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Se dégager d’un contrat commercial devenu trop onéreux

TRIBUNE - Dans un contexte économique tendu, la rigidité des contrats commerciaux peut parfois se transformer en un véritable piège pour les entreprises. Alors que le principe juridique « pacta sunt servanda » souligne la sacralité des contrats commerciaux, la réalité des affaires, souvent imprévisible et volatile, pose un défi de taille : comment une entreprise peut-elle se libérer légalement d’un contrat devenu trop lourd à supporter ?

Ingrid DESRUMAUX

Me Ingrid DESRUMAUX © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Les entreprises peuvent se retrouver liées par des contrats commerciaux qui, avec le temps, deviennent économiquement insoutenables. Cet article a pour objectif d’explorer les mécanismes juridiques qui permettent aux entreprises de sortir de ces engagements devenus disproportionnés par rapport à la réalité économique actuelle de l’entreprise.

Nous explorerons les circonstances exceptionnelles pouvant affecter un contrat en cours de validité, en mettant en lumière les solutions juridiques pour en sortir avec la mise en pratique par des exemples concrets.

Les circonstances exceptionnelles

Le terme « circonstances exceptionnelles » regroupe une variété de situations qui n’étaient pas prévisibles au moment de la signature du contrat et qui affectent gravement l’exécution des obligations contractuelles. Ces situations peuvent inclure des pandémies, des catastrophes naturelles, ou des modifications substantielles de la législation.

Pandémies et catastrophes naturelles : La pandémie de Covid-19 est un exemple récent où de nombreux contrats n’ont pu être honorés comme prévu initialement, du fait des restrictions sanitaires ou de la fermeture des frontières. Également, les catastrophes naturelles comme les inondations, les incendies ont perturbé gravement l’exécution des contrats. Dans de telles situations, les parties peuvent être confrontées à des difficultés logistiques, financières et opérationnelles qui n’étaient clairement pas prévisibles au moment de la formation du contrat.

Changements législatifs : Des modifications importantes dans les lois peuvent constituer un obstacle à la réalisation des obligations contractuelles. Pour exemple, l’adoption de nouvelles lois fiscales ou normes environnementales plus strictes ou des restrictions commerciales qui peuvent rendre l’exécution du contrat plus coûteuse voire illégale.

Instabilité : l’instabilité économique de manière générale peut affecter dangereusement le contrat. À ce jour, les opérateurs économiques souffrent de la crise en Ukraine qui a entraîné une crise financière et la hausse des prix, tout comme la crise immobilière qui entraîne une dévaluation des biens.

Les solutions juridiques

Face à ces défis, le droit offre plusieurs outils pour réajuster ces contrats en difficulté.

Cette disposition permet à une partie de demander la renégociation du contrat si des circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat, ont rendu l’exécution de celui-ci particulièrement onéreuse, pour une partie qui n’a pas accepté d’en assumer le risque.

En d’autres termes, cela correspond à des circonstances exceptionnelles qui ont affecté la valeur du marché du contrat.

Les juges se basent sur l’intérêt économique même de l’exécution de l’obligation de l’autre partie et sur la perte pour cette dernière de toute valeur de la contreprestation. Encore faut-il qu’au sein même du contrat cette partie n’ait pas accepté préalablement le risque par exemple en n’incluant pas une clause d’acceptation du risque d’imprévision ayant pour objet d’écarter purement et simplement son application.

Si vous remplissez ces conditions, la loi vous permet de maintenir la continuité du lien contractuel tout en renégociant les conditions initiales.

Cependant, en cas d’échec ou de refus de l’autre partie de négocier, les parties ont alors les possibilités suivantes : soit de résilier le contrat dans des conditions déterminées ensemble, soit de demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat.

Ce mécanisme est à double tranchant car à défaut d’accord dans un délai raisonnable sur les conditions de résolution conventionnelle du contrat, ou sur la saisine conjointe du juge aux fins d’adaptation de l’accord, chaque partie peut saisir le juge pour lui demander soit de réviser le contrat, soit d’y mettre fin.

Le risque est, donc, l’immixtion du juge au sein de la relation contractuelle en cas d’échec de la négociation.

La force majeure a pour vocation d’exonérer la responsabilité contractuelle du débiteur qui se voit dans l’impossibilité d’honorer ses obligations contractuelles du fait d’un événement temporaire ou définitif. Ce mécanisme a deux conséquences. La première est d’assurer la pérennité du contrat par la suspension de celui-ci jusqu’à ce que l’événement rendant le contrat impossible disparaisse. La seconde est de libérer les parties lorsque le contrat ne peut plus survivre aux événements de force majeure.

Cet outil est prévu à l’article 1218 du Code civil et souligne, trois conditions préalables à la reconnaissance de la force majeure : un événement échappant au contrôle du débiteur (i), qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (ii) et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (iii).

Les événements typiquement considérés comme relevant de la force majeure comprennent ceux des circonstances exceptionnelles énumérées précédemment.

Parfois, néanmoins, la force majeure est limitée par une clause contractuelle à certaines circonstances spécifiques empêchant les parties de se dédire du contrat, en dehors de cette limite ; d’où la nécessité de négocier et bien rédiger le contrat en amont afin d’anticiper les risques.

Un soin particulier doit être accordé à la rédaction de certaines clauses contractuelles permettant de gérer l’imprévu.

Négocier en amont permet aux parties de contrôler les modalités de ces clauses (délais, objet, mise en œuvre) mais également les effets (incidence sur le contrat), protégeant ainsi leur engagement contractuel.

Ces clauses peuvent déroger aux dispositions législatives comme pour les clauses de force majeure ou d’imprévision.

D’autres, naissent de l’ingénierie contractuelle et permettent aux parties de tirer conséquences d’un potentiel risque comme la clause dite « MAC » par exemple, ou encore les clauses de hardship obligeant les parties confrontées à un changement de circonstances de renégocier et à défaut, de résoudre le contrat. Le but étant pour les parties d’exclure l’intervention et le pouvoir du juge dans leurs relations contractuelles.

Des exemples concrets

Chacune des circonstances exceptionnelles rendant le contrat trop onéreux doit être appréciée au cas par cas par les juges du fond.

Application de la force majeure en pratique

Pour cause de force majeure, la Cour de cassation a pu retenir que la pandémie liée au Covid-19 a parfois été retenue dans certains contentieux, notamment pour l’annulation de vols. [1]

Application de l’article 1195 du Code civil en pratique

Pour cause de changement de circonstances imprévisible également, les juges du fond ont accordé un report des échéances du loyer, dans un bail commercial, à raison de changements non prévus au contrat ayant rendu l’exécution excessivement onéreuse pour la société. [2]

De même, la Cour de cassation n’hésite pas à sanctionner, sur le fondement de l’obligation de bonne foi, une société ayant refusé de renégocier son contrat de distribution avec son distributeur alors que les circonstances économiques ont changé de manière imprévue. [3]

Afin d’éviter la saisine du juge et son appréciation souveraine de la situation, il convient, en amont, de border la relation contractuelle pour se prémunir contre des crises futures avec une négociation saine et une rédaction minutieuse.

En conclusion, bien que les mécanismes juridiques permettent de réviser ou de rompre des contrats devenus excessivement onéreux, l’objectif ultime doit rester la continuité et la pérennité de la relation commerciale. Si une entreprise a un intérêt significatif à maintenir une collaboration, elle a tout intérêt à s’adapter au contrat sans passer par un juge. Cela peut inclure des facilités de paiement, des ajustements temporaires des conditions contractuelles, ou toute autre mesure qui pourrait alléger le fardeau économique sans rompre le lien commercial. Il est essentiel de comprendre que ce n’est pas parce qu’une entreprise est plus petite financièrement qu’elle doit tout accepter. Elle peut posséder un savoir-faire rare ou des biens précieux qui incitent la partie plus forte financièrement à chercher des solutions pour préserver la collaboration.

 

[1] CA Douai, 5 mars 2020, n° 20/00400

[2] Tcom Évry, 17 janvier 2018 n° 2017F00641

[3] Cass, com, 3 nov. 1992, n° 90-18.547

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