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Vins de Bordeaux : Recrutement, un marché dynamique

À l’instar d’autres secteurs économiques, le monde du vin profite de la croissance économique. C’est ce que nous révèle Jérémy Sarthou, dirigeant fondateur du cabinet bordelais Sarthou & Associés qui a publié dernièrement deux études sur la rémunération des cadres et leurs motivations à s’engager dans ce secteur viti-vinicole toujours attractif en France et en particulier en Gironde.

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Jérémy Sarthou, dirigeant fondateur du cabinet bordelais Sarthou & Associés © Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Echos Judiciaires Girondins : En tant que dirigeant du cabinet de recrutement Sarthou & Associés, vous avez produit deux études, dans quel cadre ?

Jérémy Sarthou : « On a fait 2 études, la première il y a 2 ans, juste après le Covid. On a identifié 10 postes, et appelé 1 000 personnes, on a fait parler les chiffres, on a appelé tous les conseils : le CIVB, et les organismes équivalents en Bourgogne, en Alsace, et on a fait la moyenne. Il ressortait qu’après un premier trimestre gelé, nous assistions à une légère reprise à la rentrée 2020 et que les entreprises s’adaptent aux nouvelles clientèles et secteurs de distribution. Notre nouvelle étude, sortie à l’automne 2021, s’intéresse aux motivations des collaborateurs. On a fait une enquête avec 2 pools de candidats à interroger pour connaître leurs attentes après le Covid : plus de télétravail, être plus près de leur famille, avoir plus de sens, tout un tas de choses. Ensuite on a interrogé un pool de dirigeants pour voir ce que eux étaient prêts à consentir. »

 

EJG : Dans votre étude de rémunération, il ressort que les cadres du secteur du vin sont majoritairement des hommes…

Jérémy Sarthou : « Ça se féminise beaucoup, mais tout dépend des secteurs.

On a des postes en marketing qui sont très féminins. Sur les postes de commerciaux, la parité commence à être très nette, sur des postes de commerciaux exports en particulier. Sur les postes de direction export, c’est encore très masculin. Tout comme les postes de direction générale. Ces postes de commerciaux exports sont très valorisés et débouchent souvent sur les postes de direction, export ou générale. On le voit beaucoup à Bordeaux, en Champagne. Donc la parité va s’installer. »

 

EJG : Y a-t-il beaucoup d’échanges d’une région à l’autre ?

Jérémy Sarthou : « Oui, on a des Champenois, des Bourguignons qui viennent à Bordeaux, ou à Paris, des Cognaçais à Bordeaux. Il y a des régions où l’attractivité est plus compliquée, comme l’Alsace ou la Bourgogne. En Champagne, c’est finalement assez facile car vous êtes à 45 minutes de la capitale, donc on place beaucoup de candidats basés à Paris. On a aussi de plus en plus de sociétés bordelaises ou bourguignonnes qui vont nous demander de placer un candidat à l’étranger : aux États-Unis, en Asie, de manière à être plus proche des marchés. Pendant le Covid, quand ils ont fermé les frontières, ça permettait de poursuivre le travail de prospection. On a aussi des boîtes d’autres régions qui investissent dans une boite de négoce et qui demandent des candidats hors Bordeaux. Et en parallèle, d’autres boîtes extérieures veulent des profils bordelais parce qu’ils ont une bonne connaissance du marché asiatique. Historiquement, Bordeaux vend des vins de Bordeaux. Sur 350 négociants, la compétition monte. Ils élargissent leur portefeuille avec de très grands vins étrangers qui arrivent sur la place de Bordeaux avec des bureaux de représentation, qui veulent que leurs vins ou spiritueux soient distribués par la place de Bordeaux. C’est très nouveau aussi. Pendant un temps, on disait que le négoce était mort, que les propriétaires voulaient vendre en direct. Mais ces grands propriétaires, qui font la tournée des négociants, après ils viennent nous voir pour nous demander de leur trouver un directeur commercial pour représenter leur vin auprès du négoce bordelais. Ils veulent un bureau de représentation. C’est un phénomène qui s’est accéléré après le Covid. »

 

EJG : Quelle est l’image du vignoble bordelais ?

Jérémy Sarthou : « Le Bordeaux bashing, c’est très franco-français, et très ciblé dans d’autres régions viticoles ou à Paris aussi, mais c’est surtout très bobo. Moi je fais tous les salons internationaux, en Chine, en Allemagne, aux États-Unis, je peux vous dire que Bordeaux a une très belle image. On progresse, et les autres aussi. On fait du très bon vin ailleurs, dans tous les pays du monde. Bordeaux conserve une très bonne image, mais il y a une forte compétition. Les niveaux des vins montent, la différence se fait sur la distribution. »

On voit arriver tous les jours des candidatures de cadres basés à Shanghaï ou à Hong Kong, qui en ont marre de la politique 0 cas Covid et qui veulent rentrer en France.

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EJG : Comment se porte le milieu bordelais, est-il dynamique, optimiste ?

Jérémy Sarthou : « C’est très dynamique, pour parler franchement avec un certain nombre de maisons. Mais nous, on est très sensibles à l’environnement macro-économique, dès qu’il y a un problème sur le marché, ça cristallise et on sent le doute s’installer. Et si vous avez peur, vous n’appuyez pas sur le bouton du recrutement.

On le sent tout de suite à l’activité. Depuis 3 ans, il faut avoir les reins solides. En ce moment, il y a la croissance, les gens consomment. Le business a vraiment repris, comme dans les autres industries. Mais le prix de la logistique, comme celui des matières premières ont explosé. L’industrie est très impactée. Après il y a les problèmes liés à l’environnement. À un moment donné, il va peut-être y avoir moins de vin, ça va être un problème auquel il faut se préparer. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les régions, et il y a une demande mondiale qui est forte : les marchés US avec la suppression de la taxe Trump, les marchés européens marchent très bien, l’Asie ça fonctionne bien, on arrive à envoyer du vin. Mais en Chine comme à Hong Kong, on est toujours dans une politique de 0 cas, ça inquiète les sociétés bordelaises qui ont des cadres en Asie, et on voit arriver tous les jours des candidatures de gens qui sont là-bas depuis 5, 6, 7 ans et qui veulent revenir à Bordeaux, en Champagne, en Bourgogne, des gros cadres qui en ont marre. C’est très dur ce qu’ils vivent. Ce n’est pas toute l’Asie, c’est très ciblé : Shanghaï et Hong Kong. Pourtant c’est le point d’entrée du vin mondial, donc il y a toujours du business, mais c’est compliqué. »

Les recrutements vont s’accélérer car les entreprises veulent des cadres prêts pour la rentrée

EJG : Le Covid a-t-il eu un fort impact sur le recrutement ?

Jérémy Sarthou : « Énorme ! Les recrutements ont été gelés, même si on a quand même fait quelques gros recrutements : départs en retraite, maladie, etc. mais au lieu d’en faire 10, on en a fait 2. Depuis, c’est reparti en fonction des annonces, progressivement l’été dernier, avec une très nette reprise fin d’année 2021. Ça s’est calmé avec la guerre en Ukraine et là ça repart. Le recrutement, c’est assez cyclique. Les budgets ont été faits en octobre, jusqu’à mi-juillet, les recrutements vont s’accélérer parce que les entreprises veulent des cadres prêts pour la rentrée. »

 

EJG : La montée en puissance du bio a-t-elle aussi un impact sur votre activité ?

Jérémy Sarthou : « Oui et non… Là par exemple, sur un poste de chef de culture en Bourgogne, on nous demande une personne avec une forte sensibilité au bio. On le rajoute dans le brief client, mais ça n’a pas un impact énorme. C’est le candidat qui s’adapte au besoin du client. Si le client dit « on est en conversion bio », on va trouver des candidats qui ont une sensibilité, mais ce n’est pas un frein, vous pouvez avoir travaillé dans une propriété pas du tout bio et postuler pour faire cette conversion dans votre job. »

 

EJG : Quelles sont les formations les plus demandées ?

Jérémy Sarthou : « Les WSET (Wine & Spirit Education Trust, NDLR.) niveaux 1, 2, 3, 4 sont très en vogue. Il y a aussi les masters, de Kedge et l’Inseec à Bordeaux, à Dijon aussi… on a beaucoup de candidatures. Le vin est vraiment un secteur hyper attractif, on a des profils qui ne sont pas du tout de ce milieu et qui veulent venir travailler dans le vin. Des gens qui viennent du secteur du luxe ou de l’agro-alimentaire. »

 

EJG : Comment trouvez-vous vos candidats ?

Jérémy Sarthou : « On a un gros réseau, une grosse base de données. En tant que cabinet de recrutement spécialisé dans le vin, on reçoit spontanément 5 000 candidatures par an. On a ce vivier de candidats très important, et on utilise notre réseau et le réseau de notre réseau. On va aussi utiliser les différents jobboards : Linkedin, Cadremploi, l’Apec… On peut faire de la chasse pure et dure, approcher des candidats dans les entreprises. »

 

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EJG : Comment développez-vous votre réseau ?

Jérémy Sarthou : « Déjà en étant très présents sur les différents salons, sur internet, les réseaux, le téléphone : on prospecte, on se déplace très régulièrement. Le réseau se fait dans les deux sens : on est aussi très sollicités. C’est un job passionnant. On découvre des histoires différentes à chaque fois, et parfois atypiques. Peu de recrutements passent par les cabinets, la grande majorité se fait via Linkedin, Cadremploi, Apec, Vitijob, ou par réseau. Quand vous faites appel à un cabinet de chasse, c’est que le job est très difficile à pourvoir. C’est chronophage le recrutement, il faut trouver les candidats, les rencontrer, les relancer… les candidats, il y en a partout, mais les bons candidats, il y en a tout de suite un peu moins. On a un énorme rôle de conseil. On a beaucoup moins de postes que de candidats, donc on a ce rôle vraiment primordial de conseil, et il ne faut pas se planter. On a aussi le rôle de conseil en organisation : par exemple on va conseiller des boîtes en hypercroissance sur leur organisation, notre force c’est d’avoir un benchmark de boîtes dans différents domaines et secteurs, on sait ce qui fonctionne globalement. »

 

EJG : Vous intervenez sur un secteur très spécifique ?

Jérémy Sarthou : « On recrute sur tous les types de postes, par capillarité, quand vous placez un DG, il va vous rappeler le jour où il recherchera son responsable œnologique ou son acheteur. Mais on est principalement sollicités sur les postes de direction, de responsable, de commerciaux, direction technique, contrôleur de gestion, DAF, secrétaire général… On a des clients plutôt premium mais aussi des petites propriétés sur des fonctions difficiles à trouver. Le recrutement ça coûte cher, mais on peut tout de même être appelés. On est flexibles. »

 

EJG : La rémunération est-elle toujours le principal argument ?

Jérémy Sarthou : « Pas que, mais forcément c’est un gros argument. On a constaté après le Covid que l’argent passe après la recherche de sens. Mais ça reste dans le top 3 ! Ce qui prime, c’est le bien-être au boulot, la proximité avec son domicile, sa famille, ses amis, on le constate de plus en plus. Or on voit que pour les jeunes générations, c’est primordial, comme les questions environnementales. »

 

Les cadres dans le secteur du vin

73,3 % d’hommes

26,7 % de femmes

19,4 % Directeur Commercial 18,3 % Directeur Expert

16,7 % Responsable Commercial 12,6 % Directeur Général

9,4 % Responsable Export 8,2 % Directeur Marketing 7,4 % Directeur Financier 4 % Cave Technique

2,4 % Directeur Ressources Humaines 1,6 % Responsable Œnologue

 

Répartition des entreprises du secteur en fonction du chiffre d’affaires

40,1 % CA – 10 millions

22,6 % CA 10 à 50 millions

14,1 % CA 50 à 100 millions

23,2 % CA + 100 millions

 

Rémunérations

71 % des cadres se disent satisfaits de leur rémunération

Rémunérations brutes annuelles fixes :

33,2 % 50K €

39 % 50 à 80 K €

15,8 % 80 à 110 K €

12 % + 110 K €

(D’après l’étude de rémunération 2020-2021 menée par le Cabinet Sarthou & Associés)

 

JÉRÉMY SARTHOU EN BREF

Après une première expérience chez le caviste Nicolas à Londres, puis dans le commerce pour PSA, Jérémy Sarthou, fils d’un négociant bordelais, a finalement été chargé fin 2018 de piloter le pôle vin d’un bureau de recrutement. Après 2 années, il décide de lancer son propre cabinet de recrutement : Sarthou & Associés, « la même chose mais en mieux » ! Son équipe compte aujourd’hui 6 personnes. Des consultants qui assurent la relation commerciale avec les clients, et les chargés de recrutement qui s’occupent de l’approche des candidats. « Les postes pour lesquels on est sollicités, ce sont des postes qui ont un impact très fort sur le business (direction générale, direction export, responsable export…). »

 

LA FILIÈRE VITI-VINICOLE EN CHIFFRES

Plus grand vignoble de France avec 115 000 ha, le Bordelais compte 3 600 exploitations viticoles et 45 500 salariés, soit 17 650 emplois à temps plein.

Au cours de l’année 2021, près de 52 000 embauches ont été réalisées.

9 embauches sur 10 se font sur un CDD de moins d’un mois, et septembre concentre un quart de ces recrutements. Les embauches dans les activités de commerce, entreposage, emballage de bois concernent davantage les emplois longs : 36 % de CDI.

En 2021, Pôle Emploi a enregistré 3 800 offres liées à la viti-viniculture à temps complet, dont plus de la moitié en CDD. Fin décembre, 6 150 demandeurs d’emploi recherchent un travail dans ce secteur, dont 90 % dans la viticulture.

(source Pôle Emploi)