L’article 6 de la loi dite Badinter du 5 juillet 1985 lie définitivement le sort de la victime par ricochet à celui de la victime immédiate, de sorte que l’incidence d’une éventuelle faute de la victime directe est opposable à celle par ricochet. Une écrasante majorité des accidents de la circulation étant résolue amiablement, un rappel utile s’impose pour permettre d’identifier les proches pouvant être qualifiés de victimes, puis les préjudices pouvant être pris en compte afin de permettre une réparation intégrale.
Quelles victimes ?
Ce sont en pratique les proches entretenant des liens familiaux avec la victime directe (notamment les père et mère, enfant, frère et sœur etc.).
Ce sont également les proches sans lien de parenté avec la victime directe, qui peuvent être reconnus comme étant victimes par ricochet et donc être indemnisés, s’ils démontrent l’existence d’une proximité de vie ou d’un lien d’affection réel avec cette dernière. Il pourra s’agir par exemple de ceux qui partagent une communauté de vie avec la victime, tels que les concubins et conjoints.
Les critères retenus pour permettre l’indemnisation des victimes par ricochet sont ceux exigés en droit commun, soit l’existence d’un préjudice personnel, direct et certain (Cass, 2e Civ. 24.10.2019 n° 23-11.736).
Pour quels postes de préjudices ?
Il y a 20 ans, la nomenclature Dintilhac a fait son entrée sur la scène de la réparation du préjudice corporel, élaborant une liste de préjudices réparables dans l’objectif de clarifier et harmoniser l’indemnisation des victimes. Les contours de ces postes de préjudices ont depuis été définis en substance puis élargis par la jurisprudence, une attention particulière devant être portée à apprécier de manière individualisée chaque situation.
Les préjudices subis par les proches en regard de ceux subis par la victime directe, sont définitivement évalués après la consolidation de cette dernière, en tenant compte de son état séquellaire définitif.
Ces préjudices peuvent revêtir soit une nature patrimoniale soit extrapatrimoniale, selon que le fait dommageable a eu des conséquences d’ordre pécuniaire ou moral.
En cas de survie de la victime directe
Préjudices patrimoniaux :
En cas de survie de la victime directe, la nomenclature Dintilhac vise l’indemnisation des préjudices patrimoniaux sous deux postes :
– Les pertes de revenus des proches : ce poste suppose d’indemniser les pertes de revenus résultant de l’arrêt temporaire ou définitif de travail du proche par ricochet se trouvant empêché en raison du fait dommageable, pour assurer par exemple, un soutien et une présence constante au chevet de la victime directe. La perte de revenus indemnisable pourra alors être constituée par une perte de salaire, de bénéfices, de primes, etc. L’évaluation de cette perte s’effectue in concreto, sur la base notamment, des bulletins de salaire, pièces fiscales et documents comptables antérieurs et postérieurs à l’accident.
– Les frais divers : il pourra s’agir, la liste étant non exhaustive, des frais de transport engagés pour se rendre au chevet du blessé hospitalisé, de frais de rapatriement, d’annulation, d’aménagement ou d’adaptation du véhicule ou logement appartenant au proche pour accueillir le blessé. La jurisprudence a ainsi retenu, pour exemple, la nécessité pour des parents d’installer une rampe d’accès permettant à leur fils accidenté de leur rendre visite en fauteuil roulant (Cass 2e Civ. 05.10.2017, n° 16-22.353).
Préjudices extrapatrimoniaux :
– Le préjudice d’affection : il s’agit du préjudice moral subi par les proches en raison du handicap présenté par la victime survivante et notamment « à la vue de la douleur, de la déchéance et de la souffrance de la victime directe ». Ces conditions étant alternatives, la réparation du préjudice d’affection n’est pas subordonnée à la nature ni l’intensité du handicap de la victime directe et peut intervenir dès lors que les proches ont été témoins des souffrances endurées par cette dernière (en ce sens, Cass. 1re Civ. 11.01.2017 n° 15-16282). Il s’agira des inquiétudes et angoisses face à la gravité des lésions initiales, à l’évolution de l’état de santé du blessé, la difficile confrontation au handicap.
Les préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels :
Ce poste de préjudice exceptionnel a vocation à indemniser tous les bouleversements induits par l’état séquellaire de la victime dans les conditions de vie de ses proches. Il vise des composantes distinctes, qui permettent de moduler le montant de l’indemnisation correspondante. Cela vise la perte de qualité de vie durant la période d’hospitalisation de la victime directe (visites régulières, absence du proche au foyer, privation des activités habituelles). Puis lors du retour au domicile, l’accompagnement aux déplacements du blessé, l’abandon d’activités habituelles antérieures d’ordre familiales ou culturelles etc.
La Cour de cassation a récemment clarifié les contours de ce poste, en reconnaissant le droit pour les proches d’une victime atteinte d’un grave handicap d’être indemnisés des changements dans leurs conditions d’existence et notamment l’hébergement provisoire de la victime par un proche, tout en précisant que ce poste ne se confond pas avec l’indemnisation de l’assistance par tierce personne accordée à la victime directe. (Cass 2e Civ. 10.10.2024 n° 23-11.736).
Le préjudice sexuel subi par le conjoint ou concubin est également inclus dans ce poste de préjudice et susceptible d’être indemnisé, lorsque les conséquences de l’accident viennent retentir dans le cadre de la sphère intime (par exemple, en cas de perte de libido de la victime directe).
En cas de décès de la victime directe
Ici, ne sera pas abordée l’action successorale exercée par les héritiers en qualité d’ayants droit de la victime directe, pour faire entrer dans le patrimoine successoral l’indemnisation des préjudices subis par le défunt jusqu’au décès.
Comme en cas de survie de la victime directe, la nomenclature distingue en cas de décès de la victime directe, les préjudices patrimoniaux des préjudices extrapatrimoniaux.
Préjudices patrimoniaux :
– Frais d’obsèques : il s’agit des frais funéraires, frais de transport du défunt, frais de réception engagés lors des funérailles.
– Pertes de revenus « en numéraire » : En effet, le décès du parent fait naître pour le conjoint survivant et les enfants une perte de revenus dont l’évaluation se fait in concreto. Il convient alors de rechercher puis d’évaluer la perte annuelle pour les survivants, à la répartir entre eux en fonction de la durée pendant laquelle ils pouvaient y prétendre, à laquelle on retranche ce que le défunt dépensait pour son propre compte. Sont pris en compte dans le calcul de ce préjudice économique, pour la période antérieure à la date théorique de retraite, les salaires, voire certaines prestations sociales et pour la période postérieure, la pension de retraite qu’aurait perçue la victime directe (Cass. Civ. 1re, 8.04.2021 n° 19-23778).
– Pertes de revenus « en industrie » : Ce préjudice correspond aux frais liés à la cessation des services en nature qui étaient assurés par le conjoint décédé. Il s’agira, par exemple, de l’aide pour les tâches domestiques, l’aide aux documents administratifs, la garde des enfants, l’entretien du jardin, etc. Les dépenses supplémentaires engendrées par la perte d’industrie qu’apportait le de cujus au foyer s’évaluent selon une méthode comparable à celle de la tierce personne pour la victime directe.
Préjudices extrapatrimoniaux :
– Préjudice d’accompagnement de fin de vie : l’indemnisation de ce poste de préjudice suppose d’avoir participé à l’accompagnement physique ou moral du défunt entre l’annonce des lésions et ce jusqu’au décès.
– Préjudice d’affection : il s’agit du préjudice moral subi du fait du décès de la victime directe. Il doit être bien distingué du retentissement pathologique avéré qui donne lieu à une indemnisation distincte (cf. supra).
Ne pas négliger la procédure d’offre d’indemnisation de l’assureur
L’inflation actuelle invite à ne pas négliger de formuler le plus tôt possible une demande d’indemnisation dans l’intérêt des victimes par ricochet à l’issue de la consolidation connue de la victime directe, pour provoquer une offre de la part du régleur.
À défaut d’une telle offre, la sanction consiste, en matière d’accident de la circulation, en la mise en œuvre des articles L.221-9, L.211-3 et suivants du Code des assurances, à savoir le doublement des intérêts légaux à l’expiration du délai de trois mois faisant suite à la demande d’indemnisation.
Indemnisation de l’invalidité réactionnelle dans l’hypothèse du « deuil pathologique »
Dans certaines hypothèses, les préjudices subis par les proches d’une victime peuvent être de deux ordres, les uns subis dans leur propre corps, constatés lors de l’expertise, les autres résultant du rapport à l’autre, au titre du préjudice d’affection. Le principe de réparation intégrale implique que les préjudices résultant de l’atteinte à l’intégrité physique et le préjudice d’affection soient alors cumulativement indemnisés.
Le terme de « deuil » est ici employé pour évoquer la souffrance psychique des victimes par ricochet, cela parfois y compris en cas de survie de la victime directe. Ainsi, le retentissement pathologique constitué chez le proche par un syndrome dépressif post-traumatique est alors lui-même une maladie traumatique évaluée au moyen d’une expertise médicale imposant le recours à un examen réalisé par un psychiatre.
La technique d’indemnisation est alors celle employée pour toute victime directe, c’est-à-dire la déclinaison des différents postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Chaque situation étant unique, une appréciation individualisée et précise est indispensable, avec le concours d’un avocat praticien du dommage corporel.