Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Sobriété énergétique : quelles conséquences en entreprise ?

Le gouvernement a présenté le 6 octobre 2022 son plan de sobriété pour faire face à la crise énergétique. Un plan d’action autour de 15 mesures concerne les entreprises.

Elissaveta Petkova, avocate, Bordeaux

Elissaveta Petkova, avocate spécialiste en droit du travail – Barthélémy Avocats - Bordeaux © Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Réduire la consommation d’énergie dans les entreprises répond en réalité à deux objectifs pour ces dernières : faire preuve de citoyenneté et de solidarité par rapport à la crise énergétique potentielle pendant l’hiver ; limiter la hausse de la facture d’électricité à une période où le coût de l’énergie explose, impactant fortement les marges, la rentabilité et les résultats. Une des mesures proposées est la désignation d’un ambassadeur ou référent de la sobriété énergétique.

Aucune précision n’est apportée sur son rôle ou sur ses compétences, mais il pourrait s’agir d’une personne désignée par l’employeur pour faire respecter les différentes mesures qui pourraient être mises en place dans l’entreprise pour promouvoir la sobriété énergétique.

Il est également possible de mettre en place un accord d’intéressement fondé sur la performance énergétique de l’entreprise

LES ÉCOGESTES

Les entreprises sont encouragées à instaurer des règles strictes concernant l’éclairage intérieur ou extérieur des bâtiments et de maintenir des températures minimales et maximales dans les locaux et des bâtiments professionnels.

Comment faire respecter ces préconisations dans l’entreprise ?

Soit l’employeur fera appel uniquement au volontariat et aux bonnes volontés, soit il pourra exiger l’application contraignante de ces règles.

Dans ce cas, il a l’obligation de consulter préalablement le CSE, s’il existe, et formaliser une note de service. Celle-ci pourrait d’ailleurs s’appliquer de manière temporaire et être variable selon les saisons, la température ou la luminosité.

S’il souhaite que ce socle soit réellement contraignant pour les salariés et pouvoir les sanctionner en cas de non-respect, il pourrait même octroyer à ce document la même valeur juridique que le règlement intérieur (pour les entreprises de plus de 50 salariés). Dans ce cas, après consultation du CSE, il aurait l’obligation de l’envoyer à l’Inspection du travail, ainsi qu’au Conseil de Prud’hommes et attendre un mois avant que celui-ci ne puisse s’appliquer.

Si plutôt que de sévir, l’entreprise envisage de générer des comportements positifs en suscitant l’adhésion des salariés, il est également possible de mettre en place un accord d’intéressement fondé sur la performance énergétique de l’entreprise.

L’entreprise pourrait envisager de fermer un bâtiment toute la semaine pour réaliser des économies d’énergie plus importantes

L’accord d’intéressement permet de générer une rémunération variable et différée au profit des salariés en fonction d’indicateurs clairement précisés et dont l’atteinte est aléatoire. Les entreprises sont particulièrement libres dans le choix de la formule de calcul permettant de générer cette rémunération différée à condition de respecter les règles légales et les contraintes posées par l’Administration. La formule de calcul doit être claire et faire appel à des éléments objectivement mesurables (résultat, ratio…) dont la définition doit figurer dans l’accord.

CRITÈRES DE CALCUL DE L’INTÉRESSEMENT LIÉS AU BILAN CARBONE

Les éléments pris en compte doivent aussi assurer le caractère variable et incertain de l’intéressement.

Ainsi, la performance énergétique de l’entreprise et des critères de calcul liés au bilan carbone où les économies d’énergie réalisées peuvent donc être pris en compte dans une formule de calcul d’un intéressement.

Le législateur encourage fortement les entreprises à mettre en place des accords d’intéressement en assouplissant et facilitant de plus en plus les modalités de conclusion de ces accords, permettant même désormais sa mise en place par décision unilatérale. L’inconvénient de l’intéressement consiste dans le fait que la rémunération est différée dans le temps.

PRIMES PRENANT EN COMPTE LES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE

L’employeur pourrait également envisager de verser de manière plus rapide et immédiate des primes dont les critères d’octroi prendront en compte les économies d’énergie réalisées ou le respect des objectifs en termes de performance énergétique qu’il aura fixé. Si cet outil peut être plus motivant pour les salariés de manière immédiate, en revanche il sera entièrement soumis à charges sociales et patronales et le coût pour l’entreprise en sera accru par rapport au dispositif de l’intéressement qui est exonéré de charges sociales et fiscales.

FERMETURE DE BÂTIMENTS

Pour les entreprises disposant de plusieurs bâtiments, elle pourrait envisager la fermeture de bâtiments sur un jour de la semaine pour réaliser des économies d’énergie, en tout cas pendant la saison automnale et hivernale.

Plusieurs options peuvent être envisagées à ce titre :

Le recours au télétravail collectif et simultané un jour par semaine

Cette mesure ne présenterait un intérêt que si elle permet de libérer un bâtiment entier et que tous les salariés travaillent simultanément à leur domicile plutôt que dans l’entreprise. Sous réserve des différentes dispositions qui peuvent déjà être précisées dans les chartes télétravail souvent mises en place dans les entreprises après la période covid, une telle mesure pourrait se heurter à l’opposition individuelle de certains salariés. En effet, pour des salariés qui n’auraient jamais exercé en télétravail ou à qui il sera demandé d’augmenter leur nombre de jours de télétravail hebdomadaire, cela pourrait constituer une modification de leur contrat de travail nécessitant leur accord préalable. Une possibilité pour contourner cette difficulté pourrait consister dans la négociation d’un accord de performance collective avec les partenaires sociaux.

Dans ce cas, les dispositions de l’accord s’imposeraient aux salariés qui ne pourraient pas s’y opposer individuellement. Cependant, si le télétravail est mis en place, le coût de l’énergie serait transféré vers les salariés qui verraient alors augmenter leur propre facture d’électricité.

Une telle mesure collective ne pourrait être envisagée qu’en accompagnant financièrement le recours plus accru au télétravail pour ces salariés et la prise en charge de leurs frais à ce titre.

 

– Une autre solution peut consister dans le passage à la semaine de 4 jours

Une telle organisation pourrait également intéresser les salariés qui seraient en demande pour mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie privée.

Selon quelles modalités les entreprises pourraient-elles la mettre en place ? Si les salariés sont à temps complet, l’employeur pourra parfaitement imposer de manière unilatérale et en respectant un délai de prévenance que le travail soit effectué sur 4 jours plutôt que 5.

Dans ce cas, des salariés qui étaient habitués à avoir une journée de travail de 7 heures en moyenne sur 5 jours devraient travailler 8,75 heures en moyenne sur 4 jours. La modification de leur horaire quotidien et de leur durée quotidienne de travail s’impose à eux sans qu’ils puissent s’y opposer, à moins que leurs horaires de travail n’aient été contractualisés. En revanche, pour des salariés à temps partiel, un avenant à leur contrat de travail sera nécessaire et ils devront adhérer à cette modification qui ne pourra leur être imposée.

 

– Le déménagement dans un seul bâtiment

Enfin, l’entreprise pourrait également envisager de fermer un bâtiment toute la semaine pour réaliser des économies d’énergie plus importantes et regrouper l’ensemble des salariés dans un seul bâtiment alternant du télétravail et du présentiel.

Le simple fait de demander aux salariés de changer de bureau et de bâtiment, s’il s’agit du même site géographique ou d’un site distinct de moins de 30/40 km, ne constituera pas une modification de leur contrat de travail qui nécessite leur accord. En revanche, si ce changement de site s’accompagne d’un recours plus accru au télétravail, il conviendra d’apprécier, encore une fois selon la rédaction de la charte télétravail éventuellement présente et des conditions de travail déjà applicables aux salariés, quelles seraient les conséquences sur leur contrat de travail.

Ces différentes pistes s’offrent aux entreprises souhaitant mettre en place de manière concrète la sobriété énergétique dans l’entreprise. Celles-ci devront néanmoins souvent susciter l’adhésion des salariés et être appliquées de manière collective pour pouvoir produire efficacement des effets.

Publié par