C’est un vrai Girondin, né à Talence, qui a grandi à Gradignan et fait ses études à Bordeaux. Il n’était pas le meilleur de la classe, plutôt sportif – il l’est toujours – motivé pour devenir tennisman professionnel : « Mais je n’ai jamais réussi à percer pour atteindre un très haut niveau », lance-t-il avec franchise. Il est comme ça Matthieu Gufflet. Au vu de son parcours prestigieux – à la tête d ’un cabinet de conseil en optimisation de performance (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et 3 000 salariés) et d’un groupe hôtelier – on s’attend à un homme d’affaires tonitruant, mais on rencontre un homme posé et spontané. Qui détaille son parcours, simplement, sans être dans la démonstration.
VIGNERONS BOURGUIGNONS
Intéressé par le monde du vin, il consacre son mémoire d’étude à l’ampélologie, fait un stage chez un négociant, « mais ce n’était pas mon truc », et finit son cursus par un master achat international (M.A.I.) à Kedge. Et ça tombe bien, pour son premier poste, il est embauché dans le laboratoire pharmaceutique Fournier à… Dijon ! Il s’occupe justement des achats de vins pour offrir à leurs clients. Il rencontre ainsi tous les négociants bourguignons et autres vignerons. Mais au bout de 2 ans, il décide de créer son cabinet de conseil pour aider les entreprises à optimiser leurs achats.
UN MOYEN PLUTÔT QU’UNE FIN
Ainsi naît Epsa en 2001. « Mon idée de départ », continue-t-il, « c’était de revendre ma boîte le plus vite possible pour racheter un vignoble et me lancer dans la viticulture. » Et de préciser : « C’était un moyen plutôt qu’une fin ». Sans indemnités après sa démission, le voilà « sans filet », contraint à réussir ! Après une première mission à 10 000 € pour un laboratoire pharmaceutique, son expertise commence à être reconnue. Suivent des sociétés importantes : Disneyland ou La Camif qui lui font confiance. « Notre métier, c’est l ’optimisation des coûts, des dépenses et des charges de l’entreprise qui se concentre sur son business et nous sur sa performance opérationnelle. »
GROUPE INTERNATIONAL
En 2007, grâce une opération de L.B.O. (leveraged buy-out), il achète le Château de Callac, un domaine dans les Graves. Il pensait alors revendre sa société en 2010 pour se consacrer à la viticulture. Mais les années climatiques compliquées s’enchaînent et il ressent une certaine déception : « L’écosystème ne m’a pas paru très ouvert ». Il décide alors de conserver Callac, de le laisser en gérance tout en développant Epsa. « Mais si je reste, c’est pour en faire un groupe différent », assure-t-il. Ils sont alors une cinquantaine et le groupe doit être structuré et se tourner vers l’international. Ce qu’il va accomplir jusqu’à l’acquisition en juillet dernier de son concurrent hollandais AB&C. Aujourd’hui le groupe compte 3 000 collaborateurs et réalise plus de 70 % de chiffre d’affaires à l’international. Matthieu Gufflet en reste l’actionnaire majoritaire et le dirigeant opérationnel : « Je ne pensais pas du tout atteindre cette taille-là et ça m’a permis d’assouvir ma vraie passion ».
Sa dernière acquisition en cours est la reprise du traiteur bordelais Humblot. L’opération est en cours de finalisation et sera signée le 6 novembre
TERRES DE NATURES
En 2019, 12 ans après l’achat du Château de Callac, il décide, avec son épouse passionnée d’hôtellerie, de se lancer dans un projet à la fois familial et économique et de devenir un acteur du lifestyle com- prenant l’hébergement, la gastronomie et la viticulture. Le projet prend un nom Terres de Natures, et une orientation très claire : « On recherche des lieux préservés en pleine nature, avec des vues incroyables et on privilégie la biodynamie, les circuits courts, aucun luxe inutile (pas de télé ou de mini-bar dans les chambres). Des choses simples pour vivre une expérience unique ». Les différents lieux se situent dans 3 zones géographiques : l’Île-de-France, Rhône-Alpes et l’Aquitaine. « On a sourcé des lieux où on a envie de revenir », remarque-t-il.
RUSTIQUE CHIC
Il investit dans un site à Marrakech, mais son vrai premier lieu est le château de la Bûcherie dans le Vexin, à proximité de Paris. « Un endroit incroyable, magique », commente-t-il, « au sein d’un parc de 65 ha, avec des étangs, des sources, des cascades. » Il va y passer le premier confinement en famille. C’est le point de départ de l’objectif qu’il se fixe : « Trouver de jolis lieux en désuétude et les rénover en préservant leur identité et leur âme ». Côté style, il opte pour le « rustique chic », rien d’ostentatoire, et surtout en privilégiant l’aspect écologique de la rénovation à travers le choix des matériaux et des modes de chauffage tels que les pompes à chaleur.
FERMES URBAINES
En seulement 3 ans, Matthieu Gufflet a constitué un groupe comprenant 6 hôtels, 2 restaurants, 6 épiceries et 4 vignobles (cf. encadré). Dans son idée d’activité complémentaire, il a développé également un projet de fermes urbaines avec un associé : Vif groupe, qui développe des fermes verticales hydroponiques permettant de produire des plantes toute l’année selon un processus très novateur : « On n’utilise pas beaucoup de terre, pas beaucoup d’eau et pas de pesticides. Ces herbes aromatiques et micro-pousses alimentent nos restaurants », explique-t-il. Une activité complémentaire qui représente une cinquantaine de per- sonnes et 7 à 8 millions de chiffre d’affaires selon lui.
LA REPRISE D’HUMBLOT
Dernière acquisition en cours : la reprise du traiteur bordelais Humblot. « C’était le dernier pilier qui manquait », assure-t-il. Mais il sourit quand on lui répond qu’on doute un peu qu’il s’arrête là… L’opération est en cours de finalisation et sera signée le 6 novembre. « Le traiteur cherchait un repreneur pour l’accompagner dans la pérennisation de l’entreprise, sur une durée de 3 à 5 ans, pour développer l’activité autour du viticole », estime-t-il. « Ce qui nous convient bien puisqu’on va pouvoir mettre l’activité traiteur sur tous nos sites. L’idée était également d’avoir notre laboratoire de production (qui est situé à Canéjan) pour les épiceries. » Une dernière opération (donc !) rondement menée durant l’été.
On a recruté 2oo personnes en 2 ans
MODE DE GOUVERNANCE
Pour mener ses projets à bien, Matthieu Gufflet a misé sur le même mode de gouvernance pour les deux entités, Epsa et Terres de Natures, avec un comex resserré et une équipe de « patrons de métiers » (hôtellerie, vignoble, épicerie…). « Ainsi, je peux me sortir de pleins de sujets opérationnels tout en gardant les sujets gouvernance, stratégie et acquisitions. Tout ce qui est décisions engageantes pour le groupe reste de mon fait mais je partage beaucoup, je n’ai pas de mal à déléguer. » Et d’affirmer qu’il n’est pas à saturation : « J’ai du temps pour moi, pour mes enfants et ma famille. Tout est question d’organisation ». Epsa, dont le siège social est au Cap-Ferret et le siège opérationnel à Paris, occupe 80 % de son temps. « Je garde le gros de mon énergie pour ça. Terres de Natures, c’est plutôt le soir et le week-end. Mais j’aime travailler et je dors peu ! Et surtout je cours 4 à 5 heures par semaine, ça c’est non négociable. »
CONSOLIDATION
Après cette grosse phase de croissance et de structuration, le groupe hôtelier est maintenant en phase de consolidation. « On a recruté 200 personnes en 2 ans », précise l’homme d’affaires. Certains endroits sont partis de zéro, comme Le Cercle Guiraud qui compte désormais 15 employés ou La Bûcherie qui en compte 25. « On a aussi beaucoup investi dans les fonctions supports : responsabilité financière, marketing, juridique… », ajoute Matthieu Gufflet. Insistant également sur les investissements en termes de travaux, d’enjeux RH « qui s’accompagnent de la logistique et de l’hébergement des employés ». Parmi les différents enjeux abordés, citons aussi la formation, et les déplacements pour favoriser, avec les pouvoirs locaux, les mobilités douces. « Mon projet de manière globale n’est pas économique mais patrimonial et familial », reprend Matthieu Gufflet. « C’est aussi un enjeu pour avoir des sites vertueux. On peut faire ça tout en conservant du confort et l’aspect économique viendra après. » Il l’assure : sauf une opportunité, il n’y aura plus de gros dossier d’ici 2025 : « On se laisse 2 ans pour tout intégrer, consolider, mettre en production. On verra alors si on se lance dans de nouvelles acquisitions. Mais l’idée n’est pas de faire un Epsa bis, je veux trouver un équilibre de vie et de projet ».
TERRES DE NATURES
3 zones géographiques : Île-de-France, Rhône-Alpes et Aquitaine
400 salariés
25 millions de chiffre d’affaires
Investissement : 30 millions d’euros tous sites confondus
6 hôtels restaurants : Château de la Bûcherie (Vexin) ; Les Roches Fleuries (Megève) ; Château d’Ermenonville (Oise) ; Hôtel de la Plage (Cap-Ferret), Auberge Ostape (Bidarray) Château Guiraud (Sauternes)
5 sites privatifs : Marrakech, Piquey, Sauternes, Illac et Fleurie
2 restaurants : le Cercle Guiraud (Sauternes) et la Mère Brazier (Lyon)
6 épiceries Mère Brazier : 3 à Lyon, 2 à Paris et 1 épicerie-comptoir à Sauternes (en cours)
4 vignobles : Château Callac (Graves) 40 ha, Château Guiraud (Sauternes) 128 ha, Château des Bachelards
(Fleurie, Beaujolais) 20 ha en biodynamie, Domaine des Aurelles (Languedoc) 8 ha en biodynamie.
Soit 200 ha sur le groupe et 700 000 bouteilles
EPSA
Création en 2001
3 000 collaborateurs (dont 1 700 en France)
+ 1 milliard d’euros de CA (volume d’affaires) (120 millions en France)
400 millions d’euros d’honoraires facturés/an
80 millions d’euros d’EBITDA
30 % du CA réalisé en France
70 % du CA réalisé à l’international dans une trentaine de pays (Europe, Asie et États-Unis)
80 % du CA réalisé dans 4 pays : Pays-Bas, Allemagne, Belgique et France
LE CHÂTEAU GUIRAUD EN TRAVAUX
Terres de Natures compte 3 propriétés en Gironde : le Château de Callac (7 chambres), acheté en 2007, l’hôtel de la Plage (13 chambres) en 2019, opéré par la Maison Faber Lascombes et le Château Guiraud en 2021. Guiraud compte 2 restaurants : La Chapelle, qui existait déjà, opéré par la Maison Faber Lascombes, ainsi que Le Cercle Guiraud qui a ouvert en juin dernier, et l’épicerie comptoir et cave Les Ormeaux, en construction, dans Sauternes. La partie hôtel va faire l’objet de gros travaux (pour une ouverture en 2025-2026) avec la création de 26 chambres, la réfection de la cuverie, et la création d’un centre de bien-être. « La surface des cuviers va être pratiquement doublée », expose Matthieu Gufflet, « La salle de dégustation, avec vision panoramique sur le Ciron, va être rénovée. Le chai à barriques sera enterré sous la partie chambres avec une verrière qui permettra de le voir. Le projet compte également des salles de convivialité. Ce sera un espace écotouristique avec toujours cette idée de faire très nature, avec notamment la présence d’un potager ».