Couverture du journal du 03/09/2024 Le nouveau magazine

Moon Harbour : L’audace distillée

BORDEAUX - Lancé en 2017 dans un bunker qui abrite sa distillerie et ses chais de vieillissement, jouxtant la base sous-marine, le whisky Moon Harbour s’impose dans l’univers des spiritueux. Parallèlement, Jean-Philippe Ballanger, son fondateur et directeur général, lance une activité événementielle ainsi que C. Spirits, un lieu dédié aux cigares et spiritueux.

Jean-Philippe BALLANGER, Moon Harbour, whisky

Jean-Philippe BALLANGER, fondateur et DG de Moon Harbour © Louis Piquemil - Les Échos Judiciaires Girondins

La cornemuse s’est élevée en fanfare dans le bunker de Moon Harbour (une référence au Port de la Lune) qui lançait son offre événementielle en juin dernier. La marque de whisky bordelaise, créée en 2017 par Jean-Philippe Ballanger, a trouvé sa place parmi les spiritueux. Pourtant il aura fallu du temps, de la patience et de la persévérance pour que le projet aboutisse.

Brooklyn

La passion du whisky a gagné Jean-Philippe Ballanger lors son passage chez Bernard Magrez, juste avant d’intégrer l’entreprise familiale Jock (lire portrait). Dans les années 90, lors de ses voyages professionnels, il découvre les whiskies japonais et surtout, à New York, les distilleries urbaines de Brooklyn développées sur d’anciennes friches industrielles.

« Je voyais que ça marchait très bien en termes de tourisme. Je me demandais comment cela se faisait qu’on n’ait pas fabriqué un whisky dans Bordeaux », s’interroge-t-il. Il choisit alors de s’investir personnellement et financièrement dans le projet, sans savoir ce que cela va lui coûter. « C’était un peu l’inconnu. »

Coup de chance !

Dès le départ, il a une volonté : distiller dans Bordeaux. Pour ce, il recherche un terrain d’au moins 600 m2 pour respecter les normes de sécurité. En 2013, il démarche la mairie qui veut privilégier la production en ville. On lui propose de rencontrer l’équipe chargée de revitaliser la zone des Bassins à flots, en plein développement, qui reçoit tous les mois des porteurs de projets.

Ils lui proposent un terrain de 1 000 m2 avec un bunker qui aurait dû servir de réservoir à carburant pendant la Seconde Guerre mondiale. Le bâtiment fait 25 mètres de haut, 75 mètres de large avec des murs de 6 mètres d’épaisseur en béton armé. « On m’a demandé de valoriser le bunker ! Je n’étais pas du tout convaincu », s’exclame-t-il. Que faire de ça ? « J’ai réfléchi et pensé que ça pouvait faire un lieu de vieillissement des barriques. Ils ont été emballés par cette idée. C’était un chai de vieillissement unique au monde. »

Jean-Philippe BALLANGER, Moon Harbour, whisky

© Erwan Fiquet

Construire le puzzle

« Il a fallu du temps, se remémore-t-il, pour trouver le lieu, le consultant, les alambics, les barriques auprès des châteaux, pour avoir les autorisations de distiller en ville (tout le monde m’a dit que je n’aurai jamais l’autorisation, ça m’a émoustillé) et enfin trouver l’argent… » Sur un projet de 3 millions d’euros, il obtient une subvention de 600 000 euros du Conseil régional : « ça leur a beaucoup plu car ça mêlait innovation, agriculture locale et production en milieu urbain. Ensuite, il a fallu construire ce puzzle ».

Pour lancer sa production, il recrute en tant que consultant exclusif « le pape du whisky écossais », John Mac Dougall. « Quand je lui ai fait visiter le bunker il a trouvé ça extraordinaire. En plus, on a une part des anges diaboliquement basse. »

Gin et City Pass

La première distillation a lieu le 6 septembre 2017. Le temps du whisky, c’est le temps long : celui de l’élixir qui vieillit, se mature et se bonifie. « Le compte Harbour a démarré pour 3 ans », sourit-il, puisque c’est la durée minimum de vieillissement. Il faut alors trouver d’autres ressources : « On a vendu des visites de la distillerie, on s’est fait référencer auprès de l’office de tourisme pour intégrer le City Pass : on est parmi les endroits originaux incontournables. Beaucoup d’étrangers viennent visiter la distillerie du bunker ! »

Ils démarrent leur production avec un gin (qui ne passe pas en barrique) et proposent des jus écossais qu’ils assemblent, affinent, et vendent en attente de leur propre whisky qu’ils lancent en septembre 2020.

Jean-Philippe BALLANGER, Moon Harbour, whisky

© Atelier Caumes – Moon Harbour

2 millions de chiffre d’affaires

Cinq ans plus tard, Moon Harbour a trouvé sa vitesse de croisière. En distillation, ils produisent 100 000 bouteilles par an, avec pour objectif d’en vendre 75 000 à 80 000 – « On n’en est pas loin ! », précise Jean-Philippe Ballanger – et d’en garder 15 à 20 % pour le vieillissement. « C’est de l’immobilisation de trésorerie longue mais qui va ensuite devenir valorisable. » L’équipe vient de sortir son premier 5 ans d’âge. « On a fait 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit +15 % en 2023 sur un secteur qui s’est contracté de 25 % chez les cavistes, donc c’est pas mal », se félicite le directeur.

Jean-Philippe Ballanger recherche des business angels et espère lever 2 millions d’euros

« Choisir de distiller, c’est un vrai pari », explique-t-il, espérant être à l’équilibre à partir de 2025-2026. Pour se développer et embaucher des commerciaux et chargés de marketing, Jean-Philippe Ballanger recherche des business angels et espère lever 2 millions d’euros.

Story telling

La marque vend principalement aux cavistes et cafés-hôtels-restaurants, ainsi qu’à la distillerie entre les visites, la boutique et les privatisations. « Aujourd’hui on est à 700 cavistes sur 4 000, sachant qu’il y a 2-3 ans on en avait 300. Il y a donc une grosse marge de progression. Les cavistes l’apprécient et disent que ça se vend, estime Jean-Philippe Ballanger, mais il y a trop d’offres, qui n’apportent pas quelque chose de nouveau. »

Lui insiste sur le story telling « qui est apprécié » et le produit de proximité. L’avantage du bunker est également sa très bonne empreinte carbone. Enfin, toutes les matières premières viennent de la région bordelaise : les céréales, les alambics. « Ce qui vient de plus loin c’est le fumage aux algues sur le bassin d’Arcachon. »

Jean-Philippe BALLANGER, Moon Harbour, whisky

© Erwan Fiquet

Bière finition cigare

La marque compte quatre whiskies : le Signature (en entrée de gamme, vieilli en barriques de sauternes et de rouge), la gamme Dock 1 (single malt d’orge 5 ans d’âge), Dock 2 (single malt 100 % maïs malté), Dock 3 (fumé aux algues d’Arcachon). Depuis 2 ans, le groupe importe les rhums colombiens Ron de Caldas fabriqués dans la cordillère des Andes.

Enfin, il propose des bières brassées à la distillerie, à base de spiritueux, avec en finition whisky, gin, rhum et cognac, « Et celle qui intrigue tout le monde, annonce Jean-Philippe Ballanger, cigare, fumée à base de tabac du Lot-et-Garonne ». Enfin, il produit trois whiskies et un gin pour la grande distribution.

Événementiel

Avec la construction d’un tout nouvel entrepôt (livré en mai dernier) de 600 m2, Moon Harbour a pu faire de la place dans le bunker pour développer la partie événementielle. C’est Marine, la fille de Jean-Philippe, qui développe cette partie. « Toutes les bouteilles ont été déménagées dans le nouvel entrepôt. Ça nous donne du confort », indique-t-il.

Le lieu de forme arrondie en béton armé est très singulier. « On ne risque pas de gêner les voisins » plaisante-t-il. Cette nouvelle organisation a également permis de structurer pour rationner les flux produits.

Lieu de dégustation

Depuis juin 2023, Jean-Philippe Ballanger a également lancé un nouveau lieu : C. Spirits, qui combine une cave à cigare, un fumoir, un mur de spiritueux, un restaurant, une terrasse, et le rooftop qui a ouvert dernièrement. Passionné également de cigare, le DG de Moon Harbour recherchait un endroit où « fumer sans s’enfumer. Un lieu cosy avec un vrai système d’aération ». Il a choisi Bordeaux sud, entre la Boca et la Méca. « C’est stratégique. »

La salle de restaurant est coiffée par une canopée de plantes tropicales, soit 160 espèces différentes. « Ça permet d’avoir une atmosphère chlorophylle, ça donne une acoustique incroyable et une ambiance très feutrée », s’enthousiasme-t-il. C. Spirits propose plus de 1 000 références de spiritueux dont une centaine de bouteilles rares qui sont des pièces uniques. « C’est un endroit qui manquait », conclut Jean-Philippe Ballanger.

Jean-Philippe BALLANGER, Moon Harbour, whisky

© Erwan Fiquet

En distillation, ils produisent 100 000 bouteilles par an

Avec la construction d’un nouvel entrepôt, Moon Harbour a pu développer dans le bunker la partie événementielle