Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Interview de Patrick Seguin : CCI Bordeaux Gironde, une raison d’être

Réélu confortablement en novembre dernier président de la CCI Bordeaux Gironde, Patrick Seguin se mobilise dans son second mandat pour une présence accrue dans les territoires, et une volonté de faire le lien avec la jeune génération. Malgré un contexte de Covid omniprésent, le président de la CCI souligne le dynamisme de l’économie girondine et l’attractivité grandissante de la région.

Patrick Seguin, CCI Bordeaux Gironde

Patrick Seguin, président de la CCI de Bordeaux Gironde © Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Échos Judiciaires Girondins : Est-ce que la crise du Covid a redonné à la CCI une raison d’être ?

Patrick Seguin : « Je ne sais pas si c’est une raison d’être mais ça nous a donné un coup de booster. Je n’imaginais pas continuer à faire fonctionner une chambre de commerce comme je l’avais connue quand j’étais juste membre. On était seulement spectateurs. On se posait un peu la question, en dehors des missions régaliennes, à quoi on sert ? Deux choses ont fait un électrochoc aux Chambres de Commerce et d’Industrie, mais également aux Chambres des Métiers, c’est la réduction de la ressource fiscale imposée par la loi Pacte, et par Emmanuel Macron lui-même. On a pensé qu’on allait disparaître, puis on a décidé de se remettre en question. On a cherché à faire des économies, à vendre des prestations qui étaient gratuites, on a créé une offre de services marchande qui a de suite marché. Ça a fait un effet booster. Aujourd’hui je dirige l’entreprise Chambre de Commerce. Et puis, l’effet Covid, ça a été le 2e effet de booster, on a fait le job et on continue de le faire. Il y a une reconnaissance de la part des entreprises. C’est notre grande fierté. Nos collaborateurs se sont retrouvés avec des responsabilités et de la reconnaissance. »

 

EJG : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous représenter à la tête de la CCI Bordeaux Gironde ?

Patrick Seguin : « J’ai démarré mon premier mandat en pensant qu’il serait dans l’esprit des précédents présidents, un peu comme une transition. Quelques jours plus tard a débuté la crise des Gilets Jaunes. Puis, avec la crise Covid, Édouard Philippe a déclaré que nous étions le guichet unique du Quoi qu’il en coûte. Un grand chambardement un peu épuisant mais passionnant. On a monté une cellule de crise qui est montée jusqu’à une centaine de personnes pendant les confinements, et qui tourne aujourd’hui entre 15 et 40 personnes, et qu’on réactive en fonction des besoins. On a eu 20 000 contacts en un an. Depuis le 14 septembre dernier, on accompagne les entreprises dans le cas par cas. Pendant cette période, j’ai été sollicité par les grands élus de la Région, comme Alain Rousset ou la préfète, qui m’ont dit que je ne pouvais pas lâcher pendant cette période compliquée. J’ai donc pris ma décision, je me suis représenté, mais pour assurer la transition. »

On a une cellule de crise qui tourne entre 15 et 40 personnes qui est réactivée en fonction des besoins.

EJG : Ce second mandat est donc lié à la crise sanitaire ?

Patrick Seguin : « C’est une continuité, un souhait des équipes et des élus, de préparer l’après. On avait besoin de renouveler les membres, avec un staff un peu passéiste. On a décidé de rajeunir, on a 50 % de nouveaux élus, et 50 % de femmes. Dans le dernier mandat, je faisais partie des plus jeunes et maintenant des plus vieux ! »

 

EJG : 50 % de femmes, cela apporte quelque chose ou c’est juste la volonté d’avoir la parité ?

Patrick Seguin : « Ce n’est pas une question de parité, car je n’y crois pas, il faut juste avoir les compétences. Il ne faut pas mettre une femme parce que c’est une femme. Le quota 32 hommes et 32 femmes, c’est un peu le fait du hasard, et le résultat du fait que, pour la première fois, on a eu plus de 50 % de candidatures volontaires. Dans les anciens mandats, on galérait pour trouver des chefs d’entreprises qui s’investissent bénévolement. Là c’était l’inverse, il a fallu refuser du monde, en particulier sur la métropole. Sûrement parce qu’on a prouvé pendant la crise qu’on faisait des choses. On a de belles pointures sur une liste d’union bien équilibrée entre hommes et femmes, 60 % Medef, 40 % CPME, un équilibre commerce, industrie et services, et un équilibre PME, TPE, un équilibre de représentation géographique… C’est un chambardement qui me fait plaisir. On crée une nouvelle dynamique. On fait un séminaire le 3 février avec tous les nouveaux élus pour échanger sur leurs droits et leurs devoirs, et eux pour qu’ils nous disent sur quoi ils veulent travailler. Il y a des dossiers prioritaires comme la mobilité, les infrastructures, le développement numérique, etc. Il faut que les gens s’investissent sur des sujets sur lesquels ils ont de l’appétence. »

 

EJG : Vous avez la volonté de vous déployer sur les territoires, il y a un vrai manque ?

Patrick Seguin : « C’est le résultat d’une décision trop rapide prise en 2017 que j’assume. Quand on a eu cette réduction de ressources, on a décidé de réduire les dépenses. On avait un coût fixe trop important des antennes, avec les permanents. On a décidé un peu trop vite de les fermer. Mais on voit bien que pour régler les difficultés des entreprises, il faut associer présentiel et numérique. Venir à Bordeaux c’est compliqué et la place de la Bourse peut impressionner. C’est à nous d’aller au-devant des entreprises, être présents auprès des collectivités, des sous-préfectures, et des grandes villes de Gironde. J’ai rencontré Yves Foulon (maire d’Arcachon, ndlr) et Christian Lagarde, le président de la Médulienne, pour leur dire qu’on est prêt à revenir sur le terrain. Ils sont très demandeurs, mais on n’a plus les moyens de payer un loyer, donc ils doivent nous trouver un local. On enverra des collaborateurs mobiles. Sur des sujets, notamment comme la transmission d’entreprise, ça ne peut pas se faire sur le Net, le chef d’entreprise doit rencontrer des personnes en toute confidentialité pour exposer son projet. »

On a l’objectif d’implanter un CFA à Langon d’ici 2023.

Patrick Seguin, CCI de Bordeaux Gironde

Patrick Seguin, président de la CCI de Bordeaux Gironde © Atelier Gallien – Echos Judiciaires Girondins

 

EJG : Vous avez identifié plusieurs antennes ?

Patrick Seguin : « On est déjà présents à Libourne avec 6 élus et Marc Prikazsky, qui est vice-président en charge de la délégation, et avec la Cali et Philippe Buisson, ça marche très bien. L’idée est de revenir au plus près des entreprises et des collectivités. La préfète nous appuie dans notre démarche. On suit de plus en plus les collectivités dans leur stratégie de développement commercial, d’implantation d’entreprises. En parallèle, nos organismes de formation du Lac et de Libourne sont surbookés. On voudrait monter des centres de formation dédiés aux métiers en forte tension de recrutement au plus près de l’implantation des chercheurs d’emploi. On a l’objectif d’implanter un CFA à Langon d’ici 2023. On veut être la Chambre de Commerce de Gironde avant celle de Bordeaux. »

 

EJG : Quels sont les grands axes de développement économique de la Gironde ?

Patrick Seguin : « D’abord, il faut constater que malgré la pandémie, notre région est toujours aussi attractive, en particulier la Gironde. Nous n’avons jamais eu autant de création d’entreprises, nous en avons plus qu’en 2019. Les sondages montrent que nous sommes la 2e région de France après la région parisienne, mais eux sont en baisse et nous en augmentation. On le voit à travers le prix de l’immobilier. Les développements sur l’aéronautique et spatial sont en pleine restructuration vers l’évolution de l’avion propre. Les constructeurs mettent le paquet sur ce dossier car c’est une question de survie. On le voit notamment avec un savoir-faire extraordinaire autour de l’aéroport. On a aussi des commandes qui sont tombées en fin d’année autant pour Airbus que pour Dassault en termes d’avions militaires. Ce dernier a 10 ans de carnet de commandes, ça va booster l’emploi et la sous-traitance. D’ailleurs, on n’en a pas beaucoup parlé mais les grands groupes d’aéronautique et spatial ont aidé leurs sous-traitants à passer le cap en leur faisant des avances de trésorerie pendant la période de confinement. Donc l’aéronautique et le spatial ont un potentiel de développement et de transformation qui vont se faire en très peu de temps. Notre aéroport est en re-progression beaucoup plus rapide que celle escomptée. On est passé de 7,7 millions de voyageurs avant le Covid à 280 000 en 2020, et là on a fini l’année à 2,9 millions. On redescend depuis quelques semaines, mais on va remonter avec les nouvelles lignes proposées par les compagnies. On faisait des stratégies à 2 ans, maintenant c’est à un mois !

Le numérique est un axe fort avec l’arrivée du câble Amitié au Porge : une opportunité unique pour développer une « numérique Valley »

Le numérique est aussi un axe fort avec l’arrivée du câble Amitié au Porge. C’est une opportunité unique. J’organise d’ailleurs le 15 février avec les élus du Nord-Bassin, du Sud-Médoc et de la Métropole, avec des professionnels du numérique et des data centers pour montrer qu’on pourrait avoir une numérique valley entre la métropole et le Porge. Grâce à ce câble de méga données, on peut faire du cloud et de la compilation de données qui peuvent irriguer le monde entier. Il y a un potentiel d’autant plus que le numérique s’est développé fortement à travers de nombreuses start-ups. On est devenu la zone française où il est le plus facile d’attirer les talents. Il faut aussi permettre aux entreprises (96 % de TPE/PME sur notre territoire de Gironde) de bien fonctionner : je pense à la mobilité. On va reprendre notre bâton de maréchal pour faire des propositions sur les infrastructures. Je suis très clair là-dessus : demain, on roulera pratiquement tous avec des véhicules propres, qu’ils soient électriques ou à hydrogène. Les 17 000 camions qui passent sur la rocade tous les jours seront également propres. On a déjà dans les pays du Nord, des 45 tonnes à 100 % hydrogène et 450 km d’autonomie. Ils vont continuer à se développer. Dire qu’on ne fait plus d’infrastructures, c’est une erreur monumentale. Nous allons militer pour continuer à construire et à améliorer les routes. Il faut aussi reparler de l’axe Nord/Sud, ce n’est plus le grand contournement, qui fait qu’on a 13 000 camions/jours qui ne font que passer entre la péninsule ibérique et l’Europe du Nord. J’ai une demande de la préfète sur ce sujet, pour faire une proposition au Gouvernement. »

On a eu plus de créations d’entreprises en 2021 qu’entre 2017 et 2019 : les gens croient en l’avenir !

EJG : Que pensez-vous des mesures gouvernementales prises pendant la crise ?

Patrick Seguin : « Je considère que le Gouvernement a pris ses responsabilités en lançant le Quoi qu’il en coûte, je ne peux pas me prononcer sur la dette de la France, mais ce que je peux constater c’est que si on compare avec les autres pays européens, les entreprises françaises sont en meilleure santé. On a une économie en bonne santé, à l’exception de l’événementiel, des traiteurs, restaurateurs. Mais dans la majorité des cas, les entreprises ont des carnets de commande bien remplis, et manquent parfois de main d’œuvre parce qu’il y a des problèmes de recrutement et d’absence avec les cas Covid. Nous avons peu d’entreprises sous la protection du Tribunal de Commerce. Depuis le 14 septembre, on a mis en place le cas par cas, il ne fonctionne pas trop mal, mais il faut presque solliciter les entreprises. Il y a quand même un phénomène de repli. Il faut qu’elles se bougent, on ne peut pas toujours aller les chercher. On a eu plus de créations d’entreprises en 2021 qu’entre 2017 et 2019 ! et ce ne sont pas que des auto-entrepreneurs. La reprise d’entreprise se renforce également. Les gens croient en l’avenir. »

 

EJG : Les dernières mesures concernent essentiellement l’événementiel ?

Patrick Seguin : « Oui ça concerne la catégorie S1 et S1bis : tourisme, événementiel, les agents de voyage, restaurateurs, hôtels et tout ce qui est en amont et en aval. Si on prend les restaurateurs, ils sont impactés à 2 niveaux : ils ont été fermés, indemnisés, ils ont pu rouvrir avec le pass sanitaire. Ils sont repartis avec une contrainte, ils ont des chutes brutales le midi en raison du télétravail. Tous ces métiers liés au S1 vont être accompagnés, et on n’est pas loin du Quoi qu’il en coûte, mais il faut qu’ils se manifestent. »

 

EJG : Concrètement quelles sont les démarches ?

Patrick Seguin : « Il faut qu’ils nous contactent, on est la porte d’entrée. En ce moment, on est à 200 contacts par jour. Il y a notre plateforme, celle de l’État, ministère de l’Économie/crise Covid, des partenaires, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, les avocats. Les actifs ont récupéré pas mal d’aides. Il va y avoir également un décalage de 6 mois dans le remboursement des PGE en fonction de l’état de l’entreprise, et un étalement sur 10 ans. Dans ces mesures, il y a également la simplification et le raccourcissement des délais d’instruction des dossiers. Les entreprises en difficulté peuvent être aidées. »

 

BORDEAUX – ORLY BIENTÔT DE RETOUR ?

Ne l’appelez plus navette ! Pourtant, la liaison en avion Bordeaux – Paris-Orly pourrait bien reprendre du service. La commission européenne a en effet remis en cause la décision gouvernementale de supprimer la navette Bordeaux-Orly dans le cadre de la loi Climat. « Le Gouvernement doit reconnaître qu’il existe des solutions alternatives », a martelé Patrick Seguin, qui rappelle que les différentes collectivités (CCI, Mairie de Bordeaux, Bordeaux-Métropole et Région) sont unies pour demander un compromis, soit 4 allers-retours par jour (contre 10 avec la précédente navette). 4 compagnies sont candidates et s’engagent à expérimenter des biocarburants sur cette ligne. « Certaines entreprises affrètent des avions privés, c’est une aberration ! », regrette Patrick Seguin.

Un regret prolongé : ce ne sera sûrement pas Air France, « je le déplore d’autant plus que le personnel ne comprend pas cette décision unilatérale de leur actionnaire principal, en même temps s’il refuse, on n’y peut rien mais c’est dommage. »

COMMERCE – HAUSSE POUR LE CENTRE-VILLE DE BORDEAUX

Avec près de 13 millions de passages enregistrés, la fréquentation du centre-ville est en hausse de 3 % par rapport à un mois de novembre ordinaire (hors 2020) et le mois de décembre est tout aussi bon.

Si près de 70 % des visiteurs viennent de la métropole bordelaise, 38 % sont Bordelais. Ce phénomène a été amplifié par l’ouverture des commerces le dimanche. Le dimanche 2 janvier a par exemple été une journée exceptionnelle. Autre motif de satisfaction : un taux de vacance très bas : 4,2 % sur le centre de Bordeaux.