Pour être crédible, il faut incarner sa légitimité. Si un médecin s’obstine à prescrire du paracétamol alors que la douleur persiste, il lui sera vite reproché de ne pas chercher à en diagnostiquer la cause. En matière de prise de parole en public, c’est la même chose ! Les manifestations physiques de stress ne sont que les symptômes d’un questionnement plus profond : quelle image l’orateur donnera-t-il à son public ? Quelles sont ses peurs sous-jacentes ? Se sent-il pleinement légitime à parler ? Il ne s’agit pas ici du trac, qui est une réaction naturelle à une situation inconnue et qui passe dès la mise en action de l’orateur (comme un comédien sur scène), mais de questionner l’inconfort, voire l’angoisse qui étreint pendant toute une intervention. Le public « capte » consciemment et inconsciemment les dissonances entre le discours et l’incarnation, entre l’émetteur et le message. Le risque ? A minima, un message qui ne sera pas retenu, au pire, une image altérée, voire décrédibilisée du locuteur ou de l’organisation qu’il représente.
Pour comprendre l’enjeu, il faut revenir à la définition même de la communication. Pour communiquer, il faut, dans l’ordre : un émetteur, un récepteur, un message et un canal. C’est-à-dire, répondre à cinq questions : D’où parle l’orateur ? À qui parle-t-il ? Quelle est son intention émotionnelle ? En trois phrases, qu’a-t-il besoin que son auditoire retienne factuellement ? Quelle est la mise en action la plus efficace pour y parvenir (le moyen de communication adapté) ?
La cohérence entre le narratif, les valeurs et les faits
Pour se préparer efficacement à une prise de parole en public, il faut d’abord se légitimer en tant qu’orateur. Pourquoi les tribuns politiques, les avocats pénalistes et leurs grandes plaidoiries, les sportifs olympiques et leurs récits d’efforts et de combats captivent-ils voire inspirent-ils ? Parce qu’ils offrent une identité cohérente d’eux-mêmes.
Cette notion d’image publique est essentielle, c’est un acte de communication. Elle résulte du choix conscient et de la volonté de donner à voir en priorité certains aspects d’une personnalité. Sa vertu est de protéger d’autant plus la sphère privée. C’est un cadre solide dont l’architecture tient avec trois piliers : le narratif personnel (la façon de raconter son histoire), les valeurs défendues, les faits qui viennent les confirmer.
Au même titre que pour une marque, le narratif – ou « storytelling » – ne saurait à lui seul ciseler une identité crédible. Le rôle du communicant est d’aider l’orateur à définir cette trame qui pourra se décliner en fonction des publics, des messages, des canaux de communication employés. Il équilibrera par exemple l’approche trop rationnelle d’un technicien avec un narratif plus ancré dans l’émotionnel ou affirmera des valeurs pour donner du sens et de l’engagement à un storytelling.
L’objet de cette démarche est de conscientiser l’image de l’orateur. Sans avoir à se raconter in extenso, savoir et assumer ce que l’on souhaite incarner change radicalement la posture face au public. C’est cette assurance-là qui va donner à sa gestuelle et à sa voix l’ancrage et l’amplitude recherchés. Comme un danseur qui répète ses positions, placement du corps et technique vocale peuvent être améliorés mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de perfectionnement, non pas des fondamentaux à travailler en prise de parole en public.
Aligner les messages
Lors d’une prise de parole en public, il y a souvent deux émetteurs : l’orateur et l’organisation qu’il représente. La cohérence entre les deux est indispensable. Elle peut s’imposer d’évidence au fondateur d’une entreprise, elle le fera peut-être moins pour un collaborateur qui projettera dans son discours – et dans sa posture – sa propre relation à l’organisation ou à la fonction qu’il y exerce.
Le rôle du communicant est aussi de définir une « bible argumentaire » à destination de toute personne amenée à prendre la parole au nom de l’entreprise. Ici aussi, cette bible se déclinera autour du triptyque narratif/valeurs/faits. Elle est d’autant plus importante à mettre en place que les prises de parole peuvent prendre aujourd’hui plusieurs formes : en public mais aussi sur les réseaux sociaux, devant la presse… Elle sera aussi la base d’un média training réussi et une garantie dans la conduite d’une communication de crise efficace, comme le soulignait Odile Seiter dans une tribune publiée dans Les Echos Judiciaires Girondins.
Connaître son public pour chercher la connexion humaine
Un émetteur ne le serait pas sans récepteur. Savoir à qui s’adresser est primordial. Un auditoire est une cible à toucher. Elle possède ses propres caractéristiques objectives : moyenne d’âge, origine géographique, catégorie socioprofessionnelle… Dans le cadre professionnel, ce peut être un métier ou une expertise spécifique. Elle est également mue par des croyances, des représentations, des biais psychologiques, des références culturelles spécifiques. Définir un persona – une représentation fictive d’une personne type de l’audience visée – fait partie des réflexes nécessaires du communicant. Le grand public n’existe pas mais le public visé par une prise de parole a son identité propre. L’enjeu d’une prise de parole en public est aussi d’adapter son champ lexical, sa posture, son langage non verbal à sa cible. Cet effet miroir donnera le sentiment au public d’être compris et reconnu ; il sera d’autant plus réceptif au message.
Autre grande oubliée des prises de parole en public et pourtant ô combien importante : l’intention émotionnelle. Pour qu’un message soit retenu et mémorisé, l’orateur doit poser cette question : comment le public doit-il se sentir à la fin de l’intervention ? Rassuré, galvanisé, investi, soumis ? Pourquoi les keynotes d’Apple sont-elles toujours un événement ? Parce que son public attend d’être surpris, voire ébloui et de participer à quelque chose d’exceptionnel et ce même alors que l’innovation technologique en est presque aujourd’hui une dimension mineure. La devise des keynotes n’est-elle pas « Des présentations plus que mémorables » ? Pour atteindre son public, faire appel à sa rationalité et son esprit d’analyse ne suffit pas, il faut aller chercher une connexion humaine.
C’est ici que tout le travail réalisé dans la définition de l’image de l’orateur et la recherche de légitimité prennent tout leur sens. Notre éducation scolaire et les codes de la vie professionnelle sont encore très profondément définis par le savoir et l’expertise technique. Il est confortable de se réfugier dans ses connaissances et dans la rationalité d’une démonstration pour avoir la sensation de maîtriser son stress. Ce serait toutefois comme parler dans un téléphone sans appuyer sur la touche « appel ». Pour capter son public, il faut accepter de donner un peu de soi pour qu’il donne un peu de lui. Quel que soit l’objet de la prise de parole, elle générera de toute façon une forme d’émotion positive ou négative. Mais n’est-ce pas le sens premier du mot communication ? En latin, « communicare » signifie « partager ».
Pour se préparer efficacement à une prise de parole en public, il faut d’abord se légitimer en tant qu’orateur.
À propos
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