Les changements imposés par la crise sanitaire au secteur du tourisme sont profonds. Pour autant, seront-ils durables ? C’est pour réfléchir à ces questions que Ludovic Dublanchet et Laurent-Pierre Gilliard ont tenu à organiser les Rencontres nationales du e-tourisme, mi-octobre à Pau. L’occasion de constater tout d’abord que la crise a fait naître de nouvelles tendances du côté des consommateurs, « avec une demande affirmée d’aller vers une consommation beaucoup plus écoresponsable, y compris dans la façon de voyager ou dans les loisirs, faisant de cette niche un véritable marché », relève Ludovic Dublanchet, consultant en e-tourisme et père des Rencontres. Avec des réponses multiples de la part des prestataires : des agences proposent ainsi la compensation carbone des voyages ; des destinations créent des rubriques spécifiques pour les écovoyageurs, « comme l’office de tourisme de Bordeaux, qui a sélectionné 200 prestataires parmi 650 en fonction de leur politique RSE, un label particulièrement exigeant en matière d’écoresponsabilité » ; les plateformes d’hébergement écoresponsables se multiplient, comme Vaovert ou le bordelais We Go GreenR…
On constate également le besoin de s’éloigner des sites très fréquentés. « Les clientèles ont plus envie d’aller dans des zones rurales, dans les Pyrénées, plutôt qu’en ville ou sur les grandes stations du littoral. Conséquences : de gros flux à gérer sur des zones qui n’en avaient pas l’habitude », remarque Ludovic Dublanchet. Et l’obligation pour les destinations de communiquer « davantage sur les pépites méconnues plutôt que les Tour Eiffel », mais aussi de réorienter leurs offres vers des clientèles plus locales.
UNE COMMUNICATION CENTRÉE SUR LES GENS
Une série de changements à l’origine d’une nouvelle communication pour les destinations comme pour les prestataires, beaucoup plus centrée « sur les gens, avec l’idée d’accueillir celui qu’on appelait un touriste ou un voyageur, comme un habitant temporaire », analyse le co-organisateur des Rencontres. Et la nécessité de « construire ses contenus davantage par rapport à des parcours clients que par rapport à l’offre ». Les professionnels du secteur se voient également obligés d’intégrer la notion d’imprévu, « avec des dispositions commerciales comme les garanties remboursement ou l’annulation gratuite », et d’entretenir leur communication dans une période incertaine. « C’est une véritable évolution d’être toujours obligé de prévoir plusieurs scénarii : c’est toute une culture qui est en train de changer. Certainement pour le meilleur vis-à-vis du client, mais difficile à assumer pour les professionnels », selon Ludovic Dublanchet.
Celui qu’on appelait un touriste est désormais accueilli comme un habitant temporaire
AGILITÉ ET ADAPTATION
S’il y a un point à retenir pour le secteur du tourisme cette année, c’est en effet celui-là : la nécessité d’être agile et de s’adapter. « Deux termes propres à l’ADN des start-ups, en permanence dans l’agilité et dans l’adaptation de leur business model, de leurs marchés, etc. » et qui ont été largement mises en avant durant ces Rencontres, « avec une cinquantaine de start-ups présentes et un programme dédié », précise Laurent-Pierre Gilliard, co-organisateur des Rencontres et directeur communication et prospective chez Unitec. Ces start-ups ont d’ailleurs constitué de bons exemples de réorientation d’activité, à l’instar de la pessacaise La Voyageuse, « qui accompagne les femmes seules dans leurs périples à l’étranger, et qui a transposé son modèle sur le territoire français. Ou des Bordelais de Loisirs Enchères, qui ont basculé du marché du tourisme vers le marché du loisir (bricolage et jardinage) », note-t-il. En effet, « les outils et la technologie que les start-ups ont mis en œuvre permettent aujourd’hui de faire basculer toute une offre et toute une communication en l’espace d’une journée », observe Ludovic Dublanchet.
CONTEXTUEL OU PÉRENNE ?
Reste maintenant à savoir si ces tendances vont perdurer. « La crise a ouvert énormément de portes pour des choses qui ne fonctionnaient pas auparavant. Pour autant, nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour savoir si c’est totalement contextuel ou pérenne », estime Laurent-Pierre Gilliard. Dans les déclarations d’intention, l’envie de mieux consommer est bien là, mais « plusieurs études montrent que les gens ne sont pas forcément prêts à payer plus cher pour accéder à des prestataires qui ont une politique écoresponsable développée ». Et s’il est probable que certaines habitudes de consommation ont véritablement et durablement changé, « quand l’attrait d’un voyage comme avant va revenir, il est fort probable que la clientèle qui en a les moyens sautera dans un avion pour aller passer un week-end dans une capitale européenne ou ses vacances de février aux Maldives ou à Bali plutôt que dans le Médoc à côté de chez elle… », conclut Ludovic Dublanchet.
Quand l’attrait d’un voyage comme avant va revenir, il est fort probable que la clientèle qui en a les moyens sautera dans un avion
« IL VA FORCÉMENT Y AVOIR DE LA CASSE »
Plusieurs secteurs ont vu leur activité totalement remise en cause par la crise sanitaire et la suspension des voyages. « Ceux qui misaient sur les MICE (Meetings, Incentives, Conferencing, Exhibitions) et toute l’activité des groupes (CE, groupes de séniors en bus…) ont vu leurs budgets complètement coupés. Et leur activité risque de peiner à redécoller avant plusieurs années, avec des budgets qui ne reviendront probablement jamais à l’équivalent de ce qu’ils étaient », s’inquiète Ludovic Dublanchet, selon qui « il va forcément y avoir de la casse ». Difficile en effet pour ces prestataires de complètement pivoter et se transformer, alors même que cette activité « a généralement demandé des investissements importants dans des infrastructures », note-t-il.