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Déconnexion au temps du confinement

Bien que les entreprises y aient recours de manière moins massive cette fois-ci, la situation de télétravail imposé est susceptible de générer des confusions entre vie professionnelle et vie personnelle.

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Photo de Christina Morillo provenant de Pexels

Depuis la mise en place d’un confinement et la modification du protocole sanitaire applicable aux entreprises, le télétravail à 100 % est de nouveau devenu obligatoire pour tous les postes et activités qui peuvent le permettre et est amené à durer même pendant les premières étapes du déconfinement.

Bien que les entreprises y aient recours de manière moins massive cette fois-ci et que les conditions de travail soient plus confortables du fait de l’absence d’enfants à la maison pendant les plages horaires de travail, cette situation en télétravail improvisée et imposée est susceptible de générer de nouveau des confusions entre la vie professionnelle et la vie personnelle. En effet, les salariés en télétravail peuvent être tentés ou obligés de se connecter sur des plages horaires décalées pour diverses raisons ou certains peuvent éprouver une difficulté (notamment compte tenu des conditions particulières du confinement) à se déconnecter et à couper pour profiter des plages de repos qui sont obligatoires pour préserver leur santé et sécurité.

Dès lors, il parait intéressant de s’attarder sur l’obligation de déconnexion que les entreprises doivent mettre en place et qui souvent était restée lettre morte avant cette nouvelle phase de confinement et de télétravail généralisé. Le droit à la déconnexion est le droit pour le salarié de ne pas être joignable en dehors de son temps de travail et de pouvoir couper les ponts avec l’entreprise.

Quels salariés et quelles entreprises sont concernés ?

Depuis le 1er janvier 2017, le « droit à la déconnexion » fait partie des sujets qui doivent obligatoirement être abordés lors de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

Un accord doit organiser la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés, ainsi que de la vie personnelle et familiale. À défaut d’accord, l’employeur doit élaborer une charte, après avis du CSE. Celle-ci doit définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoir des actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.

Quel est le champ d’application de cette obligation ?

Elissaveta Petkova, avocate spécialiste en droit du travail – Barthélémy Avocats – Bordeaux © Atelier Gallien

Elle vise toutes les entreprises à la seule exception de celles qui ne sont pas astreintes à la mise en place d’un CSE, à savoir les entreprises qui auraient un effectif inférieur à 11 salariés. L’entreprise, quelle que soit son activité, ne pourrait écarter cette obligation au motif que les salariés n’ont pas d’ordinateur et n’utilisent pas les nouvelles technologies. En effet, seules les entreprises qui ne fourniraient ni un ordinateur, ni un téléphone professionnel et qui n’auraient même pas les coordonnées personnelles d’un salarié qui leur permettrait de le joindre, pourraient soutenir qu’une telle obligation ne s’appliquerait pas. D’autre part, depuis le 10 août 2016, la Loi prévoit que les accords qui mettent en place le forfait annuel en jours doivent définir les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion. À défaut de telles dispositions dans l’accord, ces modalités de déconnexion doivent être déterminées dans le cadre de la convention individuelle de forfait signée avec le salarié.

Il est nécessaire de déduire de ces dispositions que tout salarié, soumis à une organisation de forfait annuel en jours (principalement les cadres), et ce quelle que soit la taille de l’entreprise, même si elle n’est pas assujettie à l’obligation de mettre en place un CSE, doit également pouvoir bénéficier de modalités de déconnexion clairement établies dans l’entreprise. Si tous les salariés appartenant à une entreprise disposant d’un CSE et tous les salariés soumis à un forfait annuel en jours sont concernés par le droit à la déconnexion, il serait possible de prévoir un traitement particulier différencié pour les commerciaux, les télétravailleurs et les salariés qui ont un ordinateur et/ou un téléphone portable professionnel.

Un accord doit organiser la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques

Quelle était la date limite pour mettre en place les modalités de déconnexion ?

Le plan d’action concernant les entreprises ayant un CSE devait être négocié à compter du 1er janvier 2017. Les modalités de déconnexion devaient être mises en place au plus vite à l’époque. En ce qui concerne le plan d’action propre aux salariés titulaires d’un forfait annuel en jours, cette nécessité s’impose depuis le 10 août 2016.

Les entreprises qui auraient oublié de le faire doivent se mettre en conformité au plus vite en négociant soit un accord collectif sur cette question, soit en incluant des dispositions dans le contrat de travail du salarié.

Quelles dispositions doivent être prévues et quelles modalités pratiques doivent être mises en place pour assurer la déconnexion ?

L’accord ou le plan sur les modalités de déconnexion doit rappeler le principe selon lequel tout salarié travaille pendant son temps de travail sur son lieu de travail et qu’il a droit à un repos quotidien d’au moins 11 heures continues, qui ne doit pas être interrompu. Il peut être opportun de rappeler que les salariés, qui reçoivent des mails ou des SMS en dehors de leurs horaires ou pendant une suspension de leur contrat de travail, ne doivent pas se sentir obligés d’y répondre et qu’en cas de refus il ne s’agit pas d’un motif de sanction disciplinaire. L’accord ou le plan doit également prévoir les actions mises en place pour sensibiliser et informer les salariés, les actions de prévention et les formations à leur destination sur le sujet. Il peut se contenter de rappeler les principes en matière de temps de travail et de déconnexion ou prévoir des dispositifs plus contraignants pour l’entreprise et protecteurs pour les salariés tels que des déconnexions automatiques sur certaines plages horaires de la journée pour s’assurer qu’aucun salarié ne pourrait utiliser les outils informatiques.

Les salariés qui reçoivent des mails ou des SMS en dehors de leurs horaires ne doivent pas se sentir obligés d’y répondre

La meilleure façon d’assurer le respect du droit à la déconnexion est d’y associer le service informatique qui peut exposer les différentes possibilités envisageables. Il est possible de mettre en place un blocage des messages à certains horaires, de faire apparaître un message type en vertu duquel les salariés qui reçoivent le message ne sont pas censés le traiter et y répondre en dehors de leurs horaires de travail. Le blocage automatique semble être le moyen le plus efficace pour assurer l’effectivité du droit à la déconnexion. Ainsi, même si l’émetteur d’un mail ne respecte pas les horaires, le salarié ne sera jamais en situation de prendre connaissance des messages en dehors de son temps de travail. Des actions de formation peuvent être mises en place principalement à destination des responsables hiérarchiques, mais qui peuvent également toucher des salariés comme les commerciaux ou les télétravailleurs.

Quels sont les risques si l’entreprise n’a pas respecté ses obligations en matière de déconnexion ?

Le Code du travail ne prévoit pas de sanction spécifique en la matière. Cependant, les salariés, qui pourraient très facilement démontrer qu’ils se sont connectés en dehors de leurs horaires de travail et/ou qu’ils n’ont pas pu respecter leur temps de repos, pourraient réclamer des rappels d’heures supplémentaires, mais également des dommages et intérêts pour surcharge de travail, pour atteinte à leur vie privée et à leur santé et pour violation de l’obligation de sécurité de résultat par l’employeur.

Si en plus l’entreprise n’a pas mis en place les moyens nécessaires pour assurer ce droit à la déconnexion et tolère que les salariés débordent en dehors de leurs horaires de travail, le risque que sa responsabilité soit engagée sera d’autant plus important.

Même si le contenu du plan à mettre en place n’est pas très ambitieux et contraignant, il aura le mérite d’exister et de permettre à l’entreprise de justifier qu’elle a respecté ses obligations

Or, en ces périodes de confinement et de recours massif au télétravail, le nombre de salariés qui pourraient être concernés par ce type de situation n’en est que plus important, d’où l’intérêt pour toute entreprise concernée par l’obligation d’assurer les modalités de déconnexion pour les salariés, de se mettre en conformité au plus vite pour limiter les risques auxquels elle pourrait être confrontée. Même si le contenu du plan à mettre en place n’est pas très ambitieux et contraignant, il aura le mérite d’exister et de permettre à l’entreprise de justifier qu’elle a respecté ses obligations en la matière. Il faudrait également qu’elle soit vigilante sur toute situation de connexion ou sollicitation en dehors des horaires et ne pas laisser croire qu’elle tolère une telle situation, en toute connaissance de cause.

 

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