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Que vont devenir les « entreprises zombies » ?, par Stéphane Regnier

Dans quel état économique vont se trouver les entreprises régionales après la crise sanitaire ? On peut craindre pour la survie de 20 % des entreprises du territoire, soit 480 000 emplois en danger. Ces entreprises « zombies » sont maintenues en vie artificiellement grâce aux aides et au crédit. Certaines sont en grand danger et il existe des solutions de survie mais il faut les mettre en place immédiatement.

entreprise zombies

© Shutterstock / bizvector

Depuis quelques semaines, de nombreuses interviews, des articles de presse et des posts sur les réseaux sociaux font état d’un phénomène dont on n’avait jamais autant entendu parler jusqu’à maintenant : les « entreprises zombies » ! Ce sujet mérite de poser certaines questions qui demandent un éclairage particulier.

Quelle est la définition exacte de l’entreprise zombie ?

L’entreprise zombie est un canard boiteux, une société mal en point dont la chance de survie est infime : en peu de mots, une entreprise non viable qui peut néanmoins mettre des années à s’éteindre. Le terme avait été forgé en 2008 par trois chercheurs d’universités américaines, Ricardo Caballero, Takeo Hoshi, et Anil Kashyap. Une définition courante la désigne par un endettement tel qu’elle ferait faillite si les taux d’intérêt étaient normaux. Or nous verrons que ces taux pourraient bien remonter… L’OCDE indique qu’il s’agit d’une entreprise dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir sa charge d’intérêts pendant trois années consécutives. Après plus d’une année de crise sanitaire, le nombre de faillites en forte baisse (- 37 % selon le CNGTC), y compris au premier trimestre 2021, ne manque pas d’étonner ! Mais un signal de retournement a commencé sur la deuxième quinzaine de mars 2021 selon la dernière étude Altarès avec un taux de liquidation directe supérieure à 80 %, du jamais vu !

Quelle est sa part probable dans la population des entreprises françaises ?

La BRI (Banque des Règlements Internationaux) a réalisé une étude en 2018 sur le sujet : dans les pays de l’OCDE, la proportion d’entreprises zombies est passée de 1 % en 1990 à 12 % en 2015.

On peut penser qu’après une année de crise sanitaire qui a vu l’Etat déverser beaucoup de liquidités, ce taux a pu approcher voire dépasser les 15 à 20 % ! Ce ne serait pas irréaliste car une étude finlandaise récente (synthétisant 39 études internationales) avait calculé qu’à l’issue de toutes les grandes crises économiques et financières de ces vingt dernières années, environ 17 % de sociétés disparaissaient selon plusieurs modalités : faillites, cessions et fermetures. La crise de la Covid ayant été particulièrement brutale, ce taux de 20 % est plausible.

Après plus d’un an de crise sanitaire, la proportion d’entreprises zombies peut approcher les 20 %

Quelle est la cause de la montée en puissance de cette « zombification » ?

À l’évidence, quatre phénomènes sont à l’œuvre. Le premier concerne la forte baisse des taux d’intérêt payés par les entreprises sur leur dette, ces taux étant passés de 4,3 % du PIB de l’OCDE en 2008 à 1,5 % actuellement. La remontée de l’inflation en cours, et donc des taux d’intérêt, pourrait mettre en danger beaucoup d’entreprises, y compris des Etats. Le deuxième est lié à l’action des banques centrales qui n’ont pas hésité à racheter de la dette en émettant ex-nihilo des montants stratosphériques de liquidités. Ce qui conforte le risque d’inflation précité.

La troisième raison, très française, est le niveau trop élevé du BFR (besoin en fonds de roulement) et la faible rentabilité moyenne des entreprises issue de charges fixes importantes, de postes clients et fournisseurs peu négociables et de la fiscalité importante pesant sur les entreprises. Enfin, la quatrième raison est le fait que, sous la pression des crises des dix dernières années, la notation minimale (Banque de France) autorisant un concours bancaire a été abaissée (à la note 5 + qui est l’apanage de sociétés fragiles) : l’accès au PGE très soutenu par l’État a rendu théoriquement éligibles 80 % des entreprises. Les autres 20 % sont donc, de fait, considérées comme des zombies. Mais, comme il y aura de la casse dans le remboursement de ces PGE (environ 5 à 6 % estimée par La Banque de France), la part des zombies pourrait encore augmenter. Dorénavant, la Banque de France a prévu de noter aussi les entreprises de moins de 750 000 € de chiffre d’affaires, ce qui donnera une meilleure vision de la solidité financière des TPE.

La Nouvelle Aquitaine est-elle plus ou moins touchée que d’autres régions ?

Avec – 37, % de défaillances au premier trimestre 2021, la Nouvelle-Aquitaine se classe dans les cinq meilleures régions de France. Pour autant, certains de ses secteurs forts sont dans la tourmente :

  • Tout le secteur cafés-hôtels-restaurants/tourisme empêché de travailler (79 % en difficulté)
  • Le puissant pôle aéronautique également très fortement touché (45 % en difficulté)
  • La viticulture (et l’agriculture) pour des raisons de gel nocturne très récent.

Si les entreprises de l’aéronautique et des grands châteaux des vins de Bordeaux sont solides financièrement, il n’en est pas de même pour les entreprises moins prestigieuses et les autres secteurs évoqués. Si seulement 10 % des entreprises tombaient, ce seraient 240 000 emplois en grave danger en Nouvelle-Aquitaine.

Enfin, faut-il à tout prix sauver ces entreprises et y-a-t-il des solutions pour ce faire ?

Une entreprise qui tombe, c’est en moyenne quatre emplois perdus. Conserver une entreprise non viable à terme n’est pas la bonne solution car cela mobilise des moyens importants qui pourraient être mieux utilisés. Ryan Banerjee et Boris Hofmann, de la Banque des règlements internationaux, indiquaient cet effet boulet : « Les zombies pèsent sur la performance économique car ils sont moins productifs, et leur présence affaiblit l’investissement et l’emploi dans les firmes plus productives. » Mais la prise en charge de dirigeants (souvent âgés) d’entreprises qui sont tombées et de leurs salariés peut s’avérer lourde également pour la collectivité et la conservation maximale dans l’emploi est à considérer sérieusement. Ce sont souvent des petits commerces qui participent à l’animation des centres-villes ou des TPE traditionnelles de services nécessaires localement dans la France profonde. Faire le choix de laisser mourir ces entreprises de « l’ancien monde » pour celles du « nouveau monde » (la « start-up nation ») n’est pas neutre socialement et collectivement. Le risque de crises sociales graves peut resurgir à tout moment, y compris les débats sur le revenu universel aux prochaines présidentielles…

Pour autant, la crise sanitaire a amené une grande créativité dans la réflexion pour sauvegarder un maximum d’entreprises. Le ministre de l’Économie propose des prises de participation de l’État, mais là nous sommes clairement sur de grosses entreprises. L’Ordre des Experts-Comptables propose un plan en 50 mesures dont la remontée de l’endettement Covid en fonds propres et son isolement pour ne pas peser sur la notation bancaire et pénaliser l’entreprise sur le long terme. La Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes veut fiabiliser l’information financière pour sauver les entreprises « qui le méritent ». René Ricol, personnalité du monde économique, propose d’apurer la dette y compris des TPE à la barre du Tribunal de Commerce pour les garder en vie quand c’est raisonnable. Quels que soient les dispositifs finalement retenus, il est clair que l’on ne pourra pas garder tous les zombies en vie et qu’un apurement sérieux pourrait commencer courant 2021 et cela pour plusieurs années… Les sociétés ont donc besoin de visibilité via des simulations d’hypothèses de leur reprise d’activité à terme : pour notre part chez RCA Consulting, nous aidons les TPE/PME à se doter d’une « culture du cash » avec l’outil TurboPilot de prévision et de suivi de trésorerie ainsi que des méthodes d’optimisation (accélération du cash) afin de sauver ou d’accélérer la croissance d’une entreprise.

Si seulement 10 % des entreprises tombaient, ce seraient 240 000 emplois en grave danger en Nouvelle-Aquitaine.

Pour en savoir plus : Outil de trésorerie saas TurboPilot, Ouvrage PDF gratuit « Du cash à gogo ! »

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