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Institut de mathématiques de Bordeaux : l’excellence à la française

Décryptage. La France parvient à maintenir son niveau d’excellence en mathématiques malgré la baisse continue du niveau des élèves français et une désaffection pour la filière. Vincent Koziarz, le directeur de l’Institut de mathématiques de Bordeaux, qui se positionne juste après les 50 meilleures universités mondiales au classement de Shanghai, fournit quelques explications.

Vincent Koziarz, Institut de mathématiques, Bordeaux

Vincent Koziarz, directeur de l'Institut de mathématiques de Bordeaux © EJG

Le constat du dernier classement PISA, Programme international pour le suivi des acquis des élèves de 15 ans mené par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), est sans appel. Le niveau des élèves français en mathématiques n’a jamais été aussi bas depuis 2000. Il a même baissé de 21 points depuis 2018. Si le niveau des jeunes Français en mathématiques ne cesse de baisser, le niveau supérieur, lui, conserve son excellence. La France compte d’ailleurs plusieurs médaillés Fields dans tous les domaines des maths. « Historiquement, il y a une tradition des mathématiques françaises qui vient de loin, qui a redémarré au siècle des Lumières et se perpétue encore aujourd’hui », rappelle Vincent Koziarz, directeur de l’Institut de mathématiques de Bordeaux (IMB), qui représente 99 % de la recherche en mathématiques sur le territoire. L’université de Bordeaux se situe ainsi entre la 51e et la 75e place du classement de Shanghai en maths, soit juste après les 50 meilleures universités mondiales. Et cela sur tout le spectre des mathématiques, du plus fondamental au plus appliqué. « Le système français – très élitiste – de classes préparatoires aux grandes écoles, en particulier les Écoles normales supérieures (ENS), parvient toujours à repérer les meilleurs élèves dès le lycée puis à les extraire pour les rediriger vers de très bons établissements où ils bénéficient d’un contexte très favorable », analyse-t-il.

Très hautes médailles

Si l’IMB ne compte pas de médaillé Fields, critère important du classement de Shanghai, l’institut héberge des chercheurs ayant reçu de très hautes médailles du CNRS. Et se distingue par sa bibliométrie. « Nous avons beaucoup de publications dans des revues de prestige, grâce notamment à de nombreuses collaborations de recherche. Nous travaillons avec d’autres disciplines comme la santé, l’énergie atomique, le spatial ou encore l’intelligence artificielle et la cryptologie. Il y a un terreau fertile sur le territoire, avec le centre Inria de l’université de Bordeaux, qui compte 7 équipes de recherche associées avec l’IMB », note Vincent Koziarz, qui rappelle que « dès qu’il y a de la technologie, il y a besoin de mathématiques ».

Dès qu’il y a de la technologie, il y a besoin de mathématiques

L’IMB compte ainsi 7 équipes, dont 3 en recherche fondamentale (géométrie, théorie des nombres et analyse) et 4 en recherche appliquée (images, optimisation et probabilité ; équations aux dérivées partielles et physique mathématique ; optimisations mathématiques, modèles aléatoires et statistiques ; calcul scientifique et modélisation). Au total, 164 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents, 124 doctorants et postdoctorants et 23 personnels d’appui à la recherche (ingénieurs et administratifs) sont rattachés à l’IMB. « Nous sommes à notre place dans le classement de Shanghai compte tenu de notre taille », tranche ainsi le directeur de l’IMB.

« Les maths ne sont pas tout »

Reste que le nombre d’étudiants inscrits en filière mathématiques ne cesse de décliner, en particulier en maths fondamentales. « Entre 2018 et 2021, nous avons subi une perte d’étudiants en licence d’environ 20 %, même si les effectifs tendent à se stabiliser. Nous avions un gros vivier d’étudiants au Capes et en agrégation, se destinant à devenir enseignant dans le secondaire, métier qui n’est plus du tout attractif », indique Vincent Koziarz. « Les écoles d’ingénieurs ont aussi aspiré les étudiants moyens. Quant aux masters en recherche, le nombre de postes académiques baissant drastiquement en France, depuis la réforme des universités de 2007, il n’y a plus de débouchés pour les thésards », alerte-t-il. Pourtant, le besoin de mathématiques existe dans la plupart des sciences. Souvent « vues comme inutiles », regrette le directeur de l’IMB, « les mathématiques doivent être considérées comme un jeu qui permet de comprendre comment les choses fonctionnent. C’est aussi un langage commun : il faut maîtriser les mathématiques car elles sont partout », estime Vincent Koziarz. En revanche, « ce serait une erreur de vouloir tout mathématiser et de penser que tout peut s’expliquer par des formules, comme les rapports humains par exemple. Ce n’est pas parce qu’on introduit des maths quelque part que les choses deviennent imparables. Les maths sont importantes mais ne sont pas tout », conclut-il.

VINCENT KOZIARZ EN BREF

Directeur de l’Institut de mathématiques de Bordeaux depuis le 1er janvier 2023, Vincent Koziarz ne se destinait pas forcément à devenir mathématicien. Après 2 ans de classe préparatoire en Math Sup-Math Spé, il entre finalement à l’université de Nancy où il entame un cursus en maths pures, débouchant sur un doctorat puis un post-doc de maths pures spécialisé en géométrie complexe. Obtenant un poste de maître de conférences à Nancy en 2000, il arrive à Bordeaux en 2011 où l’attend un poste de professeur des universités. Il a été directeur adjoint de l’IMB pendant 4 ans.