Echos Judiciaires Girondins : Comment s’est passée la réouverture de la librairie Mollat à Bordeaux ? Y avait-il foule samedi dernier ?
Mathilde Mollat : « Dès 10 heures, on a eu beaucoup de monde, mais ça a été très fluide. Après un mois de click & collect et de livraison, on était heureux de retrouver nos clients. On a pu maintenir le lien avec les lecteurs via les réseaux sociaux, par mail et par téléphone. Mais accueillir la clientèle, c’est vraiment notre activité de libraire. C’était un moment très attendu. »
EJG : Nous sommes jeudi matin, les rues du centre-ville de Bordeaux sont assez vides, mais la librairie Mollat est remplie de monde…
M. M. : « Oui, nous sommes nous-mêmes assez surpris. Ce n’est pas une clientèle qui flâne, ce sont plutôt des gens qui viennent avec un but. On avait aussi été sur- pris au premier déconfinement de voir arriver des personnes avec des listes très précises, et peu de conseil. La clientèle est assez autonome dans ses choix, mais on a un peu plus de conseil. »
EJG : Est-ce comparable à la reprise du 11 mai 2020 après le 1er confinement ?
M. M. : « Non pas du tout, le public est vraiment au rendez-vous. En mai, le retour a été bien plus progressif. On a retrouvé une fréquentation normale en juillet. Là c’est très net ! On a eu une période d’activité très forte en juin, juillet, août, et on a eu une clientèle française différente des autres années. Ce qui avait beaucoup joué, c’est la réouverture des restaurants le 22 juin 2020, là on a senti une bascule. »
Nos commandes Internet ont bondi : depuis le premier confinement, on est passé de 6 % des ventes à 14 %
EJG : Et depuis, reprenez-vous un cours normal ?
M. M. : « Le contexte ne l’est pas, donc ce sont des adaptations permanentes. Tout bouge en ce moment : nos commandes Internet ont bondi ; depuis le premier confinement, on est passé de 6 % des ventes à 14 %. On est passé de 300 commandes/jour à 1 000, avec parfois des pics à 2 000. On a su s’adapter, il a fallu se réorganiser. »
EJG : Ce sont des commandes qui concernent essentiellement la Gironde ?
M. M. : « Ah non, notre premier bassin de livraison, c’est Paris, ensuite bien sûr la région, l’étranger. On a été très surpris de recevoir des commandes vers l’est de la France : Strasbourg, Marseille, alors qu’il y a de grandes librairies dans ces villes. »
EJG : Vous avez innové avec votre pop store, vous nous en parlez…
M. M. : « Le contexte nous a amené à penser les choses différemment. Dès septembre, on a eu envie de monter un deuxième lieu pour accueillir les lecteurs, avec une sélection plus détaillée, des univers, un côté festif de pause musicale. Ça a demandé un travail très conséquent, le résultat est très positif et stimulant. Dans la librairie, il y a une logique de rayons tellement forte pour les clients qui viennent habituellement. L’idée est de s’adresser également à une clientèle qui vient au moment de Noël pour faire ses cadeaux et qui recherche une sélection. »
Le pop-up store est un lieu pour accueillir les lecteurs, avec une sélection plus détaillée, des univers et un côté festif
EJG : Les mesures sanitaires sont-elles très contraignantes ?
M. M. : « Bien sûr, le Covid a généré plusieurs sortes de contraintes. On a mis en place un système de comptage. On peut accueillir jusqu’à 330 personnes pour une surface de 2 700 m2. Ensuite, il faut s’assurer que les personnes se désinfectent les mains et portent le masque. Ce sont des adaptations permanentes. Ça a été aussi l’occasion de tester des méthodes de travail différentes. Par exemple, on a lancé nos conférences à distance. On a fait notre premier interview, Joël Dicker était dans son hôtel à Paris, le modérateur était ici dans notre studio. On s’est assuré un dispositif technique pour avoir une qualité audio et visuelle satisfaisantes. On a aussi un studio à Paris qui a accueilli Anne Sinclair, Leila Slimani… On a pu aussi interroger des personnes qui vivent à l’étranger comme Ken Follett qui répondait depuis Londres. On l’avait un peu en maturation, car sur la technologie et les rencontres, il y a une dynamique très forte au sein de la librairie. »
EJG : Préparez-vous Noël sereinement ?
M. M. : « Il y a une confiance, les équipes ont été au rendez-vous malgré les confinement-déconfinement- reconfinement, etc. Ils ont dû évoluer également de la mission de conseil à un aspect plus logistique pendant le click & collect. Là, ils sont au rendez-vous du pop-up store. On continue cette formule qui marche bien pour des personnes qui veulent récupérer rapidement leur livre déjà emballé. Tous ces canaux-là permettent d’apporter la confiance jusqu’à Noël. »
Il va y avoir une transformation profonde de la manière d’acheter. On s’est équipé d’une chaîne logistique spécifique pour traiter les commandes
EJG : Comment ça se passe pour la gestion des stocks ?
M. M. : « Noël, c’est toujours une période où on a beaucoup de stock, et là ça a été formidable pour servir rapidement les personnes qui commandaient. Au premier déconfinement, les distributeurs ont mis du temps à remettre la chaîne du livre en route. Autant en mars, personne ne voulait voir le mur qui arrivait, autant cette fois, tout le monde était prêt. On a donc continué à recevoir nos colis. On avait reçu nos dernières livraisons les 17/18 mars, pour le premier confinement alors que là, on a tout reçu, ces stocks ont été très utiles pour répondre à la demande. »
EJG : Le système du click & collect renouvelle votre activité…
M. M. : « Au premier confinement, tout s’était arrêté. Tout le staff (110 personnes en moyenne) était en chômage partiel, sauf une dizaine de personnes. On a tout arrêté pendant 2 mois. On n’avait pas de gel, pas de masques, et puis les livraisons étaient trop incertaines. On a préféré tout suspendre. On a été très actifs sur les réseaux sociaux, on a mis plein de choses en place : les maisons de confinement, les pépites des bibliothèques, on a travaillé sur notre fond vidéo. On a une petite équipe super motivée. À partir de mi-juin, tout le monde avait repris son activité, et là il n’y a eu aucun chômage partiel. Lorsque le président a annoncé le confinement le mercredi 28 octobre, le jeudi on a eu un monde fou. On a fermé à 20 heures, mais on a eu une journée incroyable comme tous les commerçants du centre-ville. Puis on a de suite mis en place le click & collect, les livraisons à domicile ou dans des points retrait. Il va y avoir une transformation profonde de la manière d’acheter. On a équipé notre 3e étage d’une chaîne logistique spécifique pour traiter les commandes, c’est un gain de temps et d’ergonomie très appréciables pour tout le monde. C’est une organisation qu’on affine de jour en jour, et qu’on veut rendre la plus efficace possible. »
EJG : Comment avez-vous ressenti l’énorme soutien aux librairies indépendantes ?
M. M. : « Ce soutien a été très incroyable, et puis c’est une vraie force dans le monde du livre où les libraires, les éditeurs et les auteurs ont fait front commun, c’est une particularité française. C’est la cohérence de cette filière livre qui permet d’avoir un tissu aussi diversifié de librairies partout en France. On s’est rendu compte dès le premier confinement que le livre est un bien essentiel. Il a été le bon compagnon pendant une période très étrange, qui permettait une forme d’évasion. Il y a eu un retour et un attachement au livre qui vont sûrement se poursuivre dans les temps à venir. On a bien vu que les librairies étaient des lieux sûrs à partir du moment où on respectait les gestes barrière. »
EJG : Pouvez-vous nous parler un peu de vous… Une nouvelle Mollat pour reprendre la grosse machine ?
M. M. : « Non, je suis juste venue travailler avec mon père et les équipes. Je suis responsable communication à la librairie depuis septembre 2019, je connais ce métier, car j’y avais déjà travaillé aux rayons jeunesse, poches et sciences humaines quand j’avais 18 ans. Puis j’ai fait des études de géographie et j’ai eu une première vie professionnelle très différente et très enrichissante. J’aime avant tout les livres ! »
EJG : Que souhaitez-vous apporter de nouveau ?
M. M. : « On travaille sur les vidéos d’auteurs et sur notre chaine You Tube, on essaie de mettre en avant des playlists thématiques, étant donné qu’on a plus de 7 000 vidéos depuis 2010. À l’occasion de l’anniversaire du général de Gaulle, on a mis des témoignages et des mises en lumière d’auteurs. Par exemple pour Maurice Genevoix, on avait plusieurs interviews, qu’on a croisés avec ceux sur la Grande Guerre. On essaie d’éditorialiser les contenus, de les mettre en perspective pour faire vivre le fond. Un peu comme en librairie, il faut faire vivre les 60 % d’ouvrages de fond. Il faut accompagner les auteurs au-delà de la nouveauté. J’ai envie de continuer également la dynamique très forte sur les réseaux sociaux, les stories, etc. »