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[ Tribune] Bureaucratie : L’urgence de simplifier

La charge de la bureaucratie oppresse entreprises et citoyens malgré les promesses de simplification. Entre lourdeur administrative et empilement des normes, l’IA et le management peuvent-ils offrir des solutions pour dompter le Léviathan ?

Vincent MAYMO

Vincent MAYMO © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

II y a quelques mois encore, le ministère de l’Économie publiait la position de la France dans le sinistre classement des pays où la charge administrative est la plus lourde. Le pays des Lumières pointait tristement en 114e position. Conscient des limites du modèle, le comité interministériel de la transformation publique se fixait en 2024, sept principes reprenant à grands traits l’héritage du toyotisme pour réduire les délais, la « paperasse », les contrôles et intégrer l’usager dans le service public. On ne pourra que se réjouir de tels engagements mais avec une prudence nécessaire si l’on regarde dans le rétroviseur ce sujet « poil à gratter » des Français. Le sujet est d’ailleurs l’un des seuls à faire l’unanimité chez les Français (88 % selon le rapport Le Maire-Grégoire).

Des coûts insoutenables

Prenons l’exemple récent d’un agriculteur désireux d’introduire des haies. Il verra son projet freiné par un entrelacement administratif quasi insurmontable. Pour être concret, il sera soumis à plus de dix interlocuteurs différents et devra prendre en compte plusieurs codes et normes (environnement, rural, urbain, patrimoine) pour obtenir les autorisations, pour financer, puis pour planter ou entretenir sa haie. Chaque étape de cette modeste ambition se trouve contrainte. Ce qui pourrait passer pour une anomalie ou un cas isolé n’est qu’un des nombreux stigmates du fardeau réglementaire et institutionnel qui pèse à tous les niveaux sur notre société.

Le rapport d’information des sénateurs Devinaz, Moga et Rietmann de 2023 chiffrait ces coûts à près de 3 % du produit intérieur brut (PIB) en se basant sur des chiffres de l’OCDE ou de l’Union européenne. Cette partie visible de l’iceberg représenterait à la louche 10 % du budget de l’État soit presque autant que le budget de l’enseignement scolaire et d’avantage que celui de la défense. Ce pourcentage double si l’on prend en compte les coûts cachés pour les entreprises

Les charges induites

Mais l’addition est encore bien plus salée si l’on prend en compte les charges induites sur l’ensemble des administrés. Le coût supporté par les acteurs de terrain de tous bords, fonctionnaires, associations ou particuliers, apparaît incommensurable. Considérons simplement que chaque Français mobilise en moyenne 10 % de son temps productif, 3,5 heures par semaine en moyenne, à quelques détours administratifs improductifs et voici la dette de la France effacée en une petite décennie et rapidement, avec elle le problème du financement des retraites, de l’éducation et de la défense. Quelle aubaine !

Alors ce chiffre est évidemment à prendre avec force précautions. Il comprend aussi bien le temps consacré à « traduire » des documents bien souvent abscons, qu’à les remplir, à échanger avec les différents services, à assurer la coordination entre les demandes souvent opposées de services bienveillants qui ne disposent eux-mêmes que d’une partie de l’information, à attendre un retour, à relancer pour apprendre qu’un autre dossier doit être constitué, à se décourager comme à reprendre espoir et pour finir verser dans la phobie administrative et l’opportunisme.

L’échec des politiques de simplification

Les énergies se mobilisent pourtant pour pallier un tel handicap porté par notre société comme par notre économie. On pourra souligner les efforts déjà réalisés, comme la charte Marianne ou la bonne volonté des comités successifs dédiés à la simplification dont le député girondin Thomas Cazenave fut un des hérauts. Chaque contributeur s’est vu confronté aux paradoxes de la simplification.

C’est encore ce que qu’a montré le rapport « Rendons des heures aux Français », commandé par Bruno Le Maire et Olivia Grégoire, il y a un an. Car le serpent se mord la queue lorsque de nouvelles règles ou de nouveaux services sont mobilisés pour simplifier l’existant : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », attribue-t-on à Einstein. Alors, comment sortir d’un tel cercle vicieux ?

Sur le terrain on retrouvera des acteurs cherchant à soulager le manque de coordination et les contraintes administratives, quand elles ne sont pas politiques. On pensera naturellement aux assistantes sociales ou aux préfets. Des associations se créent pour aider les particuliers dans leurs démarches administratives ; des conseils se multiplient pour assister les entrepreneurs dans leurs démarches. De telles issues restent des pis-aller et n’enlèvent rien au problème dont le coupable est pourtant bien connu.

Des normes toujours plus complexes

La brutalité des méthodes d’un Elon Musk et de ses ultimatums envoyés massivement du mail de l’Office of Personnel Management n’est évidemment pas la solution. Ni les fonctionnaires, ni les politiques, ni l’Europe, ni les administrés qui demandent chaque jour de nouvelles réglementations ne sont coupables individuellement. Mais le résultat agrégé de leurs actions s’inscrit dans une conjuration contre les libertés avec une charge qui étouffe chaque jour d’avantage notre économie.

En dépit des tentatives de simplification, la production à marche forcée de lois et de normes toujours plus complexes reste le principal obstacle à la simplification : un entrepreneur devrait lire quelque 80 000 pages du Journal officiel et connaître plus de 240 000 articles réglementaires avec un allongement continu de la taille des textes. On comprend mieux que sur le terrain, une multitude de services s’active sans véritable coordination pour interpréter des textes dont la langue fleurie n’est pas celle du quidam.

La production de lois et de normes toujours plus complexes reste le principal obstacle à la simplification

Les promesses de l’IA

Le suspense est insoutenable ami lecteur et le Sisyphe qui réside en chacun de nous aimerait une bouffée d’air. Viendra-t-elle du numérique comme le suggère la Cour des comptes dans son rapport « Mieux suivre et valoriser les gains de productivité de l’État issus du numérique » ? La transformation numérique a laissé imaginer des pistes d’amélioration depuis un quart de siècle avec notamment des projets aux noms évocateurs comme ADELE, France Numérique, État Plateforme ou Action Publique.

En dépit des milliards investis, les résultats ne semblent pas, pour l’heure, au rendez-vous. Un espoir reposerait cependant sur l’IA générative si l’on en croit le rapport 2023 du Boston Consulting Group où les gains associés à l’IA sont évalués à 1 750 milliards de dollars par an à horizon 2033 dans le monde, dont 83 milliards de dollars pour l’administration française. Mais de telles promesses n’enlèvent encore une fois rien au problème fondamental qui est celui de la production sans fin de textes, du recours à des comités, de la stratification des services.

Le management pour démêler le nœud gordien ?

Un Franz Kafka soulignait déjà, il y a un siècle, les limites du modèle bureaucratique. La solution rationnelle-légale défendue par Max Weber était inefficace pour faire face à un monde en mutation. Les règles qu’elle fonde se superposent et avec elles les comités, les réunions, les services, les directions. L’ensemble conduit à des cloisonnements, des systèmes anti-décisionnels, des blocages d’ampleur et une inefficacité institutionnalisée. Alors que l’on prétend simplifier, on multiplie les règles et on rajoute en technicité pour éloigner plus encore l’action de son sens premier : sous couvert d’un principe de précaution, le système aliène. Les théories du management regorgent de solutions qui gagneraient à être entendues par le politique pour changer en profondeur le système étatique.

Le problème du tout bureau pèse autant au niveau social sur le bien-être et les libertés des administrés qu’au niveau économique sur la capacité à créer des richesses suffisantes pour être partagées en restant compétitifs. Adam Smith et David Ricardo invitaient les pays à se spécialiser dans les domaines où ils ont un avantage ; gageons qu’à l’avenir, la France laissera à d’autres la production de règles.

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