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Chronique de la com’ : La boussole et les aimants

Bien communiquer, c’est avant tout bien comprendre son client, actuel ou en devenir. C’est sur cela qu’une entreprise ou une marque bâtit son positionnement, sa promesse, ses messages, la tonalité de sa communication. Tout ce qui sert à créer la « préférence de marque », ce lien émotionnel qui va guider le choix du consommateur, au-delà des critères rationnels de l’offre, du prix ou de la localisation de la marque ou de l’enseigne. Mais comment comprendre et surtout anticiper les attentes et envies des Français, dans un monde qui paraît si chaotique ?

Guillaume ALLILAIRE

Guillaume ALLILAIRE © Louis PIQUEMIL - Echos Judiciaires Girondins

Le monde actuel semble tâtonner dans un brouillard constant, ne pas donner de cap clair. Peut-être sommes-nous à un tournant, à une nouvelle définition de la société ? La fin d’une ère et une autre qui tarde à s’articuler. C’est ce que pense en tout cas le sociologue Michel Mafessoli quand il écrit dans son ouvrage, Le temps des peurs : « Entre des époques, il y a des périodes qui durent quelques décennies – c’est ce que nous vivons actuellement – périodes quelque peu crépusculaires, où l’on pressent les valeurs qui sont en train de disparaître et où l’on se contente de balbutier sur ce qui est en train de naître ».

Ne pas confondre faits et croyances

Mais loin du « temps sociologique », il y a le temps, bien plus rapide, du business. Pour avoir une vision opérationnelle, activable dans les décisions de communication du quotidien, il faut savoir ne pas se précipiter, prendre du recul et arriver à distinguer ce qui relève de l’épiphénomène, d’une bulle de croyances et de comportements qui va éclater rapidement, de ce qui est structurel, ou du moins avec une durée de vie assez longue pour être pris en compte dans l’élaboration de sa stratégie de communication. Pour cela, il est possible de se baser sur des éléments objectifs, chiffrés, en croisant différentes études et panels ou en réalisant ses propres sondages et interviews. Car il est facile d’apposer une vision tronquée ou déformée au monde qui nous entoure. « Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes », disait Anaïs Nin.

Le planning stratégique sert justement à objectiver les réflexions. Il est à la croisée des données démographiques, sociologiques, comportementales, de consommation… pour dessiner le portrait-robot le plus fiable possible de la cible qui intéresse une entreprise, en prenant en compte sa localisation, son âge, son genre, ses revenus, son attitude, ses croyances et ses comportements…

Les Français en dépression ?

Si l’on prend la population française dans son ensemble, que peut-on dire de nos concitoyens aujourd’hui ? Avant tout, que leur situation est fragile. L’inflation reste leur préoccupation principale1, et a des répercussions réelles dans leur vie quotidienne. Ainsi, 92 % des consommateurs déclarent avoir subi une diminution de leur pouvoir d’achat durant les derniers mois2, et 38 % de la population avouent que leurs comptes ont plus souvent dans le rouge au cours de l’année écoulée3. Cette fragilité met une partie de la population sur un fil dangereux, les poussant dans la spirale de la précarité. Si 15 % déclarent sauter régulièrement des repas4, ce sont 11 % qui confessent qu’il leur arrive même de chercher dans les bennes des supermarchés pour récupérer les invendus5. Chiffre effrayant et sans doute sous-estimé, car on peut penser que tous ceux qui le font n’ont pas osé l’avouer en répondant aux sondeurs.

Et cela ne s’arrête pas là. La succession de crises que le monde traverse depuis 2008, et qui peut être vue comme une crise permanente, ou « permacrise », a, elle aussi, un impact sur les Français. Un impact surtout sur leur moral et leur vision du monde. Ils sont inquiets avant tout, à la fois pour eux et pour la société qui les entoure. 81 % disent se faire du souci pour l’avenir de leurs enfants, un chiffre qui a augmenté de 9 points depuis 20206. Les Français donnent l’impression de ne plus avoir confiance en rien et en personne. 82 % d’entre eux ont le sentiment d’habiter dans une France en déclin, +7 points par rapport à 2022, un score au plus haut depuis 2016. Pire, pour 34 % ce déclin apparaît comme irréversible, un score qui n’a jamais été aussi élevé depuis qu’on a commencé à leur poser cette question, il y a plus de 10 ans7.

Ils en viennent même à interroger les interactions sociales, 85 % pensant que les relations humaines sont d’un moindre réconfort que celles entretenues avec leurs animaux de compagnie8, et à appeler de leurs vœux une autre société, quitte à revenir en arrière. 73 % se déclarent ainsi d’accord sur le fait que « en France, c’était mieux avant », un chiffre au plus haut depuis 20159.

 

La résistance de l’optimisme

Et cette litanie de sondages désespérants pourrait continuer. Alors, vit-on une crise profonde, où le pessimisme règne-t-il en maître absolu ? Et bien, malgré le tableau dressé par ces données, pas du tout. Le risque de se méprendre est réel et peut entraîner un repli ou une communication très défensive. La réalité est tout autre.

En fait, les Français sont perdus et ballottés entre envies et réalités. Mais avec une farouche envie de bonheur chevillée au corps et à l’esprit. Il suffit de voir le plébiscite quand on leur demande s’ils sont heureux : 85 % répondent par l’affirmative10. Quant à la courbe du moral des ménages, celle-ci, bien qu’en dessous de la moyenne des années précrise Covid, ne cesse de progresser. Par à-coups, de façon chaotique, mais elle progresse (92 à fin août – par rapport à un indice moyen de 100, mais nous étions descendus à 80 en juillet 2022)11. De fait, 26 % d’entre eux se déclarent même optimistes, contre 16 % en 2022, tandis que la proportion de pessimistes s’est réduite de moitié (passant de 60 % à 30 %)12. Et même s’il apparaît que la vente de produits bio a connu un fort ralentissement et que les Français semblent avoir fait le choix de « la fin du mois » contre « la fin du monde », ils restent volontaires et engagés, prêts à reprendre une consommation responsable dès qu’ils en auront les moyens. 52 % estiment « qu’en période de crise, il faut au contraire poursuivre les politiques d’environnement car celles-ci ne sont pas incompatibles avec la croissance et l’emploi »13. Ils flirtent même avec une certaine radicalité en la matière, 67 % souhaitant que des règles collectives limitent les comportements nocifs pour l’environnement, même si cela restreint certains choix de consommation individuels.14

Les Français, on le voit, oscillent entre leurs croyances et leurs actes, mettant même parfois leurs réalités en contradiction avec leurs idées. Les chercheurs qualifient cet état de « polyphasie cognitive », sorte de brouillard confus qui amène à penser d’une manière mais d’agir à l’inverse. Mais, ce que la parenthèse enchantée des Jeux olympiques a surtout prouvé d’une façon éclatante, c’est leur farouche envie d’aller mieux. De s’engouffrer dans tous les moments d’unité et de bienveillance. Et les marques ont un rôle à jouer, en aidant les Français à se réaligner avec eux-mêmes, leur donner un horizon et des lendemains, qui, à défaut de chanter, fredonnent timidement.

La « polyphasie cognitive » est une sorte de brouillard confus qui amène à penser d’une manière mais d’agir à l’inverse

C’est une formidable opportunité pour une marque de créer un lien fort avec ses différentes parties prenantes, de mettre en place un lien, voire un sentiment de communauté. En osant accompagner cette envie de positif, en mettant de l’optimisme et du souffle dans ses communications. En proposant des valeurs d’inclusion, de partage et de générosité. En adoptant une tonalité proche, en connivence avec les différents publics, dans une interactivité sincère.

Car il n’y a pas mieux que l’espoir pour contrer la colère et la peur. C’est cela qui doit guider le cap de chaque communication dans cette période incertaine.

À propos

L’APACOM, association loi 1901, a pour objectif de promouvoir les métiers de la communication, de favoriser les échanges professionnels et de valoriser le rôle stratégique de la communication auprès des chefs d’entreprise et des décideurs de la région Nouvelle-Aquitaine. Avec plus de 500 membres adhérents qui représentent la grande diversité des métiers de la communication : communicants en entreprises, agences, collectivités, administrations, prestataires, consultants, indépendants, formateurs et enseignants, elle représente l’une des plus importantes associations de communicants de France. https://www.apacom.fr/

 

Sources :
1,4 Ipsos
2 Havas Commerce
3 Credoc
5 Opinionway
6 Moods’n Moves
8, 9, 10 Ifop
11 Insee
12 Shopper Trends
13 Odoxa
14 Ademe

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