Je veux structurer une nouvelle industrie automobile », annonce avec conviction Benoît Trouvé. C’est pour cela que cet ingénieur motoriste, qui a travaillé sur le premier moteur diesel hybride au monde chez PSA, quitte ses fonctions en 2020 et lance Midipile Mobility. « Juste après le confinement, je me suis dit qu’il était l’heure de répondre à l’urgence climatique », confie-t-il. Avec 7 associés, dont 3 anciens collègues de chez PSA, ils imaginent plus qu’une voiture : « une nouvelle solution de mobilité, avec un véhicule adapté aux usages, une nouvelle façon de le fabriquer et un nouveau modèle économique, le tout au cœur d’une industrie circulaire », explique le dirigeant.
Cette nouvelle catégorie de véhicule léger, à mi-chemin entre le vélo-cargo et la petite voiture urbaine électrique sans permis, possède 4 roues, une carrosserie, pèse entre 200 et 400 kg, peut emporter jusqu’à 300 kg de charge utile et se voir atteler une remorque. Il existera à terme en version homologuée sur route, pouvant aller jusqu’à 45 km/h, et en version VAE (pour vélo à assistante électrique) jusqu’à 25 km/h. Actif, puisqu’il fonctionne avec des pédales, « robuste, réparable et peu coûteux, notre véhicule est simple, efficace, au minimum », décrit Benoît Trouvé. Ses équipes ont travaillé chaque système avec une approche optimum et low tech, et prévoient d’optimiser en permanence les fonctionnalités et services proposés grâce à l’analyse de données. « Nous vendons un service qui s’appuie sur des véhicules, des infrastructures dont nous sommes propriétaires et designers. L’enjeu est d’avoir la maîtrise totale de la verticalité en tant que concepteur, fabricant et exploitant, afin de maîtriser notre marge brute », précise-t-il.
L’enjeu est d’avoir la maîtrise totale de la verticalité en tant que concepteur, fabricant et exploitant, afin de maîtriser notre marge brute
« La secret sauce de Midipile : proposer une mobilité désirable à travers un véhicule écologique, design, ergonomique et sécuritaire », affirme Benoît Trouvé. Un engin qui a aussi la particularité d’être amusant à conduire, avec ses pédales et ses manettes en lieu et place du volant, rappelant les kartings et autres voiturettes d’enfant. « Notre produit est malin, il présente d’énormes partis pris qui lui confèrent des caractéristiques uniques, cela éveille la curiosité ! », se félicite le dirigeant.
ÉCONOMIE DE LA FONCTIONNALITÉ
Pour définir ces caractéristiques, l’équipe de Midipile est partie d’une « réanalyse complète du besoin », avec l’objectif de concevoir un véhicule répondant à 3 problématiques : la contrainte environnementale, la contrainte économique et l’évolution des usages. « Nous sortons actuellement du modèle de la voiture comme bien propre, dimensionné pour tous les usages, pour aller vers un écosystème de la mobilité, comme en témoigne le développement du leasing. Cette économie de la fonctionnalité présente un triple gain pour l’usager : flexibilité, économies et baisse des émissions de CO2 », analyse Benoît Trouvé. « De gré ou de force, le monde et les usages vont changer. Allons-y joyeusement ! », lance-t-il. Midipile prévoit à terme de proposer différentes versions de son véhicule, destinées au transport de personnes B2B, B2G, et enfin B2C, avec une déclinaison en 4×4, en tandem biplaces, en version handisport, familles, etc., en fonction des besoins. « C’est sur le segment grand public qu’il existe le plus gros potentiel : nous estimons que les véhicules intermédiaires représenteront 20 à 30 % du marché d’ici 2050. Mais c’est aussi le segment le plus difficile car nous sommes en frontal avec les constructeurs automobiles », rappelle Benoît Trouvé.
LOGISTIQUE URBAINE
C’est pourquoi la première cible sur laquelle se concentre l’entreprise est celle de la logistique urbaine et péri-urbaine en milieu contraint, pour des agglomérations entre 20 000 et 100 000 habitants. « En alliant sécurité, confort et vitesse, mais aussi charge utile et possibilité de fonctionner dans des géographies difficiles, avec de forts dénivelés ou des routes pavées, nous résolvons plusieurs problématiques par rapport au vélo-cargo », assure le dirigeant. Il vise des villes telles que Poitiers, Limoges, Pau ou Angoulême, où se trouvent son siège social et sa partie production.
Le segment grand public est le plus difficile car nous sommes en frontal avec les constructeurs automobiles
Sa « zone de test », quant à elle, est à Bordeaux, où l’entreprise a installé une antenne au cœur de l’écosystème Darwin. « La taille de l’agglomération correspond au marché que l’on vise. De plus, la politique de la ville est favorable à des solutions alternatives », note Benoît Trouvé. Midipile cible également avec son premier prototype la logistique in situ, dans les hôpitaux, centrales nucléaires ou sites industriels étendus. « Notre véhicule permet aux entreprises d’atteindre leurs objectifs d’abaissement des émissions indirectes de CO2 », remarque-t-il.
TEST AND LEARN
Disponibles en précommande depuis le mois de juin 2023 au prix de 12 000 euros HT, les 40 modèles utilitaires 9h23 de Midipile devraient être livrés en 2025. L’entreprise avait auparavant proposé 20 modèles en précommande à la location mensuelle, dans laquelle sont inclus les services d’entretien et l’évolution du véhicule. « L’automobile est une industrie cash intensive, or nous ne disposons pas des moyens suffisants pour démarrer ce projet très ambitieux. Nous avons donc dû chercher des idées pour créer nos premiers prototypes et prouver l’innovation d’usage », confie Benoît Trouvé. « Chaque étape et cas d’usage nous permettent de monter en maturité sur le produit, les services, le prix ou le business model grâce à du test and learn permanent », assure-t-il. « Nous fonctionnons par boucles itératives », résume le dirigeant, qui prévoit de lancer 200 précommandes de son véhicule dès 2026, puis 800 précommandes ensuite…
LIGNE PILOTE
En attendant « que la pompe économique soit amorcée », l’entreprise est également à la recherche de partenaires financiers. Actuellement en cours de levée de fonds en seed, dont le closing est prévu pour le mois d’octobre, elle espère lancer une levée de fonds en série A dans les 2 ans à venir. Midipile est également en cours de sélection de ses fournisseurs pour les batteries, l’électronique, les faisceaux, les composants moteur, les panneaux solaires (en option) ou encore la carrosserie. « La question du recyclage et du remanufacturing des pièces étant centrale », précise Benoît Trouvé.
Le passage en production aura lieu en 2025. « Nous avons un an et demi pour monter notre ligne pilote pour les 40 unités du modèle 9h23 », indique le dirigeant. Et séduire le public. « Les lancements que nous avons organisé cet été à Angoulême et à Bordeaux ont montré l’intérêt que suscitent nos véhicules. Nous sommes très suivis car nous posons une question sociétale que tout le monde se pose. Nous montrons à quoi pourrait ressembler demain ! », conclut-il.
BENOÎT TROUVÉ : PARCOURS
Originaire de Cognac, Benoît Trouvé a fait ses études à Bordeaux et Paris, avant de voyager autour du monde à la voile et en vélo, puis de travailler comme ingénieur motoriste chez PSA. « Ces voyages m’ont permis de constater les conséquences de nos modes de vie sur l’état du monde. Ça a été un moteur de changement personnel et m’a poussé à vouloir entraîner l’industrie automobile dans le changement », confie-t-il. Étudiant, il a également participé au Shell Eco-marathon, pour lequel il a conçu un véhicule capable de parcourir 2 221 km avec un seul litre de SP95. « Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire le tour du monde avec pas grand-chose, ça a été un déclic ! », continue-t-il. C’est pour « mettre en adéquation ses valeurs avec les contraintes du XXIe siècle » qu’il quitte en 2020 « une place en or dans un grand groupe automobile » pour lancer son entreprise, Midipile Mobility.