« Il est difficile de dater l’apparition du sémillon dans le Bordelais, mais nous savons que c’est un cépage autochtone. Il est d’ailleurs certainement l’unique cépage, vins blancs et vins rouges confondus, originaire du Bordelais », assure Louis Bordenave, ingénieur spécialiste des cépages du Bordelais, auprès de l’institut des sciences de la vigne et du vin de l’INRA (Institut national de recherche agronomique).
Petite histoire du sémillon
Les premières productions de vins issus du sémillon remontent au XVIIe siècle dans la région bordelaise. À cette époque, les vins liquoreux commencent à s’imposer sur le marché, notamment le sémillon du vignoble de Sauternes.
Mais la crise du phylloxéra à la fin du XIXe siècle décime le sémillon tout autant que l’autre cépage blanc du secteur, le sauvignon. Le sémillon est alors privilégié et connaît un pic de plantation avec 30 000 ha soit 80 % de l’encépagement blanc à Bordeaux.
Depuis le sémillon a perdu plus de la moitié de ses surfaces. La France conserve néanmoins la moitié de la production mondiale.
La France conserve la moitié de la production mondiale
Liquoreux… et secs !
Le sémillon est un cépage dont la réputation s’est clairement établie autour des grands vins liquoreux de Bordeaux. Il est aussi très présent, et pour la même raison, dans le Bergeracois, à Monbazillac en particulier. Il rentre aussi dans l’élaboration du pineau des Charentes.
À ce jour on le retrouve dans une moindre mesure (cependant grandissante) dans l’élaboration de vins blancs secs. À Bordeaux il participe à la rondeur et à la complexité des vins de Graves et notamment ceux des crus classés de Graves. Le Château Carbonnieux réalise depuis peu une cuvée 1741, uniquement issue de vieilles vignes de sémillon, fait rarissime à Bordeaux, qui se définit selon le domaine comme un vin blanc de gastronomie, « capable de rivaliser avec les grands chardonnays » selon leur propriétaire, la famille Perrin.
L’ouest de la Provence le convoque aussi comme cépage accessoire mais il pèse là moins de 10 % des assemblages.
Le sémillon se caractérise par sa peau fine, ce qui lui donne une grande propension à être affecté par un champignon, le Botrytis cinerea, plus communément appelé pourriture noble.
Goût de « rôti »
Récolter les raisins parfaitement atteints par le botrytis implique de nombreux passages dans les vignes afin de récolter chaque grappe à un stade optimal d’infection pour obtenir la propriété sucrée attendue et ce fameux goût de « rôti ».
Il vous faut un jour goûter à une Tête de Cuvée du Château Gilette. Ce micro-domaine est détenu par la famille Médeville (aussi propriétaire du Château les Justices à Sauternes et des champagnes Gonet-Médeville). Depuis 1930, on y élabore des vins uniques, issus d’une conservation pendant quinze ou vingt ans en cuves béton, qui permet ainsi un lent vieillissement naturel sans interférence externe. Le plus récent flacon issu du château est du millésime 1999 !
Les cépages utilisés sont essentiellement le sémillon avec quelques vignes de muscadelle et de sauvignon, la dernière plantation remontant aux années 1930.
Il offre de jolies notes d’épices et de fruits, évoquant l’écorce d’agrume, l’orange amère, dans une étonnante jeunesse. C’est selon le domaine, le plus fruité des grands sauternes.
Un peu loin sur les terres de Monbazillac, Christian Roche produit, au Domaine de l’Ancienne Cure, toute une gamme de vins moelleux ou liquoreux et notamment la cuvée l’Abbaye dont la réputation dépasse nos frontières.
Cet assemblage de sémillon et de muscadelle, complété d’un peu d’ondenc, est lui élevé longuement en barriques neuves. Il est le fruit de tris sévères pour ne ramasser que les baies les plus atteintes de botrytis. Ce vin que je conseille régulièrement comme flacon de l’année de naissance évoque à ce stade des notes de fruits confits, de miel et de vanille. Nul doute que sa liqueur se fondra après une longue garde, quand son aromatique deviendra, elle, encore plus complexe.
L’ami sauvignon
« La plus belle expression du sémillon est donc (vous l’aurez compris) sans doute en assemblage. Cet ami du sauvignon, longtemps resté dans son ombre, souffrait d’une discrétion qui tend légitimement à s’estomper », écrit Michel Sarrazin dans le magazine Terre de vins en décembre 2023.
Les deux cépages se complètent parfaitement. Le sémillon amène son côté texturé, sa subtile aromatique, sa puissance et son aptitude à la barrique, le sauvignon, son acidité, sa pureté et sa « folie » aromatique. Le sémillon offre un cœur de bouche qui pourrait évoquer le chardonnay mais avec des saveurs plus proches du pinot gris ou du sauvignon blanc, sans avoir cependant l’aromatique de ces cépages.
Face à la meilleure adéquation du sauvignon au goût des consommateurs, le sémillon aurait-il dit son dernier mot ? Il semblerait que non ! Axel Marchal, professeur en œnologie à l’ISVV de Bordeaux, constate lui aussi ce « regain d’intérêt des consommateurs et des producteurs qui valorisent ce cépage. C’est un goût pour une nouveauté retrouvée ».
En France le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) prévoit d’ailleurs un maintien des surfaces d’ici 2027 et une augmentation pour 2037, avec une bonne progression du sémillon.
Le sémillon reste donc, avec 45 % de l’encépagement en blanc, en tête à Bordeaux (43 % pour le sauvignon). Un modèle de résistance !
Le sémillon reste, avec 45 % de l’encépagement en blanc, en tête à Bordeaux !
L’Australie, deuxième producteur après la France
L’Australie est, après la France, le principal producteur de sémillon. La Hunter Valley au sud du pays en est le berceau. On y produit des vins secs récoltés tôt pour garder un maximum de fraîcheur comme des vins fins dotés d’une très grande longévité.
C’est ici aussi qu’est produite la cuvée Noble One du domaine De Bortoli, un pur sémillon botrytisé, appelé « l’Yquem d’Australie », complexe mais au style trop appuyé à mon goût.
Cap sur l’Afrique du Sud
À choisir, je trouverai plutôt mon bonheur du côté de l’Afrique du Sud.
Dans les années 1820, le Sémillon représentait plus de 90 % de toutes les plantations sud-africaines. À tel point qu’on l’appelait le « raisin du vin ». Malgré une chute drastique de son encépagement, quelques domaines résistent et magnifient ce cépage.
Il y a d’abord Chris Alheit et son épouse qui en quelques années ont propulsé au firmament leur jeune domaine. Leur plus grande cuvée (malheureusement rarissime), Monument Semillon, délivre un vin sec sur des notes citronnées complétées d’une touche de menthe fraîche et de noix. Est-ce la nature des granits riches en quartz du secteur de Franschhoek (« le coin des Français ») en bordure de l’océan ou est-ce le travail en vendanges entières ? En tout cas, ce sémillon nous transporte vers une aromatique originale.
Il y a un autre « monument » en Afrique du Sud, il s’appelle Eben Sadie. Dans le Swartland, un secteur bien plus chaud, à l’intérieur des terres, il réalise à partir de très vieilles vignes des vins d’anthologie.
Les dix cuvées du domaine rencontrent aujourd’hui un tel succès, qu’ils ne sont vendus que sur allocation le dernier lundi de juillet de chaque année, et s’arrachent en seulement quelques heures.
Il faut goûter notamment la cuvée Kokerboom issue d’un sémillon travaillé le plus naturellement possible. La longueur et la complexité aromatique sont superbes. Un carpaccio de bœuf au basilic lui irait « comme un gant ».
En Patagonie et au Portugal
Pour rester sur de belles expressions étrangères élaborées à partir de vieilles vignes, j’ajouterai encore le pur sémillon d’un jeune vigneron très talentueux, Matias Riccitelli, en Argentine, en Patagonie plus précisément. L’amertume et l’acidité surprennent de prime abord mais une belle expression du cépage évoquant la cire d’abeille, le fenouil et les fleurs blanches se double d’un beau volume en bouche.
Dernier coup de cœur pour notre sémillon mais cette fois assemblé au verdelho, avec la cuvée Reserva Branco du domaine Aneto, situé dans le Douro au Portugal, zone qui ne cesse de nous surprendre par la qualité de ses vins secs depuis plusieurs années.
Cet assemblage sur une zone fraîche, où sont élaborés traditionnellement les vinho verde, offre un joli vin évoquant l’anis étoilé, le fruit de la passion et le citron vert. Son côté acidulé m’inspire un ceviche de bar préparé dans la tradition péruvienne.
Je ne sais pas pour vous mais cette chronique me donne faim ! Le sémillon est un grand cépage versatile, capable de donner des vins aux saveurs très différentes, envoûtantes dans le cas de grands liquoreux mais de plus en plus souvent dorénavant à travers des vins secs aux aromatiques originales. Allez, je file me préparer un de mes plats préférés, le canard aux pêches et je sais avoir dans ma cave un bel assemblage de sémillon qui devrait parfaitement l’accompagner. Du bonheur en perspective !