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Le télétravail après la crise du Covid-19

La crise sanitaire et les mesures imposées par le Gouvernement pour ralentir la propagation de l’épidémie de COVID-19 ont conduit de nombreux employeurs à instaurer le télétravail dans l’urgence.

Le Code du travail (article L 1222-11) mentionnait toutefois déjà le risque épidémique comme pouvant justifier le recours au télétravail sans l’accord du salarié pour garantir la protection de ce dernier et permettre la continuité et l’activité de l’entreprise. Déjà on observait une « démocratisation » du télétravail depuis 2017 qui peut être mis en œuvre sans formalisme particulier ou encadré par un accord collectif ou une charte. Depuis le
11 mai 2020, date de sortie du confinement, le télétravail devrait demeurer la règle lorsqu’il est possible. Après la crise, l’employeur peut gérer sur le long terme le télétravail selon une pratique régulière ou occasionnelle.

1. MISE EN ŒUVRE DU TÉLÉTRAVAIL
SANS FORMALISME PARTICULIER

Hors circonstances exceptionnelles, le télétravail repose sur la volonté des deux parties. Un salarié ne peut pas travailler hors des locaux de l’entreprise sans l’accord de l’employeur et celui-ci ne peut pas exiger le recours à ce mode d’organisation après l’embauche. Le refus d’un poste de télétravailleur n’est pas un motif de rupture du contrat de travail. Dans tous les cas, le télétravail est une possibilité offerte à l’entreprise, pas une obligation pour l’employeur. En effet, le télétravail ne doit pas nuire à l’entreprise et désorganiser les services. L’employeur peut donc légitimement poser des conditions et limites, même lorsque le télétravail est envisageable. En tout état de cause, les critères d’accès au télétravail doivent être objectifs et justifiés par l’organisation du travail et l’intérêt de l’entreprise. Le télétravail pouvant être mis en œuvre par simple accord entre employeur et salarié, il peut être demandé par tous les salariés et par tout moyen (email, demande orale…). Il est recommandé d’indiquer par courriel les modalités d’exécution du télétravail (cf. infra). Aucun délai de prévenance n’est nécessaire mais il est préférable d’anticiper pour bien organiser le travail. L’employeur peut refuser la demande du salarié mais il doit motiver sa réponse. Il en est de même à l’égard des travailleurs handicapés ou des proches aidants. Le télétravail peut avoir lieu au domicile ou en dehors du domicile.

2. MISE EN ŒUVRE DU TÉLÉTRAVAIL
PAR UN ACCORD COLLECTIF OU UNE CHARTE

L’employeur qui souhaite poser un cadre général au télétravail peut choisir la voie de la négociation (accord collectif) ou la charte unilatérale après avoir consulté et recueilli l’avis du Comité Social et Économique (CSE) sur le projet. Ce document doit a minima définir :

Les conditions de passage en télétravail (en particulier en cas d’épisode de pollution) et de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail (modalités de réversibilité).

Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail et de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail.

Les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

Les modalités d’accès spécifique des travailleurs handicapés au télétravail leur permettant d’accéder à un emploi ou à le conserver

La prise en charge des coûts découlant de l’exercice du télétravail.

3. L’ACCORD NATIONAL INTERPROFESSIONNEL SUR LE TÉLÉTRAVAIL DU 19 JUILLET 2005 éTENDU LE 30 MAI 2006

Cet ANI s’impose à toutes les entreprises relevant des branches d’activité représentées par des organisations signataires (MEDEF, CPME et UPA). Sauf dispositions contraires (accord d’entreprise, d’établissement ou de groupe), il continue de s’appliquer et prime sur le Code du travail lorsqu’il est plus favorable au salarié (par exemple en matière de remboursement de frais engagés au titre du télétravail). Dans les entreprises où il s’applique, l’ANI de 2005 prévoit que l’employeur fournisse par écrit au télétravailleur l’ensemble des informations relatives aux conditions d’exécution du travail, y compris les informations spécifiques à la pratique du télétravail tels que le rattachement hiérarchique, les modalités d’évaluation de la charge de travail, les modalités de compte-rendu et de liaison avec l’entreprise ainsi que celles relatives aux équipements, à leurs règles d’utilisation, à leur coût et aux assurances. Il est recommandé à l’employeur de définir au préalable avec le salarié des règles reprenant les matières contenues dans l’accord collectif ou la charte (conditions de mise en œuvre, plages horaires, restrictions à l’usage des équipements et outils informatiques…). La consultation du CSE est obligatoire dans l’hypothèse où le télétravail est mis en place via une charte. Elle n’est en revanche pas requise en cas d’accord collectif.

4. LE STATUT DU TÉLÉTRAVAILLEUR

Le télétravailleur a les mêmes droits que les salariés qui exercent leur activité dans les locaux de l’entreprise. Il doit bénéficier à l’accès à la formation, aux informations syndicales et aux titres restaurant dans les mêmes conditions que les non-télétravailleurs. Il est soumis à la même réglementation sur la durée et l’organisation du temps de travail.

Temps de travail et de repos

Le télétravailleur relève des règles de droit commun sur la durée du travail (10 h par jour maximum) et les temps de repos. En cas d’horaires collectifs de travail, l’employeur peut rappeler les horaires à respecter. Même s’il n’y est pas en principe tenu, il peut lui être recommandé d’établir un décompte formalisé afin de faire face à un éventuel contentieux. Lorsque les salariés ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur doit décompter la durée du travail dechacun.

Chaque salarié y compris le télétravailleur a un droit à la déconnexion (article L 2247-17)

Il peut être pertinent de rappeler qu’en principe nul n’est tenu de répondre aux sollicitations professionnelles en dehors de ses heures habituelles du travail. Dans le cadre du télétravail, les plages horaires pendant lesquelles les salariés sont joignables, par exemple par le Responsable, ou les clients, sont à définir, si cela n’a pas déjà été fait.

Recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC)

L’employeur peut mettre à profit la période pour évaluer les besoins en formation des salariés aux technologies de l’information et de la communication, en particulier des télétravailleurs et le cas échéant répondre à son obligation d’adaptation envers chaque salarié. Par ailleurs, il est recommandé de rappeler les règles de sécurité informatique au télétravailleur notamment pour protéger les données personnelles traitées par l’entreprise (RGPD).

Actualisation du document unique d’évaluation des risques professionnels et des risques psychosociaux

Le recours régulier au télétravail impose la réactualisation du document d’évaluation des risques pour y intégrer ceux liés à un recours généralisé au télétravail (article R 4121-2 du Code du travail). Parmi ces risques, l’hyperconnexion, l’isolement, les troubles musculo-squelettiques (TMS) doivent être particulièrement soulignés.

Les frais inhérents au télétravail

Aujourd’hui, le Code du travail ne prévoit plus la prise en charge par l’employeur des dépenses liées au télétravail. Les entreprises qui appliquent l’accord national interprofessionnel de 2005 doivent toutefois prendre en charge les coûts directement engendrés par le télétravail, en particulier ceux liés aux communications. Lorsque le télétravail s’exerce à domicile, l’employeur doit fournir, installer et entretenir les équipements nécessaires au télétravail. Si exceptionnellement le télétravailleur utilise son propre équipement, l’employeur doit assurer son adaptation et son entretien (ANI 2005, article 7).

En matière de cotisations et contributions de Sécurité Sociale, le remboursement des frais engagés au titre du télétravail est exonéré dès lors qu’il correspond à des dépenses réelles faisant l’objet de justificatifs. Ces dépenses sont réparties en trois catégories :

Les frais liés à la mise à disposition d’un local privé pour un usage professionnel.

Les frais liés à l’adaptation d’un local spécifique.

Les frais de matériels informatiques, de connexion et de fournitures diverses.

Dans les questions/réponses diffusées par le Ministère du Travail le 9 mai 2020, ce dernier a indiqué que l’employeur n’était pas tenu de verser au salarié une indemnité de télétravail destinées à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si un accord collectif ou une charte le prévoyait. Toutefois, cette précision est contraire à la position diffusée par le Ministère lui-même il y a quelques semaines. Le Ministère du Travail a indiqué qu’il était possible pour le salarié d’utiliser son ordinateur personnel mais sans obligation. En revanche, si l’employeur impose de télétravailler, il doit fournir un ordinateur si le salarié n’en possède pas ou qu’il ne souhaite pas utiliser son ordinateur personnel. Quant à l’avantage en nature que pourrait constituer la mise à disposition d’un ordinateur professionnel, l’administration considère qu’il n’y a pas d’avantage en nature lorsque l’usage privé se limite à une utilisation raisonnable pour les besoins ordinaires de la vie professionnelle et familiale. Depuis une information du 18 décembre 2019, le réseau des URSSAF admet enfin au titre d’une tolérance dénuée d’une valeur juridique opposable que l’employeur puisse rembourser les frais sous la forme d’allocations forfaitaires en franchises de cotisations dans la limite de 10 €/mois pour une journée de télétravail par semaine, 20 €/mois pour deux jours par semaine, 30 €/mois pour trois jours par semaine, etc. sans justificatif.

Entretien annuel

L’employeur doit organiser chaque année un entretien avec le télétravailleur afin notamment d’échanger sur ses conditions d’activité et sa charge de travail.

Priorité sur les postes non télétravaillés

L’employeur est tenu d’informer le télétravailleur de la disponibilité des postes sans télétravail qui correspondent à ses qualifications et compétences professionnelles. Il bénéficie d’une priorité pour occuper ou reprendre ces postes.

Présomption d’accident du travail

L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle (au cours des plages horaires qui y sont consacrées) est présumé être un accident de travail et donne lieu à l’application de la réglementation dans les mêmes conditions que pour un accident survenu dans l’entreprise. C’est à l’employeur qu’il revient de prouver le cas échéant que l’accident a une cause étrangère au travail.

CONCLUSION

Si au début du confinement, les entreprises manifestaient une certaine réticence à adopter le télétravail, elles se sont projetées dans ce mode d’organisation et le bilan est globalement satisfaisant. Il faut souligner que le groupe PSA, qui a déjà conclu en janvier 2020 un accord d’entreprise portant sur la qualité de vie et permettant à ceux qui le souhaitaient de travailler à distance 30 jours par an, a décidé d’accélérer ce mode d’organisation et de faire du télétravail la nouvelle référence en donnant du temps utile aux salariés. Ce projet baptisé « New Era of Agility » (Nouvelle Ère d’Agilité) a déjà été présenté au CSE et sera discuté prochainement avec les organisations syndicales. Il concernerait 80 000 salariés dans le monde… À l’instar de PSA, il y a tout lieu de penser que bon nombre d’entreprises, et notamment pour toutes les fonctions tertiaires, la R & D, les fonctions administratives et commerciales, vont déployer ou pérenniser cette nouvelle organisation pour l’avenir.

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