Couverture du journal du 03/12/2024 Le nouveau magazine

Vins de Bordeaux, primeurs en sécurité

Les exploitations viticoles sont très impactées par la crise sanitaire. Philibert Perrin, propriétaire des Châteaux Carbonnieux et Lafont-Menaut, et président du syndicat des Pessac-Léognan, fait le point sur cette crise inédite.

Echos Judiciaires Girondins : Comment
s’est passée la vie dans les vignobles en période
de confinement ?

Philibert Perrin : « Nous nous sommes organisés très vite, dès la mi-mars. Nous avons stoppé les secteurs administratif, commerciaux, l’exploitation des chais, et avons déployé des équipes dans les vignes en respectant les mesures de sécurité. Ainsi, il y a un vigneron par parcelle, mais certaines tâches sont en équipe, nous instaurons donc un décalage entre chaque personne. Les moments délicats à gérer sont l’embauche, la débauche, la pause déjeuner. Le réfectoire a été fermé et désinfecté, on a interdit les échanges de matériel. Maintenant, on a repris les travaux de soutirage au cuvier, et en tracteur dans les vignes. »

EJG : Manquez-vous de main d’œuvre ?

P. P. : « On ne peut pas encore parler de cela. Nous avons quelques arrêts pour garde d’enfants ou de personnes à risques, mais nous ne sommes pas encore confrontés à ce problème, même si nous en entendons parler. Il faudra voir si les étudiants sont disponibles à partir de juin pour des travaux d’épandage, d’effeuillage puis pour les vendanges. »

EJG : Comment s’annonce ce millésime ?

P. P. : « Il est très bon. Nous avons eu un été et un mois de septembre 2019 magnifiques, tout le monde est
d’accord sur ça. Il y a la question du prix à trouver. Pour les marchés de consommation, il faut des millésimes intermédiaires. En 2017, les prix avaient baissé mais pas suffisamment. Le dernier millésime fluctuant date de 2014. 

En 2018, nous avons eu très peu en quantité, donc il y a eu de la pression sur les prix. Il faut des vins de garde, mais aussi tous les 2/3 ans, des millésimes moins tanniques et moins chers. Le 2019 est très attendu car il pourrait satisfaire ces marchés de consommation. »

EJG : Comment va se passer la commercialisation du millésime 2019 sans les primeurs ?

P. P. : « Tous les rassemblements sont à l’arrêt : les primeurs, les Trophées Pessac-Léognan des Sommeliers ont été annulés. Quant aux Estivales en Pessac-
Léognan qui ont lieu au mois de juin, elles sont pour l’instant entre parenthèse. Tout le monde est en attente, mais on veut rester unis et groupés avec l’Union des Grands Crus, les Syndicats des Médoc… Nous avons donc décidé de proposer depuis le 11 mai aux dégustateurs journalistes de venir en propriété pour déguster le millésime 2019 en respectant les règles sanitaires. Pour ceux qui ne pourraient pas, des échantillons seront envoyés, mais tous les crus ne participeront pas car ces envois comportent des risques : il faut qu’ils soient dégustés très rapidement. Les courtiers ont eux récupéré les échantillons lundi 27 avril pour une dégustation avant le 29. Quant aux négociants et leurs clients, il n’est plus possible de faire déguster tout le monde. Nous allons donc proposer des rendez-vous individuels ou des envois d’échantillons, avec toujours cette incertitude des échantillons sur les longs voyages… S’il y a une campagne primeurs, il faudra qu’elle se fasse sur la confiance des négociants. » 

EJG : Où en sont vos ventes à l’export et plus spécifiquement sur le marché chinois ?

P. P. : « Les deux tiers de nos ventes se font en France, et beaucoup en restaurant. Les exports à l’international concernent surtout les Crus Classés, principalement en Europe, Etats-Unis, Japon et Russie. Le marché chinois est plus tourné vers le Médoc. Là, tout fonctionne au ralenti. Nous avons des demandes d’enlèvement de lots commandés et payés qui sont à l’arrêt. Ça a été très brutal. » 

EJG : Quelles sont vos perspectives de reprise ?

P. P. : « S’occuper de la vigne et de ce millésime naissant nous permettent de garder le moral. Mais on se demande comment les entreprises vont pouvoir se relever. Nous avons plusieurs mois de perdus entre la fermeture des cavistes et des restaurants. On rattrapera partiellement, mais pas totalement. Et puis comment vont ressortir les pouvoirs d’achat ? Tout le monde a fermé boutique, fait son grand ménage administratif. Les choses se remettent en place tout doucement. Malheureusement, il est trop tôt pour avoir une vision, c’est très difficile de faire des prévisions. »