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Droit : loyauté et vie amoureuse du salarié

Plusieurs arrêts de jurisprudence rendus récemment interpellent par leur solution qui valide les licenciements de salariés qui ont dissimulé leur relation amoureuse ou leur mariage à leur direction. La vie amoureuse des salariés fait pourtant partie de la vie privée protégée habituellement en droit social de manière constante. Au vu de ces solutions, quels sont les nouveaux contours des obligations d'information du salarié sur sa vie personnelle ?

Elissaveta Petkova

Elissaveta Petkova © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Selon une jurisprudence très constante, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire. Ce n’est que lorsqu’il existe un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail qu’un licenciement pour cause réelle et sérieuse (non disciplinaire) peut être envisagé.

Lors du recrutement, si le candidat est tenu de répondre de bonne foi aux demandes d’information du recruteur, celles-ci ne doivent pas porter sur sa vie privée. Ainsi, les renseignements demandés aux salariés lors de son embauche doivent avoir pour seul but d’apprécier les qualités professionnelles du salarié et doivent avoir un lien direct nécessaire avec l’emploi auquel il postule.

Lors de l’embauche

Ainsi, les omissions ou inexactitudes du salarié lors de son embauche ne peuvent constituer une faute justifiant un licenciement ou le refus de l’employeur de le recruter que si elles portent sur un élément déterminant pour la conclusion du contrat de travail. (Réponse Cartelet, Assemblée nationale, 20 juillet 1987, n° 24397).

Aucune conséquence ne peut être tirée de l’absence de réponse ou de son caractère inexact ou mensonger si les informations demandées lors du recrutement ne répondent pas à ces conditions et n’ont pas de lien avec l’emploi proposé. Ainsi, une candidate n’est aucunement tenue de révéler son état de grossesse sans que cela ne puisse lui être reproché. De même, un candidat n’a pas à répondre de manière exacte et fidèle concernant sa situation familiale ou des antécédents médicaux.

Le Défenseur des droits insiste également sur le devoir d’indifférence de l’employeur : « dans le cadre du respect de la vie privée familiale, il n’existe aucune obligation de la part du salarié de préciser la teneur de sa relation avec un autre salarié. L’employeur ne peut pas obliger ses salariés à lui communiquer leur changement de situation familiale et la divulgation d’informations à caractère personnel ne s’impose que si les salariés veulent bénéficier d’un droit attaché à un statut » (Défenseur des droits n° 2023-0001 23 juin 2023).

Un manquement à une obligation contractuelle

De manière exceptionnelle, un fait tiré de la vie personnelle peut justifier un licenciement lorsqu’un manquement à une obligation contractuelle du salarié est caractérisé. C’est souvent une violation de l’obligation de loyauté qui est reprochée aux salariés. Celle-ci a été invoquée pour justifier le licenciement de salariés qui n’avaient pas informé l’employeur de faits de vol dont ils avaient été témoins ou qui n’avaient pas porté à sa connaissance l’annulation du permis de conduire nécessaire pour occuper leur poste.

Cependant, la jurisprudence retenait, jusqu’à présent, que le manquement à l’obligation de loyauté devait être subordonné à l’existence d’un préjudice (Cass. Soc. 12 octobre 2011 n° 10-16.649).

Obligation de loyauté

Dans des arrêts récents, la jurisprudence va beaucoup plus loin, adoptant une conception très extensive de l’obligation de loyauté et de l’existence potentielle d’une faute du salarié en cas de conflit d’intérêts potentiel. Dans l’arrêt du 29 mai 2024, la Cour de cassation avait à trancher la situation d’un salarié qui exerçait des fonctions de direction, notamment de gestion des ressources humaines.

Ce dernier avait caché la relation amoureuse qu’il entretenait depuis plusieurs années avec une autre salariée de l’entreprise ayant un mandat syndical, impliquée dans des mouvements de grève et qui avait participé à plusieurs réunions de négociation. Alors même que la salariée avait quitté l’entreprise, lorsque l’employeur a découvert l’existence de cette relation amoureuse, il a licencié pour faute grave le salarié, estimant qu’il s’était placé dans une situation de conflit d’intérêts et avait ainsi manqué à son obligation de loyauté.

La Cour de cassation va valider le bien-fondé de ce licenciement, estimant qu’en dissimulant une relation intime qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur. Ce manquement rendait impossible son maintien en entreprise, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi (Cass. Soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218).

Une obligation spontanée de transparence

Cette solution invasive surprend, en l’absence de préjudice concret pour l’entreprise. Aucune violation d’une obligation de confidentialité ou de discrétion n’avait été constatée de la part du salarié. Elle reposait uniquement sur l’absence d’information spontanée de l’employeur sur l’existence de cette relation amoureuse, alors même qu’aucun élément de preuve n’était apporté pour démontrer que le salarié avait failli dans l’exécution de ses fonctions. Par ailleurs, la salariée avait quitté l’entreprise au moment où la relation amoureuse a été découverte.

Dans cette affaire, il a ainsi été établi que le salarié était soumis à une obligation spontanée de transparence sur l’existence de cette relation amoureuse pour que l’employeur prenne les mesures nécessaires pour éviter tout conflit d’intérêts.

Par ailleurs, si une relation amoureuse durant depuis des années avait été ici établie, la question se pose de l’obligation éventuelle d’information du salarié pour toute relation amoureuse de courte durée, toute relation d’amitié ou d’alliance familiale qui peut également influencer des décisions ou conduire le salarié à sortir de sa réserve. Dans la sphère familiale jusqu’à quel degré de parenté faudrait-il remonter pour apprécier le risque de conflit d’intérêts ?

Charte éthique de l’entreprise

Dans un autre arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles, le 30 mai 2024, un salarié avait été licencié pour cause réelle et sérieuse car il avait dissimulé son mariage avec une ancienne salariée qui était en conflit judiciaire avec la société. Il s’agissait d’un salarié occupant des fonctions d’auditeur interne à qui il a été reproché un manque d’intégrité et de loyauté et une volonté délibérée de tromper son employeur car il avait sciemment dissimulé sa situation familiale. Il avait menti en remplissant les formulaires lors du recrutement, en se prétendant célibataire et en cachant sa situation matrimoniale avec une ancienne salariée de l’entreprise qui était en conflit avec celle-ci.

Dans cette affaire, la Cour d’appel a constaté que le salarié était tenu, du fait de ses obligations contractuelles, de faire connaître tout changement intervenu dans sa situation familiale et surtout, en vertu des clauses de la charte éthique de l’entreprise, d’informer celle-ci d’un risque possible de conflit d’intérêts. Il a ainsi failli à une obligation d’information claire qui lui était imposée et son licenciement pour cause réelle et sérieuse était bien justifié (Cour d’appel de Versailles 30 mai 2024 n° 22/00879).

Dans ces deux affaires, il s’avère que les juges ont tenu compte :

  • des fonctions et des responsabilités du salarié (dans la première affaire, il avait des délégations de pouvoir et gérait les ressources humaines ; dans la deuxième affaire, il s’agissait d’un auditeur interne soumis à des règles strictes de comportement et d’exemplarité) ;
  • il a été tenu compte également du contexte dans l’entreprise. Dans la première espèce, le climat social était très tendu avec des mouvements de grève ; dans la deuxième espèce, la salariée épouse de l’auditeur interne était en contentieux avec son employeur ;
  • dans la deuxième espèce, il a été tenu compte du fait qu’un code éthique prévoyait de déclarer spontanément à son employeur toute situation risquant de générer un conflit d’intérêts et le salarié avait failli à son obligation en la matière.

Si les juges ont donné raison aux employeurs dans ces deux affaires, il semble que le risque de conflit d’intérêts sans préjudice caractérisé pour l’entreprise suscitera toujours une incertitude quant à l’appréciation qu’en aurait un juge.

Préciser le risque

Dès lors, la stratégie pour l’entreprise qui souhaiterait sécuriser d’éventuels licenciements en la matière peut être, pour les postes à responsabilité, dont les fonctions exigent une sorte d’exemplarité d’encadrer et préciser le risque de conflit d’intérêts.

Il est possible de mettre en place une charte éthique dans l’entreprise, une clause contractuelle ou une attestation sur l’honneur, lors de l’embauche du salarié par laquelle il s’engage à déclarer qu’il n’est pas soumis à un conflit d’intérêts au vu de sa situation matrimoniale mais également familiale. Il serait possible de tenir compte de la situation professionnelle des ascendants et des descendants de premier degré par exemple. Le salarié s’engagerait à informer l’employeur de tout changement dans sa situation familiale, appréciée au sens large, qui serait de nature à générer un potentiel conflit d’intérêts.

Ainsi, en cas de changement, il sera plus facile pour l’employeur de prouver que le salarié a violé une obligation contractuelle clairement précisée et délimitée que si aucun engagement n’est pris en ce sens. L’entreprise a donc tout intérêt, pour des postes clés, stratégiques et susceptibles de générer un préjudice pour la société en cas de conflit d’intérêts, à mettre en place ce type d’engagement pour se protéger.

Il est possible de mettre en place une charte éthique dans l’entreprise lors de l’embauche du salarié par laquelle il s’engage à déclarer qu’il n’est pas soumis à un conflit d’intérêts au vu de sa situation matrimoniale

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