lancer ce projet avec seulement 10 000 euros d’investissement. 11 ans plus tard, l’entreprise compte 35 salariés et plus de 350 points de vente.

Cédric GORRIAS, Isabelle VOYER-MARTIN, Javier MOLERO, French Disorder

Cédric GORRIAS, Isabelle VOYER-MARTIN et Javier MOLERO, French Disorder © D. R.

L’emblème rainbow

« Au départ, on s’adressait à des trentenaires et quarantenaires plutôt urbains », se remémore Isabelle Voyer-Martin. Avec seulement l’acquisition de quelques machines, tampons et ordinateurs, ils constituent leur première collection de sweats et tee-shirts aux messages positifs, des basiques fun et colorés, avec le petit rainbow (arc-en-ciel) qui devient leur emblème. « La vie en rose » « Good vibes » ou encore « Feel free » sont quelques-uns des messages estampillés sur ses vêtements.

Avec le temps, celle-ci s’est élargie, couvre les segments homme, femme et enfant, avec un choix plus important de pantalons, vestes et accessoires. « Nous préparons même notre première ligne de baskets et de sneakers pour début mars en partenariat avec une filiale d’Eram », confie Isabelle Voyer-Martin.

Mode durable

La période Covid n’a fait qu’accélérer leur succès en produisant des vêtements confortables et durables, correspondant aux nouveaux modes de vie, avec un très bon niveau de qualité et de finitions. Fabriqués au Portugal et sérigraphiés à Bordeaux, les vêtements sont produits en petite quantité pour privilégier une mode durable. « Malgré la crise, on s’en sort plutôt très bien avec un taux de croissance pendant ces dernières années qui était autour de 45 % », remarque Isabelle Voyer-Martin. Si le chiffre d’affaires n’a pas été communiqué, elle estime que la croissance sur juillet 2023 à juillet 2024 devrait s’établir autour de 5 à 10 %. « C’est pas mal compte-tenu du secteur. »

Fabriqués au Portugal et sérigraphiés à Bordeaux, les vêtements sont produits en petite quantité pour privilégier une mode durable

Corner Galeries Lafayette

Le succès de French Discorder s’explique également par ses canaux de distribution différenciés : l’e-shop (qui présente un très faible taux de retour entre 5 et 8 %), la vente aux détaillants (des commerciaux sillonnent les villes qui sont dotées de showrooms) ainsi que 11 corners dans les Galeries Lafayette homme. « Le chiffre d’affaires est ainsi éclaté entre ces différents canaux », indique la cocréatrice de la marque.

Marque digitale

Dès le départ, la marque s’est positionnée sur le digital. Sans argent pour communiquer, ils misent sur les bloggeurs – « les influenceurs de l’époque », souligne Isabelle Voyer-Martin. Depuis l’entreprise s’est structurée avec un département communication et marketing, « mais le bouche à oreille reste notre meilleure façon de se développer ».