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Rémi Lamerat, un rugbyman dans la vigne

YVRAC : L’ancien joueur de l’UBB Rémi Lamerat a définitivement raccroché les crampons pour se lancer dans la viticulture. Son Domaine Grand Jour, situé au nord de Bordeaux, est à la fois l’aboutissement d’un long cheminement et le commencement d’une nouvelle carrière.

Rémi Lamerat

Rémi Lamerat © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

C’est un retour aux sources, un retour à la terre et aux vignes. Le vignoble, Rémi Lamerat le connaît bien. Originaire de Sainte-Foy-la-Grande, son grand-père avait un domaine classé en Côtes-de-Duras. Mais son père n’avait pas voulu le reprendre, et lui-même a été happé pendant 15 ans par sa carrière de rugbyman professionnel. Pourtant il y avait fort à parier que ce garçon attaché à la terre y reviendrait, et c’est ce qu’il a fait, même s’il n’a pas emprunté le chemin du Bordelais pour découvrir la viticulture.

LA VIGNE POUR LE PLAISIR

« J’ai eu la chance de bien connaître le Gaillacois quand je jouais à Castres », reconnaît-t-il en préambule, « ainsi que les côtes d’Auvergne. J’ai toujours le regret de ne pas être parti à l’étranger, comme l’ont fait beaucoup de mes copains viticulteurs, pour aller vendanger, vinifier dans l’hémisphère sud, et ma compensation c’est d’avoir connu d’autres régions viticoles, d’autres cépages, d’autres savoir-faire », rajoute-t-il pour expliquer son parcours. Parti à l’âge de 15 ans se former au Stade Toulousain, Rémi Lamerat, sélectionné à plusieurs reprises en équipe de France, a mis fin à sa carrière à l’Union Bordeaux Bègles (UBB) en juin dernier. Il est aussi passé par les clubs de Castres et de Clermont-Ferrand. C’est là qu’il commence à s’intéresser au monde du vin. « On a beaucoup de temps libre, alors plutôt que ne rien faire, j’allais tailler les vignes pour les caves coopératives de Gaillac avec Vinovalie, un partenaire du club. » Quelques années plus tard, alors qu’il joue à l’ASM-Clermont, il passe un BTS viticulture œnologie (2017-2019) au LEGTA de Beaune. « La partie agronomie m’a vraiment passionné et donné l’envie d’avoir un projet agricole », remarque-t-il, « je voulais travailler dans le vin, mais pas forcément avoir ma propriété, c’est ce qui m’a fait basculer ! »

© Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins

UN PROJET FAMILIAL

Son BTS obtenu en 2019, qui coïncide avec son retour à Bordeaux, Rémi Lamerat, tout jeune papa, décide de se lancer dans un projet familial qu’il définit avec Clara, sa compagne. Son diplôme en poche, il se sent enfin légitime… Sauf qu’il a 4 ans de contrat avec l’UBB. « Mais comme tout le monde », il s’ennuie pendant le confinement et commence à écrire son projet : « Je ne voulais pas d’une propriété dans une appellation trop porteuse. J’avais envie d’être différent, de gagner ma légitimité à travers le produit et non l’ancien sportif qui a investi. Être authentique et original ! ». On lui propose Saint-Émilion : « Avec un bon business plan et pourquoi pas le nom sur l’étiquette, ça aurait roulé tranquillement », mais lui recherche le challenge : « J’avais envie de changer les cépages, travailler comme je l’entends ». Sortir de sa zone de confort. Deuxième point primordial : vivre sur la propriété car c’est avant tout un projet familial. Sa compagne, graphiste et web designer, prend d’ailleurs en charge la partie marketing, communication, création des étiquettes et du site internet, et collabore sur la partie événementielle qui est aussi au cœur du projet. « Elle est moins passionnée que moi par le vin mais sait très bien retranscrire mon point de vue », résume-t-il. « On est complémentaires. » Lui qui veut prendre son temps commence tout de même à visiter des propriétés, et finalement il a un gros coup de cœur : « C’était la 8e visite, j’ai garé ma voiture, j’ai su que j’étais arrivé ».

J’avais envie d’être différent, de gagner ma légitimité à travers le produit et non l’ancien sportif qui a investi. Être authentique et original !

LE BONHEUR EST DANS LE PRÉ

Si la bâtisse principale est à l’abandon, les vignes sont en revanche très bien entretenues et la famille Lamerat comprend instantanément que c’est ici qu’elle va poser ses valises. Il rachète ainsi 10,5 ha de vignes à Yvrac (à une demi-heure environ du centre du Bordeaux), un peu de bois et de terre nue. Il décide également de créer un outil de production : cuvier, chai d’élevage et salle de réception seront bientôt en chantier. Il rachète la marque « Château du Grand Jour » qu’il fait modifier en « Domaine Grand Jour ». Le temps de formaliser l’administratif, il signe en janvier 2022. « Il y avait tout à réécrire, ce n’était pas forcément ce qui était prévu », et demande 1 an pour travailler le projet. Le propriétaire accepte.

180 AVENTURIERS

L’aventure ne se fera pas en solo, un terme qui sied si mal à Rémi Lamerat. À la faveur d’un déjeuner entre vignerons, il rencontre Ludovic Aventin, directeur de Terra Hominis, société à mission qui aide des vignerons à s’installer et se développer grâce au financement participatif. « L’ami, je peux t’aider, à la fois financièrement, mais surtout avec des ambassadeurs avec qui tisser des liens humains et commerciaux », lui déclare ce dernier. Il revend alors des parcelles pour créer des GFV (groupements fonciers viticoles) avec 180 associés qui ont droit tous les ans à un pourcentage de bouteilles, et qui vont diffuser le produit autour d’eux.

« Une super rencontre, mais il n’y a pas de hasard dans la vie », glisse Rémi Lamerat. Ce sont, ce qu’il nomme, ses 180 aventuriers : « On a un groupe Whatsapp, on envoie des photos, ça réagit pas mal et pour notre fête de septembre, on avait 130 inscrits deux semaines avant ! ».

© Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins

PREMIÈRE CUVÉE

Début 2022, la transition peut enfin s’opérer. Commencent les travaux de la partie habitation puis du chai. Les premières vendanges également : « Des raisins magnifiques ». L’année 2023 sera plus difficile à cause du mildiou. « On a été relativement épargnés », soufflet-il, mais pas mal ébranlés par ce fléau alors qu’ils sont en pleine transition bio. Cette nouvelle vendange sera la première au chai. Après une saison rugbystique qui s’est achevée en juin dernier, il peut enfin se consacrer entièrement à son domaine : « Pendant 2 ans, j’étais double actif, c’était dur, d’autant plus que mon poste à l’UBB me demandait beaucoup d’engagement ». Mais la transition était amorcée, même si mentalement c’est plus difficile : « J’avais quand même rempli mon
capital émotions », se satisfait-il.

LES 3 MOUSQUETAIRES

Savoir s’entourer est aussi son credo : Il a commencé son activité accompagné par la société Banton Lauret « présidée par un ami d’enfance » qui propose des prestations aux propriétés viticoles allant d’une aide manuelle à la gestion de propriété. C’est là qu’il a rencontré Romain Khalfi qui le seconde désormais au quotidien en tant que chef de culture, mais également David Harter, œnologue chez Banton Lauret, qui continue de l’accompagner dans son projet : « On est les 3 mousquetaires, ce sont de vrais amis très investis dans le projet. Il y a beaucoup de transmission ».

Cette année on s’attend à un peu plus de 50 000 bouteilles

CÉPAGES ORIGINAUX

En 2022, le domaine Grand Jour a lancé ses 6 premières cuvées. L’année 2023 voit l’arrivée de nouveaux cépages originaux : muscat à petits grains blancs, marselan, castets, et bouchalès, mancin découverts à Gaillac : « Ils ont un conservatoire de plus de 500 cépages, des résistants, des classiques, et ils vinifient de manière très pure. Ça collait avec mon projet technique et différenciant, et une agriculture raisonnée ». Il a également replanté du cabernet franc pour avoir les 3 cépages traditionnels bordelais avec le merlot et le cabernet sauvignon. Son idée est de faire des micro-cuvées, des essais : « Je ne sais pas combien mais plus de 10 c’est certain ! », se réjouit-il. Domaine Grand Jour sera la cuvée référence. Et au milieu, ce sera un laboratoire : « Il y aura des choses éphémères, de la création : du vin orange et du blanc de noir ». Cette année reverra également L’ArtHrosé des vieux copains, un rosé lancé avec ses anciens coéquipiers de l’UBB Jean-Baptiste Dubié et Nans Ducuing : « On s’est éclaté ».

© Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins

AU PIED DU CAMION

Côté appellation Bordeaux « le cœur de gamme » côtoie des vins de France : « On n’ira pas forcément sur des vins de garde, même si on a un petit chai d’élevage ». En 2022, les 8 ha en production ont donné 36 000 bouteilles. « Cette année on s’attend à un peu plus de 50 000 bouteilles », évalue-t-il. Depuis quelques mois, les différentes dégustations auxquelles il a participé ont boosté les premières ventes : « au pied du camion comme on dit », s’amuse-t-il à préciser, alors que la commercialisation vient juste d’être lancée. Cette rentrée sera dédiée aux premières prospections. Des cavistes et restaurateurs les suivent déjà. Domaines et Villages qui vendent aux comités d’entreprises leur permet également d’écouler de gros volumes. Les prochains mois seront ainsi consacrés aux démarchages dans des régions ciblées et aux participations à de nombreux salons. Domaine Grand Jour a commencé son petit bonhomme de chemin !

RÉMI LAMERAT EN 10 DATES

1990 : Naissance à Sainte-Foy-la-Grande
2005 : Arrivée au centre de formation de Toulouse
2009 : Rejoint l’équipe première du Stade Toulousain
2011 : Intègre le Castres Olympique
2016 : Arrivée à l’ASM Clermont Auvergne
2017-2019 : BTS viticulture/ œnologie au LEGTA de Beaune
2019 : Signe à l’UBB pour 4 ans
2021 : Achète le château Grand Jour
2022 : Première cuvée du Domaine Grand Jour
2023 : Termine sa carrière à l’UBB et prend définitivement les rênes du domaine

L’ÉVÉNEMENTIEL EN DÉVELOPPEMENT

9 événements sont prévus entre septembre et octobre à l’occasion de la coupe du monde de rugby : « On a seulement répondu aux sollicitations », précise Rémi Lamerat. La plupart sont des visites-dégustations suivies des diffusions des matchs avec restauration et traiteur. « Pour certains événements, les invités repartent avec un magnum et son étiquette personnalisée. » Les entreprises locales se sont investies tout comme la ligue de rugby ou encore des supporters irlandais et gallois : « les gens ont envie de passer du bon temps ici ». Une occasion de redéfinir ses objectifs : « Un lieu familial, un projet agricole cohérent et œnotouristique, mêler le côté convivial du rugby et du vin ». Il souhaite privilégier le teambulding : « je pourrais avoir une réelle compétence », mais aussi proposer une guinguette, des apéros vignerons et pourquoi pas des séjours yoga – bien-être. Deux futures chambres d’hôtes sont d’ailleurs en cours de rénovation dans la propriété.