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[ Tendances Vins] Saint-Émilion : Vins au pluriel

Saint-Emilion, voilà bien une appellation qui fait rêver nombre d’amateurs à travers le monde. Le village et son vignoble classé, parmi les premiers, au Patrimoine Mondial de l’Humanité, n’ont fait que renforcer sa notoriété. Elle était déjà évidente, la taille immense de l’appellation parmi les plus importantes en France, 5 400 hectares, lui offrant de fait une visibilité mondiale. Mais Saint-Emilion par son encépagement et sa diversité géologique offre une image bien plus complexe qu’il n’y parait.

vin vigne

©D.R.

Le poète Ausone célébrait déjà au IVème siècle les vins produits localement. C’est cependant à un moine breton nommé Émilion que la cité doit son nom.  Accusé de donner trop d’aumônes aux pauvres, Dieu lui serait venu en aide en transformant en bois, le pain qu’il cachait sous son manteau. Ce premier miracle rendit notre Emilion célèbre et c’est pour échapper à la vénération, qu’il s’enfuit au sud, à Ascumbas (Saint-Emilion depuis). Là, dans un nouveau monastère où il avait pour tâche de faire le pain, un deuxième miracle se produisit : privé de ses outils par quelques plaisantins, il serait rentré de toute sa personne dans le four pour y installer les pains à la cuisson, et en ressorti indemne. La légende en fit donc un Saint.

La mention Grand Cru

L’amateur de vins de Bordeaux aura remarqué que, fait rare mais contribuant aussi à la notoriété de l’appellation, il existe plus de bouteilles sous la dénomination Saint-Emilion Grand Cru que celle de Saint-Emilion.

Un Saint-Emilion Grand Cru est en fait un vin qui peut être produit sur l’ensemble de l’aire de l’appellation. Les conditions de production sont simplement plus restrictives. Pour porter la mention Grand Cru, les conditions de production imposent un rendement limité à 46 hl/ha (versus 53 en Saint-Emilion) et une durée d’élevage globalement deux fois plus longue. Compte-tenu de l’intérêt commercial, il est donc aisé de comprendre que les producteurs aient porté l’effort supplémentaire pour commercialiser leurs vins sous la mention Grand Cru.

Les éléments constitutifs de la variété des vins sont plutôt à chercher du côté de la diversité géologique et du choix de l’assemblage. Traditionnellement, la rive droite de Bordeaux, appelée le Libournais, rassemblant les vins de Côtes (Côtes de Bourg,…..) Saint-Emilion, Pomerol et leurs satellites, est plutôt dédiée au cépage Merlot.

Variation d’assemblages

Pour autant à l’image de Cheval blanc ou de Figeac, les Cabernets (Franc ou Sauvignon) dominent parfois le Merlot dans l’assemblage, délivrant des vins aux qualités organoleptiques différentes.

La raison d’une telle variation d’assemblages vient d’une variété géologique assez remarquable avec des zones tantôt argileuses (notamment la fameuse côte descendant du village) plus favorables au Merlot, et des zones plus graveleuses (comme dans le Médoc) plus favorables aux Cabernets.

Une récente dégustation a mis en lumière les fortes différences qu’engendraient cette variation de cépages et de nature de sols dans l’expression des vins.

Typés Merlot

Pour les vins typés Merlot, nous dégustons Château Trotevieille sur le millésime 2014. Nous reconnaissons rapidement le charme qu’impose le Merlot en bouche. Les tanins soyeux sont anoblis par un bel élevage sous-bois, et l’aromatique typé boite à tabac et bois de cèdre, avec une pointe d’épices, séduit un grand nombre de dégustateurs.

Nous poursuivons notre dégustation avec le Château Tertre Roteboeuf 2008. Les amateurs de très grand Merlot connaissent le savoir-faire de la famille Mitjaville. Ce vin rivalise parfois aux enchères avec les meilleurs, comme Cheval Blanc ou Ausone.

François Mitjaville a révélé Tertre Rotebœuf, ce terroir d’argiles « extravagant, le plus exotique de la côte sud » de Saint-Émilion, à partir de la fin des années 70. Mais farouchement indépendant, le domaine n’a jamais concouru au classement des Grands Crus Classés de Saint-Emilion.

Plus atypique encore, ici tout est assemblé dès les pressurages, élevé dans des fûts neufs pendant deux à trois ans : « Il faut que ça mitonne ». Peu d’effeuillage, un couvert végétal important, qui permet donc de ramasser des raisins tardivement « dans les prémices de la décomposition crépusculaire des raisins ». « Il faut chercher la fraîcheur dans une légère surmaturation. »

Pas de second ou de troisième vin « Il faut faire bien et du premier coup ! ». Au final, les arômes et les saveurs de ce vin sont incomparables, avec des textures savoureuses, sensuelles, tout en conservant des équilibres irréprochables.

Place aux Cabernets

La proportion des cépages est radicalement inverse dans le vin suivant, le Château Petit Gravet Ainé, en bas de la Côte, sur des sols plus sableux. Ce micro-domaine de 2.3 hectares assemble au Merlot, 80% de Cabernets Francs issus de vieilles vignes de 70 ans. On ressent parfaitement l’apport très frais de ces Cabernets dans ce millésime 2017 avec un « délié » plus fruité, aux tanins fins.

La dégustation de ce vin en agriculture biologique et d’une grande buvabilité, tord le cou aux prédicateurs de l’uniformité des vins de Bordeaux.

Et si cela ne suffisait pas encore, il leur faudrait déguster Figeac sur plusieurs millésimes. S’avance 2010 ! Il faut du temps pour que ce cru, lui aussi atypique par ses trois tiers ; Merlot, Cabernet Franc et Cabernet-Sauvignon (les sols de graves justifient cet encépagement), s’ouvre et s’offre à vous. Moins séducteur dans sa jeunesse du fait de tanins plus virils, il s’impose sur la longueur, tel un coureur de fond.

Son récent classement parmi l’élite (le cercle très fermé des Grands Crus Classés A) récompense pour moi la régularité sans faille de Figeac à travers les décennies. Ce vin qui n’a jamais cédé aux sirènes de la mode ne m’a jamais déçu, fait rare.

2010 est encore un « bébé ». L’élevage en futs neufs est parfaitement intégré dans une matière dense aux tanins largement présents mais fins. La bouche est complexe, fruitée, épicée, empyreumatique et la finale s’impose à votre palais pour un moment grandiose.

Navire-amiral

J’aurai pu citer les autres vins de cette dégustation, Ausone, Cheval Blanc, Moulin Saint-Georges, …. Le but n’était pas ici de faire un catalogue mais de montrer le panel très large de l’offre gustative, des styles, qui sont aussi importants pour le dégustateur, que pour la viticulture française dans la compétition mondiale.

Saint-Emilion est en effet un navire-amiral du savoir-faire français et notre balance du commerce extérieur a bien besoin de cette contribution. Les « hygiénistes » pourront « tordre du nez », ce ne sont pas eux qui ont rapporté à la France l’équivalent de la vente de 183 avions Rafales en 2021.

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