Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Vignoble : Bordeaux trinque !

Le monde viticole fait partie des secteurs très impactés par la crise économique. Récolte précoce, attente des aides gouvernementales et travail sur l’image du vignoble… Bernard Farges, président du CIVB, aborde toutes ces questions d’actualité.

© D. R.

Bernard Farges, président du CIVB

Bernard Farges,
président du CIVB © G BONNAUD

Echos Judiciaires Girondins : Quelle est l’humeur générale dans les vignobles ?

Bernard Farges : « Elle est à la récolte et la vinification car c’est le moment clé de l’année pour les viticulteurs. Tout le monde est très concentré, c’est un travail intense. »

 

EJG : Comment se passent les vendanges ?

B.F. : « Elles sont très précoces, dans un contexte sanitaire très prégnant. Pour les entreprises, ce sont des protocoles inédits, compliqués. Dans les vignes ou dans les chais, on a eu quelques cas Covid positifs, ou cas contacts… Heureusement, cette année, il n’y a pas eu de pénurie de main-d’œuvre ; les vendanges étant précoces, les étudiants étaient disponibles, et on avait en plus des personnes au chômage partiel. »

 

EJG : Comment s’annoncent ce nouveau millésime et cette récolte ?

B.F. : « C’est une jolie récolte, du beau raisin, mais dans des conditions inédites, avec des températures très élevées. Une récolte qui ne sera pas très importante, des quantités hétérogènes et parfois très faibles en raison d’une forte concentration de sécheresse, et de journées de très grosse chaleur en pleines vendanges. Des parcelles ont vu leurs volumes considérablement réduire en quelques jours ! Mais je ne pourrai me prononcer sur le volume, on se trompe toujours. Ce qui est sûr c’est que ce ne sera pas une grosse récolte. »

Ce sera une petite récolte après des vendanges très précoces

EJG : Cette année s’annonce compliquée sur le plan économique…

B.F. : « Oui l’humeur est à l’inquiétude. Il n’y aura pas de reprise du commerce s’il n’y a pas de reprise économique. C’était déjà difficile quand l’économie allait à peu près bien, alors maintenant… C’est d’autant plus difficile, qu’on est tous interconnectés. Quand on voit la situation des restaurants qui vendent peu de vins, de l’événementiel totalement sinistré, du tourisme plutôt en bonne santé cet été mais en berne dès début septembre. Toute l’économie est dans l’expectative. La confiance est un moteur mais ce moteur n’y est pas du tout. Certains sont inquiets, d’autres dans l’angoisse. Les entreprises viticoles souffrent. Elles souffraient déjà avant le Covid ; on avait un marché en forte diminution dans un contexte international difficile : la Chine importe beaucoup moins, en particulier des vins européens qui sont taxés contrairement aux chiliens et aux australiens, des mouvement sociaux à Hong Kong, le Brexit, pas encore pénalisant mais on est dans l’incertitude, et la taxe Trump aux États-Unis. Ça c’était le 18 octobre 2019, ça nous paraît maintenant le monde d’avant. »

 

EJG : Qu’en est-il des aides gouvernementales ?

B.F. : « On n’a aucun soutien, aucune compensation de l’État français. Pas le début d’une réponse après en avoir parlé au Président de la République, aux ministres successifs. Nous demandons des exonérations de charge, on n’a toujours rien. On nous dit que les aides versées couvrent tout. Pour la filière viticole, toute entière, c’est 250 millions d’euros. Sur cette somme, 125 millions étaient déjà budgétisés par l’Europe pour la viticulture. On nous a donc alloué 125 millions d’euros. Alors 125 millions à une filière qui fait 600 000 emplois et 12 milliards d’euros d’excédent commercial chaque année, comparés aux quelques milliards pour l’aéronautique et l’automobile, ça me semble insuffisant, surprenant et inacceptable. On nous parle du plan de relance, mais nous on attend des soutiens. Mais la filière viticole française et bordelaise souffrent beaucoup. Il y avait un redémarrage de l’année 2020 encourageant, on l’avait souligné en mars, on trouvait que ce n’était pas suffisant, mais on ne s’attendait pas à ce que ça retombe comme ça. La crise Covid a vraiment été un choc. Entre avril et mai, certaines entreprises ont enregistré un recul de 70 à 80 % de leur activité commerciale. Ça ne redémarre vraiment pas vite. Les entreprises sont dans la difficulté, les PGE masquent tout ça pour partie, donc il est évident qu’il faudra allonger la durée d’amortissement de ces prêts. Sinon les entreprises ne pourront pas supporter les 20 % d’amortissement sur 5 ans. Ça va être un vrai débat, global, mais c’était indispensable, comme le chômage partiel. »

125 millions d’aides de l’état comparés aux quelques milliards pour l’aéronautique et l’automobile, ça me semble insuffisant et inacceptable

vin vignoble bordeaux

EJG : Vous avez beaucoup communiqué sur la démarche environnementale, le passage des surfaces de 35 à 65 % en 5 ans, la démarche RSE avec l’engagement des entreprises girondines, la diminution des produits phytopharmaceutiques, c’est toujours autant d’actualité aujourd’hui ?

B.F. : « Ce sont des sujets auxquels on croit car on considère qu’ils font sens pour nos consommateurs et nos clients. Cette nécessité de présenter nos produits avec une création artisanale, avec des personnalités derrière ces vins, qu’on n’a peut-être pas assez mis en avant ces dernières années est importante. Cette idée que ces vins sont produits sur un territoire, qu’ils sont non délocalisables, qu’ils font vivre ce territoire, des entreprises, des familles, via des investissements, de la recherche, qu’il y a un écosystème autour de lui, ça peut faire sens. Encore faut-il qu’on l’exprime, qu’on le montre, qu’on l’améliore. En terme environnemental, le virage a été pris, certains l’ont pris très vite, d’autres moins. Nous on doit y amener le maximum de monde. Concernant l’utilisation de produits phyto, chaque fois qu’on utilise davantage de produits bio, comme le souffre et le cuivre, c’est au détriment des produits de synthèse. Un autre défi, c’est le changement climatique, vendanger au 24 août ce n’est pas idéal. Il faut aussi travailler pour que le vin ne change pas, sinon ça va arriver, ça ne ressemblera plus à un vin de Bordeaux, il sera beaucoup plus alcoolisé, moins facile à boire. Donc il faut qu’on modifie les pratiques, les cépages, pour revenir à des dates de récolte plus tardives, qu’on travaille pour avoir des vins plus souples, plus fruités, plus en adéquation avec le goût des consommateurs d’aujourd’hui. les démarches RSE et environnementale pour être plus proches de nos prescripteurs, de la presse, des cavistes, des restaurants, de la grande distribution, en ciblant des actions grand public. »

 

EJG : Vous vous attaquez aussi à l’image des vins de Bordeaux, trop marquée tradition, héritage et cherté…

B.F. : « On se rend compte que certaines grandes régions viticoles véhiculent une image des professionnels et des vignerons plus que nous. Nous, on a nos paysages et nos châteaux, et aussi des gens sympas. On ne revendique pas de l’être plus que les autres, mais pas moins non plus. C’est un vrai besoin au moment où l’on va sur moins de consommation de vin, même s’il y a une mode des bars à vin, si prendre un verre de vin en terrasse, c’est élégant. Le public se renouvelle, attend autre chose, boit des vins différents et différemment, achète sur Internet, et une bouteille qui sera achetée pour être bue rapidement. C’est une adaptation rapide à avoir, et Bordeaux a les atouts pour le faire mais c’est une période difficile à traverser, pour quelques mois encore. »

Bordeaux a des atouts mais c’est une période difficile à traverser pour quelques mois encore

EJG : Pour changer cette image, vous misez sur des ambassadeurs…

B.F. : « Parmi les sujets que l’on a travaillés pendant le confinement, il y a « Pensons local, vivons Bordeaux ». Cette campagne est due à un rapprochement avec l’UMIH et les acteurs institutionnels pour promouvoir le local. Depuis quelques années nous constatons une présence pas assez affirmée des vins de Bordeaux tant chez les restaurateurs, que chez les cavistes ou dans les bars à vins. On les fait venir dans le vignoble et ils se prennent une claque à chaque fois, ils n’imaginent pas que ce qui les fait rêver dans une autre région existe à une demi-heure de chez eux. Ici aussi il y a des gens sympas et décalés, des vins bio, et même plus qu’ailleurs, encore faut-il que ce soit porté, perçu. C’est un mouvement pour fédérer le plus grand nombre d’acteurs de la région : restaurateurs, tourisme, gastronomie, et créer une dynamique positive. Ce mouvement est porté par des ambassadeurs locaux comme Joël Dupuch, des vignerons. Il faut une démarche positive et locale. »

 

EJG : Comment vous adaptez-vous aux annulations successives : les primeurs, Vinexpo…

B.F. :« Wine Paris a été une bonne opération, la fusion des deux entités est une bonne nouvelle, même si par ailleurs, on a des annulations en série : Hong Kong, Shangai, et dernièrement World Bulk Wine Exhibition à Amsterdam. Quant aux primeurs, les professionnels soulignent la réussite de cette campagne. Elle était annoncée comme cataclysmique et pas du tout ! Ils ont du mérite : ceux qui l’ont imaginée, ceux qui ont donné des impulsions, derrière ça a donné un courant. Le volume et le nombre de propriétés n’étaient pas immenses, mais ce n’était pas catastrophique et surtout ça a fonctionné avec des clients qui sont revenus, certains qui avaient délaissé ce marché et qui ont fait ce chemin vers un très beau millésime. Ça fait partie des bonnes nouvelles. Il y en a eu quelques-unes quand même : le début de campagne, la tournée Saint-Vincent avec 1 300 vignerons qui se sont déplacés partout en France, les primeurs, et la qualité de la récolte sur laquelle nous sommes plutôt confiants. »

Dans le vignoble bordelais, il y a aussi des gens sympas, décalés, des vins bio, et même plus qu’ailleurs !


La Région donne 5 millions aux entreprises viticoles

Dans un contexte de commercialisation difficile, aggravé par la pandémie Covid-19, la Région Nouvelle-Aquitaine a souhaité soutenir les entreprises viticoles en affectant une enveloppe de 5 millions d’euros sur 3 ans pour mettre en œuvre un plan de relance, en adéquation avec son ambition environnementale liée à Néo Terra et le programme VitiREV. Ce plan comprend 2 volets : 4 millions d’euros d’aide à la commercialisation des vins sous certification environnementale et 1 million pour consolider les structures durables de la filière. Il s’agit ainsi d’accompagner techniquement les viticulteurs dans et après leur conversion à l’agriculture biologique. Un appel à projets spécifiques sur la commercialisation, clôturé le 30 septembre concernant une première enveloppe de 750 000 €, est en cours d’instruction. D’autres suivront en 2021 et/ou 2022. La Région a également investi 250 000 € dans un stand collectif pour soutenir les entreprises souhaitant participer à Prowein et Wine Paris – Vinexpo.

 

 
Image par Jill Wellington de Pixabay

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