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Inflation : Le retour ?

Flambée des cours mondiaux de matières premières, surcoût lié aux mesures de protection sanitaire ou stockage excessif par craintes de possibles difficultés futures d’approvisionnement ont simultanément provoqué une envolée de l’inflation mondiale depuis le début de l’année 2021. Mais les facteurs de désinflation d’hier semblent encore trop ancrés pour transformer des chocs de prix en inflation durable.

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Les lendemains de crise sanitaire pourraient-ils être ceux d’un retour structurel de l’inflation ? La question a pris une importance croissante ces derniers mois dans le sillage de l’envolée des prix de matières premières, de pénuries d’approvisionnement et de difficultés atypiques de recrutement des entreprises en période de reprise. Épisodes frictionnels, consécutifs à la remise en marche de l’économie mondiale après une paralysie sans pareille, ou prémices d’un changement de régime simultanément provoqué par le rééquilibrage du mixte de politique économique et l’accroissement des besoins occasionnés par les politiques de décarbonation ? La réponse est complexe. La crise sanitaire semble nous avoir projetés dans le temps long dans lequel l’explosion démographique et celle des besoins qui lui sont liés vont de pair avec un vieillissement accéléré des populations, synonyme de raréfaction des ressources de développement de l’offre et de très grande instabilité intrinsèque du niveau général des prix. Entre le temps présent et ce temps long de nombreuses étapes semblent, pourtant, devoir encore être franchies.

Encore très variable selon les pays, ce mouvement d’inflation depuis le début de l’année 2021 s’est révélé particulièrement fort aux États-Unis où l’accélération de l’inflation des douze derniers mois n’a pas d’équivalent depuis 1980. Alors que les banques centrales entretiennent délibérément des politiques très accommodantes avec pour conséquence le maintien de taux d’intérêt réels historiquement négatifs, de telles observations attisent le spectre d’un grand retour de l’inflation.

2050, c’est, déjà, maintenant

La survenance de l’épidémie de Coronavirus a pointé les risques de long terme assortis au réchauffement climatique, à la fragilisation de la biosphère propice à la multiplication des phénomènes épidémiologiques et aux impératifs environnementaux. En un temps record, le choc économique qu’elle a produit a remis au cœur du système les gouvernements et les politiques structurelles, bouleversant l’ordre précédemment établi. Planification, régulation, politiques natalistes, relance de l’investissement public, qui avaient pour l’essentiel disparu du paysage économique depuis le début des années 80, redeviennent la norme et sont de plus en plus sollicitées par les populations. L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis a grandement participé à cette accélération du temps et signe le moment à partir duquel les prix mondiaux de la tonne de carbone s’envolent.

Ce mouvement d’inflation s’est révélé particulièrement fort aux États-Unis

Accélération sans précédent des ambitions technologiques

Symbole d’une nouvelle ère, souvent perçue comme celle du combat contre le réchauffement climatique et le creusement des inégalités, ce changement est assorti d’une accélération sans précédent des ambitions technologiques, indissociables des choix devenus mondialement prioritaires. Impératifs climatiques obligent, le long terme s’impose. États-Unis, Europe, Chine et bien
d’autres raccourcissent le temps imparti à leurs obligations en matière de neutralité carbone et accentuent leurs règlementation pour y parvenir ; 2030, 2045, 2060, s’imposent aux agendas des États, des entreprises et des particuliers avec un arsenal règlementaire dorénavant adapté, dont les premières décisions ont résonné avec fracas à l’occasion, par exemple, de la condamnation de Shell pour cause de manquement aux objectifs de décarbonation par la Cour suprême néerlandaise le mois dernier.

La dimension démographique

Indissociables de cette vision longue, les problématiques démographiques, jusque-là essentiellement laissées pour compte, deviennent incontournables. Le vieillissement de la population chinoise a fait la une de l’actualité de ces dernières semaines quand, en France, le nouveau Haut-commissariat au plan refait siennes les recommandations et recettes natalistes d’un autre temps. Le sujet démographique ne peut plus être écarté. La population mondiale devrait croître d’un cinquième d’ici 2050, de 7,6 milliards à 9,7 milliards, et de plus d’un tiers, avant de plafonner aux environs de 2100. Dans son sillage, les besoins augmenteraient plus encore. L’AIE anticipe un accroissement de 50 % des besoins en énergie d’ici 2050, deux fois et demi plus rapide que celui du nombre de têtes, compte-tenu de l’augmentation anticipée des niveaux de vie et des changements de comportements, en particulier de la montée en puissance des besoins en électricité que suggère l’essor des nouvelles technologies…

 

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Derrière ce mouvement, la baisse de la croissance de la population en âge de travailler nous renvoie à une problématique essentielle du potentiel de développement économique, en particulier de celui de l’offre, que les caractéristiques démographiques du demi-siècle écoulé ont plus que garanti. Si l’on escompte des nouvelles technologies qu’elles apportent un certain nombre de réponses à ces enjeux, la démonstration n’est pas encore faite et force est de constater que les changements de structures démographiques à l’échelle mondiale ont, à ce stade, plus de chances de créer des chocs inflationnistes que de prolonger la période de déflation chronique de ces dernières années.

La baisse de la croissance de la population en âge de travailler nous renvoie à une problématique essentielle du développement économique

Que certains analysent la flambée récente des cours des matières premières comme annonciatrice d’un super-cycle de hausse n’est dès lors pas surprenant pour un marché traditionnellement dicté par les tendances de long terme car la croissance de la demande a tout lieu d’être considérable sur le long terme, gonflée, qui plus est, par de nouveaux besoins inhérents à la décarbonation de l’industrie. Du temps présent au temps long, encore quelques étapes. Pour convaincantes que soient ces conclusions leur concrétisation semble aujourd’hui assez lointaine. Si les caractéristiques démographiques signalent une hausse structurelle de l’inflation de long terme, l’inflexion qui en dépend ne devrait pas intervenir avant la seconde moitié de la décennie, que ce soit aux États-Unis ou dans le reste du monde.

Inflation frictionnelle ou durable ?

La nature de l’accélération de l’inflation est encore très incertaine, en effet. Les difficultés de mesure consécutives à la crise sanitaire sont considérables : les fermetures d’établissement ont empêché les relevés de prix pendant de nombreux mois. Les calculs de CPI s’ajustent avec retard aux changements de paniers d’achats : deux ans aux États-Unis, un an en zone euro. L’impact des hausses des prix des achats anormalement élevés durant la crise (alimentation) a donc été sous-estimé l’an dernier. À l’inverse, celui des achats de la reprise risque d’être sous-estimé en UEM en 2021. L’ensemble sur fond de méthodes différentes d’un pays à l’autre et pour tout dire, souvent, opaques… Il en résulte une incertitude hors norme sur les mesures de l’inflation et des risques manifestes d’erreur de diagnostic. Le retour de l’inflation industrielle, souvent considéré comme la plus évidente réponse aux politiques de décarbonation, se résume pour l’instant à celui des prix des véhicules d’occasion outre-Atlantique qui ne répondent à aucun des critères le plus souvent mis en avant pour justifier le diagnostic initial.

 

Enfin, la nature des tensions salariales reste, à ce stade, encore très incertaine. Si les pénuries d’emploi sont indiscutables, elles n’ont pas encore d’impact sur le coût du travail : les entreprises sont plus inquiètes au sujet des prix qu’elles acquittent que pour leurs coûts de main d’œuvre. Dans le contexte particulier de lent retour à la normale et d’incertitudes persistantes au sujet de l’éradication de l’épidémie, il se pourrait bien qu’une bonne partie de ces difficultés soit principalement d’ordre frictionnel. Le retour à une mobilité normale prend du temps et les travailleurs les plus âgés, très présents au cours de la décennie écoulée, ne sont pas les plus prompts à revenir sur le marché de l’emploi. Quant aux données sur les salaires, elles sont considérablement déformées par la forte diminution des emplois peu qualifiés pendant la crise qui, aujourd’hui retrouvent progressivement une activité. Après avoir flambé l’an dernier, le salaire moyen est donc voué à se normaliser cette année et probablement l’an prochain.

Plus que les risques d’une inflation salariale incontrôlée, c’est aujourd’hui du côté de ceux d’une langueur anormale de la reprise de l’emploi que se portent les interrogations sur la reprise à venir, laquelle pourrait en effet être beaucoup plus exposée aux effets négatifs du sursaut de l’inflation sur la demande, à en juger notamment par le bas niveau d’anticipations d’achats des ménages américains, comme européens d’ailleurs.

Les stigmates de la crise sont profonds et il faudra assurément du temps avant de combler les pertes qu’elle a engendrées. Même aux États-Unis, les prévisions en apparence très encourageantes ne suffiront pas à gommer l’ardoise de la crise avant plusieurs trimestres, d’autant que le plan Biden s’enlise face à une opposition virulente des républicains, tandis qu’en Europe, les effets du plan de relance mettront, au mieux, du temps, avant de créer une dynamique plus vertueuse.

Prévisions de 2021 légèrement en baisse

Notre scénario de croissance subit peu de changements par rapport à mars, au-delà d’un léger décalage des effets de base qui fait baisser légèrement les prévisions de 2021 et augmenter marginalement celles de 2022. Sur les marchés, les niveaux de valorisation en présence continueront de requérir une vigilance extrême de la part des Banques Centrales, qui n’ont pas d’autre choix que celui de la patience sans pouvoir, toutefois, se permettre d’être sciemment derrière une courbe d’inflation trop pentue. Le retournement des effets de base annuels sur inflation et les indicateurs de croissance à partir de l’été sera d’un important secours pour prévenir un ajustement trop rapide des politiques monétaires à la faveur d’un tassement possible des anticipations d’inflation.

L’inflation, avant l’heure c’est pas l’heure. Mais le sujet est là pour durer

À brève échéance, toutefois, le retournement des anticipations d’inflation et les espoirs de reprise soutenus par les initiatives budgétaires, constituent des éléments de soutien à même de maintenir les marchés à flot dans un contexte de léger reflux persistant des taux longs en début d’été. Les indices européens paraissent mieux positionnés que les américains dans un tel contexte en dépit d’une vigilance accrue à l’égard du DAX allemand face aux possibles déceptions sur la reprise industrielle mondiale, et tout particulièrement allemande dans un contexte de retournement du momentum des indicateurs avancés. Il faudra vraisemblablement plus de visibilité sur la reprise à venir pour donner davantage d’impulsion aux valeurs cycliques industrielles et aux bancaires.