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OliKrom : de deeptech à PME industrielle

PESSAC. Créée en 2014 par le chercheur Jean-François Létard sur la base de sa découverte, OliKrom est aujourd’hui une PME industrielle rentable. Le dirigeant revient sur dix années durant lesquelles il a cultivé sa singularité avec, en ligne de mire, toujours le même objectif : devenir une ETI régionale.

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Jean-François Létard, président fondateur d'OliKrom était auparavant chercheur. © Alban Gilbert

« Dix ans. Cela peut paraître long. Mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour développer une entreprise industrielle pérenne », constate Jean-François Létard. Cet ancien chercheur de l’université de Bordeaux a fondé l’entreprise OliKrom, en 2014, sur la base de sa découverte « en faisant le pari fou » de devenir une entreprise de taille intermédiaire (ETI). Spécialisée dans les pigments intelligents intégrés à des peintures, encres ou matières plastiques, OliKrom est capable de développer n’importe quel produit en partant d’un besoin client, puis de le fabriquer dans son usine de Pessac.

Après avoir investi en 2017 dans son outil de production, embauché une vingtaine de personnes et développé des produits pour de nombreuses verticales, allant de l’aéronautique au spatial, en passant par les cosmétiques, le luxe, la santé et la sécurité routière, avec Luminokrom®, l’entreprise « a digéré l’investissement dans [son] outil industriel et a été rentable en 2024 », annonce-t-il.

Croissance raisonnée

En 2025, OliKrom entre dans une nouvelle phase de « croissance raisonnée, avec de nouveaux produits et développements qui arrivent », expose son président. Par exemple sur le remplacement du chrome 6 par le chrome 3 dans l’aéronautique, qu’OliKrom est parvenu à rendre coloré pour visualiser son application. Ou encore en agriculture, sur l’identification de potentielles fuites sur les réservoirs des futurs tracteurs hydrogène.

L’entreprise vient d’acquérir le terrain contigu à celui de son usine et espère tripler sa taille dans les deux ans, « en fonction de nos bénéfices et du marché. Je gère l’entreprise de façon raisonnable, sur le temps long », insiste Jean-François Létard. Patience, courage, indépendance et singularité sont ses maîtres-mots. Il énumère « en toute humilité et sans donner de leçon », tient-il à préciser, les défis qu’il a relevés durant ces 10 années d’aventure entrepreneuriale. Et maintient son objectif de devenir un fleuron régional, national et mondial de l’intelligence des couleurs dans les dix ans à venir.

  • « Cultiver son innovation au passé, au présent et au futur »

« Notre premier combat a été de garder la propriété intellectuelle et industrielle de notre innovation de rupture, née dans l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB), à l’origine d’OliKrom. Il a fallu différencier les brevets, les licences exclusives et les partenariats, pour travailler avec des grands groupes qui financent nos recherches, sans leur céder. Ensuite, il a fallu continuer à faire fructifier notre innovation sans se perdre dans la R&D, car elle porte le futur de notre business ».

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La peinture luminescente Luminokrom®, développée avec Eiffage, permet de sécuriser les pistes cyclables, comme ici sur le campus de l’université Bordeaux-Montaigne. © Alban Gilbert

  • « Absorber l’investissement dans l’outil industriel »

« Pour disposer de notre outil industriel, il a fallu accepter de créer un décalage entre le business et les besoins financiers liés à l’investissement. Cela nous a pris sept ans pour redevenir rentables. Aujourd’hui, nous avons quatre laboratoires de R&D (pigments, encres, peintures et matières plastiques) et un site de production. Nous produisons les pigments intelligents (qu’on ne vend pas) qui sont intégrés dans un produit fini prêt à l’emploi (que l’on vend). Il faut dimensionner l’outil sans viser une surcapacité, pour retrouver plus rapidement la rentabilité ».

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OliKrom a mis 7 ans à absorber l’investissement dans son outil industriel, qu’elle prévoit de faire tripler de taille dans les 2 ans. © Alban Gilbert

  • « Cultiver son originalité et son approche du business »

« Une innovation de rupture doit trouver son marché, elle nécessite une évangélisation qui prend du temps. J’ai toujours voulu que nous soyons multiproduits et multimarchés. Ça a été la clé de notre succès, grâce aux différents cycles de chaque secteur. Mais cela nécessite de hiérarchiser ses développements. D’autre part, nous laissons les clients venir à nous. Ces industriels ont trois enjeux clés : un besoin d’innovation, des problématiques de réglementation (un produit ou un composant à changer) ou des enjeux de sécurité. Ce besoin doit être assez critique pour qu’il finance notre R&D et qu’il accepte que nous fabriquions le produit fini. Pour qu’il puisse nous trouver, nous avons travaillé notre référencement en tant que leader mondial référent en intelligence des couleurs ».

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Dans son bâtiment de Pessac, OliKrom dispose de 4 laboratoires et de son outil industriel de production de produits finis. © Alban Gilbert

  • « La solidarité et la culture d’entreprise sont essentielles »

« Lorsqu’on démarre avec un petit noyau de collaborateurs, il faut être capable de fédérer. Lorsqu’on passe d’entreprise de R&D à entreprise industrielle, il y a un choc de cultures et des compétences nouvelles sont nécessaires. C’est toute l’équipe qui doit tenir la ligne, faire front ensemble dans cette aventure commune. Aujourd’hui nous sommes 20, et nous avons créé une filiale dont les salariés sont sociétaires, qui détient 5 % de l’entreprise ».

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En 10 ans, l’équipe d’OliKrom a grandi lentement mais sûrement pour atteindre 20 personnes. © OliKrom

  • « Garder pied dans l’entreprise, cultiver sa stratégie et sa direction »

« Il est facile de se perdre lorsqu’on est chef d’entreprise, car c’est une bataille. Le temps long est essentiel. Il est indispensable de partager avec d’autres dirigeants, avec l’écosystème, tout en résistant aux modes. Par ailleurs, quand on lève des fonds, il faut veiller à éviter les dilutions de capital, pour garder le contrôle. Au fil des cinq levées de fonds d’OliKrom (5 millions d’euros au total), j’ai fait venir à mes côtés des investisseurs (Starquest Capital) et des chefs d’entreprise qui me challengent tout en m’aidant à franchir des étapes et à préparer les suivantes ».